Un coup d’Etat, c’est un coup d’Etat. Quelle que soit la justification que l’on y apporte pour s’évertuer à le faire accepter dans l’opinion publique nationale et internationale. Est-il encore besoin de le rappeler, les militaires n’ont pas vocation à gérer le Pouvoir politique. En dénonçant le coup d’Etat perpétré au Niger, comme l’a dit le 20 août 2023 dans l’émission « De vous à Nous » de la Radio Peace FM, le Professeur Théodore Holo, ancien président de la Cour constitutionnelle et ancien ministre du Bénin : « les militaires ne sont pas formés pour diriger une République. Ils sont entraînés pour défendre et garantir l’intégrité du territoire (…) les militaires n’ont aucune légitimité pour se poser en arbitres…, lorsqu’un militaire estime qu’il a des idées qui peuvent faire progresser son pays, il démissionne de l’armée, crée son propre parti politique ou il est candidat à une élection présidentielle ».
Cela dit, tous les coups d’Etat, même s’ils se suivent ces derniers temps en Afrique, ne se ressemblent pas du tout, on a beau essayer de les lier les uns aux autres comme ayant les mêmes sources. De par leurs justifications ou les motivations des hommes qui les portent, les coups d’Etat au Mali et en Guinée n’ont rien à voir avec ceux du Burkina Faso et du Niger. Ils sont différents les uns des autres, à y regarder de très près. C’est un fait indéniable. Dans la typologie des coups d’Etat auxquels l’on assiste depuis un certain temps, tous ne brillent pas non plus par leur singularité. En cela le coup d’Etat qui a renversé le Président Ali Bongo du Gabon le 30 août fait figure d’exception. Et c’est le moins que l’on puisse en dire. A preuve : ce sont des drapeaux gabonais uniquement qui ont été brandis et non des drapeaux russes par les manifestants visiblement en liesse. Sans slogans anti-français.
Pour une fois, ce qui fait exception dans ce coup d’Etat, c’est que les auteurs ont clairement souligné dans leur déclaration que le processus d’organisation de ces élections n'a pas rempli « les conditions d'un scrutin transparent, crédible et inclusif ». Et ils ont invoqué des « résultats tronqués ». Comment leur opposer des faits tangibles quand on sait que le scrutin présidentiel au Gabon avait été verrouillé en amont comme en aval dans son processus, et voire fermé aux observateurs et aux médias internationaux lors même du scrutin? Y compris aux Africains ! Les frontières étaient fermées. Coupure Internet et couvre-feu à l’appui avant la proclamation officielle des résultats.
« Coup d’Etat démocratique », comme certains ont voulu le baptiser dans l’euphorie, certainement non. Aucun coup d’Etat ne saurait être « démocratique » même s’il est perpétré pour défendre la Démocratie. « Coup d’Etat populaire », sans doute oui aux yeux des populations et pour une immense majorité par rapport à la situation sociopolitique nationale du pays. Car, hormis la Gouvernance des Bongo, la plupart des Gabonais s’interrogeaient depuis toujours sur la capacité même à gouverner encore du Président Ali Bongo après son malencontreux AVC qui l’avait littéralement diminué. Mais malgré cela, il aura réussi à bien s’accrocher au Pouvoir pendant quelques années encore.
Ce que l’on a souvent reproché aux Armées africaines, c’est justement de soutenir le plus souvent les Dictateurs ou les Politiciens véreux et surtout les Chefs d’Etat habiles à tripatouiller et à orchestrer des hold-up électoraux pour commettre leurs forfaits. Que cela soit activement ou passivement.
Le putsch militaire au Gabon dirigé par le Général Brice Oligui Nguema est intervenu au lendemain même de la réélection annoncée du Président Ali Bongo avec 64,27% des suffrages exprimés et 30% pour l’Opposition regroupée derrière son porte-drapeau, en l’occurrence Albert Ondo Ossa. Tout cela, sur fond d’un climat sociopolitique délétère et de contestation des résultats du Centre gabonais des élections (CGE) par l’Opposition. Lequel scrutin du 26 août 2023 a laissé planer beaucoup de doutes sur la Transparence. Albert Ondo Ossa affirmant, à tort ou à raison, avoir gagné l’élection présidentielle.
Les putschistes du Gabon doivent être pris aux mots quant aux raisons pour lesquelles ils ont décidé de mettre fin au processus électoral et par la même occasion au régime du Président Ali Bongo. Malheureusement, lorsque des militaires en viennent à faire un coup d’Etat en Afrique, ils ont tôt fait souvent d’oublier que leur place se trouve plutôt dans les casernes et non dans des Palais présidentiels. Et Dieu sait si les lambris du Pouvoir font vite tourner la tête à tous ceux qui ne l’ont pas bien fixée sur les épaules. Avec à la clef, cette volonté manifeste de vouloir toujours se maintenir au Pouvoir au détriment même de ses ambitions du départ et au-delà de ce que les populations elles-mêmes attendent d’eux. Dans leur communiqué lu à la télévision publique, les auteurs de ce putsch ont indiqué la mise en place d’un Comité de transition et de restauration des institutions (CTRI). Ce qui augure d’une Transition politique. Mais pour combien de temps ? Là se trouve la question principale.
En tout état de cause, le coup d’Etat au Gabon est un précédent historique, à tout le moins, qui marquera d’une empreinte indélébile la façon dont les chefs d’Etat africains aborderont désormais les échéances électorales. Quitte à ramer à contre-courant d’une certaine tradition dans les Armées, pourquoi l’Afrique n’oserait pas une innovation en rendant les Armées parties prenantes pour être aussi garante de la Transparence des élections. Non pas comme elles le furent pendant longtemps en tant que marionnettes des princes qui gouvernent mais en en tant qu’Acteur neutre du processus électoral. Pourquoi pas si tant est que cela peut permettre de sortir des schémas d’élections truquées d’avance ?
Si l’on part du principe selon lequel « à quelque chose malheur est bon », il est à souhaiter vivement que, faute d’institutions démocratiques fortes pour le moment dans les pays africains, les Armées aient une nouvelle vocation ajoutée ou valeur ajoutée à leurs fonctions régaliennes de défense de l’intégrité du territoire national. A savoir une vocation de défense de la Transparence des processus électoraux. Mieux, face à la grande incapacité des organisations sous-régionales et de l’Union africaine (UA) à se faire respecter par des chefs d’Etat qui, à leur tour, ne respectent ni leur Constitution ni les principes démocratiques, il ne serait pas incongru de faire des Armées les garants de la Transparence électorale.
Seulement voilà : il faut que cette nouvelle vocation soit clairement constitutionnalisée pour que les Armées soient étroitement associées plus qu’elles ne le sont actuellement à la surveillance du processus électoral et la Transparence du scrutin à proprement parler. De l’élaboration des fichiers électoraux à la proclamation des résultats officiels, qu’elles soient parties prenantes du processus afin de garantir non pas seule - mais avec les autres institutions de la République impliquées dans le processus électoral -, la régularité et la fiabilité. Que celui qui est élu dans les Urnes soit vraiment celui qui devient le Président de la République. Et non pas celui qui aura réussi le tour de force de corrompre toutes les couches de la société, y compris des chefs de l’Armée elle-même qui, après avoir été complice, revient jouer les ardents défenseurs des intérêts du peuple ou de la Démocratie. Tout simplement parce qu’elle détient les armes qui appartiennent à tous les citoyens de chaque pays et que ces derniers ont mis à leur disposition aux fins de défendre et garantir l’intégrité et la sécurité de leur territoire.
Par Marcus Boni Teiga