La doctrine de la Chine a toujours été la non-ingérence dans les affaires intérieures d'autres Etats souverains. A l’occasion de l'ouverture du sommet Chine-Afrique du 3 septembre 2018, le Président chinois, Xi Jinping, l’avait encore martelé haut et fort: « Nous poursuivons toujours la pratique des "cinq non" dans nos relations avec l'Afrique, à savoir : ne pas s'ingérer dans la recherche par les pays africains d'une voie de développement adaptée à leurs conditions nationales, ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures africaines, ne pas imposer notre volonté à l'Afrique, ne pas assortir nos aides à l'Afrique de condition politique quelconque, et ne pas poursuivre des intérêts politiques égoïstes dans notre coopération en matière d'investissement et de financement avec l'Afrique ». Mais entre les paroles et la Realpolitik, les promesses n’engagent que ceux qui y croient.
Il est vrai que, même dans sa logique et sa soif de conquête du monde et de rivalités géostratégiques, le pays de Mao a toujours su rester plus subtile et rusé, et particulièrement en Afrique Noire, en usant de son « soft power ». Ce qui a toujours été le contraire de la Russie, même du temps de la Guerre froide. La Russie s’est, par le passé, montrée tout aussi exubérante que prétentieuse qu’elle le fait actuellement en Afrique Noire. Ce n’est pas nouveau. Au point qu’il y avait plus de statues de Lénine dans les anciens pays africains du Bloc socialiste d’Afrique qu’on ne pouvait trouver de Mao Tse Tung et bien d’autres leaders des deux grandes puissances de ce camp qu’étaient la Chine et la Russie.
Des pays, à l’instar du Bénin, sont des témoins de cette époque du Socialisme scientifique basé sur le Marxisme-Léninime, le tout arc-bouté sur le parti unique ou parti-Etat. Pendant longtemps, sous le Parti de la révolution populaire du Bénin (PRPB), force est de reconnaître qu’au Bénin aussi bien que dans d’autres pays africains, leur hégémonie ne visait pas à s’incruster d’un point de vue économique. L’opposition au système politique démocratique de l’Occident en était la principale raison. Et les pays africains qui avaient bénéficié de l’appui de ce tandem Chine-Russie pour leurs luttes d’indépendance nationale avaient des raisons de ne point vouloir s’en passer. Bien au contraire.
Que ce soit d’un point de vue politique ou économique, les dirigeants de la Chine et de la Russie de cette époque-là, quoi que l’on en dise, étaient moins habités par cette volonté manifeste de conquête et de mise sous influence des pays d’Afrique Noire en particulier que ne le sont ceux d’aujourd’hui, en l’occurrence Xi Jinping en Chine ou Vladimir Poutine en Russie. Et les citoyens africains feraient bien mieux de s’en méfier pendant qu’il est encore temps. La question n’est pas savoir s’il faut traiter avec la Chine et la Russie ou pas, elle est plutôt comment éviter d’importer des systèmes politiques incompatibles avec les ambitions profondes des sociétés africaines tout en étant dépendants de la Chine et de la Russie…Une dépendance peut bel et bien en
cacher une autre.
Cest un secret de polichinelle, la Chine et la Russie, cherchent obstinément à restaurer les dictatures du passé en Afrique Noire, en particulier, afin de pouvoir asseoir plus aisément et pour longtemps leur mainmise à l’échelle internationale. En soutenant des satrapes ou des dictateurs de tout poil qui serviront leurs intérêts. Au motif de la
diversification des partenaires de l’Afrique et de la prédation de l’Occident sur les ressources de l’Afrique. Tout comme si l’Afrique n’était pas un partenaire de la Chine et de la Russie depuis des lustres. Il ne faut guère se leurrer en croyant que ces deux puissantes n’ont d’autres objectifs ou intérêts que de tirer les Africains dans l’état de misère économique et financière dans lequel ils se trouvent. Loin s’en faut. Et si la Chine continue de la jouer très fin, elle rend bien des pays africains dépendants d’elle dans maints domaines, en l’occurrence par ses prêts qui asservissent aussi, qu’on le veuille ou non. Quant à la Russie, elle préfère utiliser la méthode Poutine et ne s’en cache d’ailleurs pas. Les mercenaires russes du Groupe Wagner qui s’installent çà et là sont là pour le rappeler à tous. Il y a dans tous ces jeux géostratégiques et géopolitiques, une sorte de sadomasochisme chez certains Africains qui croient dur comme fer qu’ils seront libérés des dictatures qui les oppressent et qu’ils dénoncent quotidiennement grâce à la Chine et la Russie pour que ces pays soutiennent des démocraties en leur lieu et place. Ou encore d’autres qui en appellent à un balisage parfait pour de nouvelles dictatures en Afrique, pour ainsi dire. Sous le fallacieux prétexte que la dictature des militaires est un gage de développement.
Après l’effondrement du Bloc socialiste à la fin des années 1980, le retour en force en Afrique Noire de la Chine aussi bien que la Russie a été préparé et facilité par les dictateurs du continent les plus hostiles à la France et de manière générale à l’Occident.
Parce que l’Occident leur reprochait certains manquements aux principes démocratiques et des violations flagrantes des droits de l’Homme sur fond de prévarications et de biens mal acquis. Des journalistes et des médias traditionnels en Afrique ont également leur part de responsabilité dans ce jeu dangereux avant que le tout ne soit couronné par ce qu’il conviendrait d’appeler une armée d’imbéciles sur les réseaux sociaux, taillable et
corvéable à merci, puis manipulable à souhait. Et c’est là que la formule du célèbre universitaire et écrivain italien, Umberto Eco, prend tout son sens lorsqu’il dit: « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d'imbéciles qui, avant, ne parlaient qu'au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité.
On les faisait taire tout de suite alors qu'aujourd'hui ils ont le même droit de parole qu'un prix Nobel. C'est l'invasion des imbéciles ». Car lorsqu’on ne sait pas, on se tait ou alors on demande à quelqu’un du métier, ou à défaut quelqu’un de plus avisé que soi. Or, aujourd’hui, tout le monde est devenu un Spécialiste en Tout et surtout en Géopolitique sur les réseaux sociaux. Et c’est peu dire.
Pour éviter aux jeunes non pas seulement des manipulations à des fins politiciennes mais aussi des déconvenues personnelles au cours de leur vie, les Etats africains devraient peut-être envisager d’inclure dans les programmes d’enseignement une matière sur les réseaux sociaux. A voir la manière avec laquelle beaucoup les utilisent, y compris des mineurs, et comment ils perçoivent les informations qui y sont distillées, il y a de quoi vivement s’en inquiéter. Mieux, il y a urgence à proposer un accompagnement à faire dans ce sens en faveur des plus jeunes. C’est de cette façon qu’on les aidera à devenir des citoyens plus avisés et susceptibles de se protéger dans ce monde globalisé et interconnecté et qu’on les rendra moins dangereux à leur propre société. Sans que, pour autant, ils soient plus soumis à leurs gouvernants.
Si la Chine s’est longtemps réellement tenue à son dogme de non-ingérence dans les affaires intérieures d'autres Etats d’Afrique Noire, en revanche l’on peut affirmer sans grand risque de se tromper qu’il en va autrement depuis quelques décennies déjà. Pour la Chine, la sécurité de ses investissements pharaoniques dans les pays africains dépend en grande partie de la nature du régime au pouvoir dans chaque pays et pour la Russie, la nécessité de reprendre pied en Afrique pour se trouver de nouveaux débouchés dans un nouveau contexte géopolitique est un enjeu majeur. Rien n’est gratuit dans les relations d’Etat à Etat. Les Africains devront bien se rendre compte que personne ne fera rien à leur place. Et encore moins gratuitement. Il n’y a pas de raisons que les autres viennent en Afrique les aider gratuitement s’ils n’ont aucune contrepartie en retour. Vladimir Poutine et Xi Jinping ont beaux alléguer les meilleurs sentiments du monde et leur amour pour l’Afrique, il ne s’agit là que de professions de foi lénifiantes. Les Chinois et les Russes sont bien loin d’être différents des Occidentaux. Et s’ils le sont, c’est à une seule exception près très certainement : ils préfèrent les dictatures du passé au pouvoir en Afrique à des régimes démocratiques où la société civile a droit de cité. C’est bien là la seule différence et elle est de taille pour que les Africains en prennent réellement conscience. Dont acte !
Par Marcus Boni Teiga