On ne saurait se jeter à la rivière et après craindre le froid. Aussitôt la signature de l’acte constitutif de la Confédération des États du Sahel (AES) effectuée qu’une polémique sur l’imposition de visa à ses ressortissants dans l’espace de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est enflée, avant d’être démentie.
Cette inquiétude ne devrait être fondée si tous les paramètres avaient été levés avant cette option de prise de distance. Une situation qui reste expressive, à l’analyse des perspectives, pour ces Etats qui soutiennent avoir fait une option « irrévocable ».
Les deux possibilités qui s’offrent aux pays de l’AES, suite à leur posture depuis la signature, en septembre 2023, de la charte d’entraide militaire, dite du Liptako Gourma, et l’annonce conjointe du départ de la CEDEAO, fin janvier 2024, sont préalablement connues de l’organisation qui soutient toujours maintenir sa porte ouverte.
Espace communautaire d’un marché commun de plus de 400 millions d’habitants, où les populations bénéficient d’une liberté de circulation des personnes et des biens, avec quelques goulots d’étranglement par endroits sujets à des contrôles et régulations, la CEDEAO semble l’une des organisations les plus avancées de la sous-région.
Si tant est qu’au sein de cet espace existe des organisations inter-Etat comme l’Union Économique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) qui regroupe huit États côtiers et sahéliens, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo ou encore, le Conseil de l’Entente composé du Burkina Faso, de la Côte d’Ivoire, du Niger et du Togo ; ces organisations n’ont pas signé leur départ de la CEDEAO qui aujourd’hui est de loin la plus représentative réunissant le plus de pays dans la sous-région et structurellement la plus aboutie et crédible auprès des partenaires techniques et financiers de divers horizons, avec une diversité de programmes. Certaines de ces organisations des pays constitutifs de la CEDEAO, ont carrément reversé leurs acquis au sein de l’organisation, au point même de paraître, peu ou prou transparentes.
Quid des conséquences d’une sortie de la CEDEAO ?
Au lendemain du premier sommet de l’Alliance des États du Sahel (AES) qui a débouché sur la création d’une Confédération Burkina, Mali et Niger, tenu le samedi 6 juillet 2024, a eu lieu le 65ᵉ sommet de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) le 7 juillet, à Abuja, au Nigeria.
Les conclusions du sommet de Niamey ne sont pas passées inaperçues à Lagos, et vice versa.
Il est évident que la désintégration au sein de la CEDEAO perturbera non seulement la liberté de mouvements et d’établissement des personnes, entreprises ou autres, mais également aggravera l’insécurité dans la région.
Les trois pays de l’AES représentent 54,4 % de la superficie de la CEDEAO ; soit plus de la moitié de sa couverture géographique. Et les populations du Mali, du Burkina Faso et du Niger représentent 17 % de la population totale des pays de la CEDEAO, soit 75 millions de consommateurs potentiels.
Ces trois pays font 7 % du PIB collectif de la communauté, ce qui est évalué à 74 millions de dollars.
Leur sortie de la CEDEAO, sauf accord préalables, va sans doute entrainer des droits de douanes qui vont s’appliquer à ces pays pour faire entrer leurs marchandises dans les pays membres de communauté économique.
Une situation qui selon les analystes économiques risque d’avoir des impacts sur le coût de la vie dans ces pays ainsi que sur les entreprises de ces pays opérant dans les pays de la CEDEAO ; mais aussi pour attirer de nouveaux investisseurs.
Des atouts ?
Suite aux pressionsde la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) après les coups d’État qui ont porté à leur tête des juntes militaires ; le 28 janvier 2024, le Niger, le Mali et le Burkina Faso ont annoncé leur retrait de l’organisation régionale avec « effet immédiat », après avoir créé l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Ce, au motif de sanctions jugées « injustes ».
En dépit de leur statut de pays de l’hinterland, les pays de l’AES ont des relations d’interdépendance avec les autres pays de la CEDEAO, notamment côtiers. Ils sont des fournisseurs importants de ces pays, en denrées animales. Du point de vue culturel et humain, les pays de l’AES et ceux de la CEDEAO sont trop liés pour qu’ils s’isolent. Les couloirs de transhumance pour leurs bétails et destinations de vente, tout comme celles d’autres produits comme l’oignon du Niger, sont en direction des pays côtiers. A cela s’ajoute les liens familiaux et économiques.
Cependant, bien que des pays comme le Maroc se positionnent pour les desservir, les services de transports des marchandises des ports, vont se complexifier pour les pays de l’AES qui sont enclavés. Car pour l’heure, ils ne peuvent pas évacuer leurs productions vers le Nord en traversant le désert algérien. Malgré qu’il soit envisagé des accords bilatéraux avec le Maroc et la Mauritanie pour faire sortir la production des pays sahéliens, les pays de la CEDEAO sont plus intégrés que cela ne parait.
En dehors des données officielles, les statistiques douanières ne prennent pas en compte le commerce informel, qui reste très important.
Egalement, il faudra fournir de l’énergie au Niger via le Nigeria, évacuer l’uranium et le pétrole du Niger par le Bénin bien que cette option est sujette de plus en plus à des issues alternatives en attendant de trouver une conciliation, ou encore envoyer de l’électricité de la Côte d’Ivoire vers le Mali.
Un contexte qui laisse préconiser soit des accords bilatéraux, ou un compromis avec la CEDEAO, ou un régime particulier comme l’a souligné l’économiste franco-béninois Lionel Zinsou.
Des accusations fondées ?
Accusée d’être restée inactive face à la situation que vivent leur pays, l’insécurité liée au terrorisme notamment, alors qu’elle s’emploie à prendre des sanctions contre eux, en Sommet extraordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO sur la situation politique, la paix et la sécurité dans la région , en février 2024 à Abuja au Nigéria, l’organisation a énuméré ses actions en faveur des pays de l‘AES.
Dans le cadre de la coopération régionale pour la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme violent et la criminalité organisée, les trois pays de l’AES ont bénéficié d’une enveloppe de 100 millions de dollars des Etats Unis, mobilisés par l’UEMOA au titre du Plan d’action de la CEDEAO contre le terrorisme. Egalement, d’autres montants ont été alloués à ces pays et s’élèvent à 7,5 millions de dollars en vue de l’acquisition d’équipements destinés à les aider à lutter contre le terrorisme.
Le retrait de ces trois pays aura des incidences sur la coopération en matière de sécurité, d’échange de renseignements et de participation aux initiatives régionales de lutte contre le terrorisme, notamment l’initiative d’Accra et les activités de la Force multinationale mixte a rappelé la CEDEAO.
Quid du développement communautaire et de l’aide humanitaire ?
Les trois pays de l’AES bénéficient de plusieurs projets et programmes régionaux, de la CEDEAO notamment :
La Réserve régionale de sécurité alimentaire. Dans ce volet, les trois pays accueillent, dans le cadre de la réserve régionale, des stocks de près de 17.000 tonnes, soit 52% du stock régional ;
Le Programme régional d’appui au pastoralisme au Sahel (PRAPS) financé par la Banque mondiale, d’un montant de 215 millions de dollars US pour les trois États membres ;
Le Projet d’appui régional à l’initiative pour l’irrigation au Sahel (PARIIS) financé par la Banque Mondiale, d’un montant de 103,43 millions de dollars US pour les trois États membres ;
Le Programme régional d’appui à la résilience des systèmes alimentaires (PRSA) financé par la Banque mondiale, d’un montant de 230 millions de dollars US pour les trois États membres ;
Le Projet d’identité unique pour l’intégration régionale et l’inclusion en Afrique de l’Ouest (WURI).
Le projet de marché régional de l’électricité de la CEDEAO qui est un Système d’échange d’énergie électrique ouest africain, et qui relie tous les États membres à un réseau électrique régional, afin d’améliorer l’accès à l’électricité, implique également les trois États membres de l’AES. Des projets et programmes de la CEDEAO, qui se chiffrent à une valeur supérieure à 500 millions de dollars américain.
Deux institutions financières régionales, la BIDC et la BOAD, ont également des engagements considérables dans les trois pays de l’AES.
La BIDC a actuellement 27 projets du secteur public en cours dans les trois pays (Burkina Faso 9, Mali 8, et Niger 10) et un total de 20 projets du secteur privé (Burkina Faso 5, Mali 13 et Niger 2), selon les données de la CEDEAO. Ces projets sont collectivement évalués à environ 321.634.253 dollars US, dont ceux du secteur public représentent 38,1 % et ceux du privé, 61,9%. Le portefeuille de la Banque dans les trois pays représente environ 22,5% de son portefeuille total dans les 15 États membres. Les trois pays ont contribué au capital de la Banque pour un montant total de 33.135.445,38 de dollars US, réparti comme suit : Burkina Faso 13 millions de dollars, Mali 9,5 millions de dollars et Niger 10,5 millions de dollars.
Des perspectives ?
S’il est évident que les pays de l’AES accusent la CEDEAO, d’être une caisse de résonnance de certaines puissances, ils ne manquent non plus quant à eux de tisser d’autres partenariats avec certains pays comme la Russie, la Chine l’Iran et la Turquie…
Loin des clivages et discours institutionnels, certains éléments d’analyses permettent à la CEDEAO et au pays de l’AES d’apprécier les décisions qu’ils pourraient être amenés à prendre et qui devront impacter durablement leurs populations respectives.
Une crise au sein de l’espace communautaire ne profiterait ni aux uns, ni aux autres outre mesures. Toutefois, elle peut constituer un déclic de redynamisation de l’institution sous-régionale, dont beaucoup concordent à lire des signes d’essoufflement sur certains volets notamment politique avec des velléités de s’éterniser au pouvoir, de mal gouvernance et autres fléaux.
La prise de distance des uns et des autres profiterait en vrai, moins aux peuples, ainsi qu’aux Etats, qu’à des larrons aux aguets. « Le cafard ne saurait rentrer dans un mur, s’il n’est lézardé ».
Par Ange Banouwin
Source : https://beninwebtv.com
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