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EDITORIAL AFRIQUE DE L’OUEST : Pourquoi il faut vraiment refonder la CEDEAO…

Marcus Boni Teiga
Marcus Boni Teiga

La question de la refondation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ne date pas d’aujourd’hui. Cette institution est encore littéralement plus en déphasage avec les aspirations des peuples de ses Etats membres. Et ses dirigeants ne peuvent plus continuer longtemps à feindre de l’ignorer.

La question qui se pose est alors la suivante : Comment réenchanter la CEDEAO ? Elle doit être refondée sur la base exclusivement de principes démocratiques. Ne saurait être désormais membre de la CEDEAO que tout Etat qui respecte ses principes fondateurs parmi lesquels la démocratie et le multipartisme doivent rester pour toujours la pierre angulaire. Si le Nigeria a fermé ses frontières, c’est aussi pour donner à réfléchir à tous les Etats membres de la CEDEAO. Il est impossible de construire des normes économiques communes sans normes politiques communes. Autrement, il faut simplement s’en tenir à des accords de coopération économiques entre Etats d’Afrique de l’Ouest. Un point et un tiret.

Ce dont la CEDEAO a besoin ici et maintenant, c’est de plus de démocratie et de participation citoyenne dans la construction de cet ensemble sous régional qu’est l’Afrique de l’Ouest. Outre les critères de convergence économique, il faudrait dès à présent imposer des critères de convergence politique. Et bien plus encore, faire en sorte que le Parlement de la CEDEAO soit élu par un scrutin général direct dans l’ensemble des pays de l’Afrique de l’Ouest afin d’éviter dorénavant de faire siéger à cette auguste assemblée des députés godillots et illégitimes à la solde d’un tyran. Autrement dit, des Députés qui ne représentent que l’ombre d’eux-mêmes ou qui ne représentent que des coteries - ainsi que c’est aujourd’hui le cas au Bénin - et non l'expression de la diversité des opinions et des choix de leurs peuples.

Au lieu de critiquer la CEDEAO qui le mérite effectivement sur bien des sujets, il conviendrait plutôt de l’encourager à prendre des sanctions plus fermes contre encore les coups d’Etat en Afrique de l’Ouest, pouvant aller jusqu’à exclure carrément de l’organisation tout pays victime d’une prise de Pouvoir ou de maintien au Pouvoir par des moyens non démocratiques d’autorités illégitimes selon le Protocole de la CEDEAO.

Conformément à l'accord de coopération signé le 21 décembre 2019 entre la France et les gouvernements des États membres de l'Union monétaire ouest-africaine (UEMOA), la fin symbolique du franc CFA et la marche vers l’ECO est l’occasion aussi de repenser une CEDEAO plus politique et plus démocratique, voire résolument tournée sinon vers une Fédération sous régionale du moins une intégration plus concrète aux yeux des peuples d’Afrique de l’Ouest.

Il ne suffit pas de décréter la « libre circulation des personnes et des biens » ou d’adopter une monnaie commune pour qu’une intégration économique se fasse. De nombreux exemples ailleurs dans le monde sont là pour le rappeler aux Ouest-Africains. La CEDEAO a désormais intérêt à faire s’intégrer aussi les hommes et les femmes, à commencer surtout par ses jeunes qui représentent l’avenir et qui seront les gouvernants de demain. Ils ont besoin de circuler, d’étudier et de se brasser au sein de ses pays membres grâce à des bourses d’études ou des programmes de rencontres et d’échanges qu’elle devrait mettre à leur disposition. L’objectif final étant de leur permettre de mieux découvrir les pays membres, de mieux connaître leur histoire et de mieux bâtir leur sous-région dans une perspective de développement et un élan de cohésion qui dépasse le cadre des frontières de chaque pays. Les Agriculteurs, la masse la plus importante sur laquelle repose la clé du développement de nombreuses autres activités, eux aussi, doivent percevoir et ressentir directement les effets de leur appartenance à cet espace communautaire, à l’aide de projets ou de subventions nécessaires au développement de leurs différentes activités. Il doit en être de même pour tant d’autres secteurs d’activités... Sans compter qu’il s’avère nécessaire de rassembler tous les Etats membres autour de grands projets à caractère sous-régional pour ne pas à dépendre toujours de l’étranger: Programme spatial, Laboratoire de recherches biomédicales et pharmaceutiques, Forces armées de la CEDEAO, Université de la CEDEAO, Chantiers navals de la CEDEAO, etc. L’intégration économique ne doit pas continuer à être uniquement une incantation lénifiante à l’endroit des Ouest-Africains, juste pour leur donner un sentiment d’appartenance à une communauté qui n’existe pas à leurs yeux dans la réalité des faits au quotidien.

Tout compte fait, l’on ne peut qu’être d’accord avec Adama Gaye, journaliste et essayiste sénégalais, ancien directeur de la communication de la CEDEAO lorsqu’il écrit au lendemain du coup d’Etat du 18 août au Mali contre le Président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) :

« On savait depuis toujours la CEDEAO n’être plus qu’une pâle copie du rêve qui l’avait porté sur les fonts baptismaux, le 29 mai 1975, quand ses pères fondateurs se limitant, contre mauvaise fortune bon cœur, autour d’un projet d’intégration économique comme dénominateur commun, l’avaient ainsi créée en mettant de côté les problématiques politiques, notamment démocratiques, dans un contexte alors marqué par le monopartisme et le règne des régimes absolutistes entre les mains de leaders omnipotents. Le projet fit illusion avec l’adoption rapide des premiers protocoles sur la libre circulation des personnes, biens et services en son sein, que l’on dut à son premier Secrétaire Exécutif, l’ivoirien Diaby Ouattara.

Puis les infrastructures routières transfrontalières, sur de longues distances, firent oublier ses silences sur les aspirations démocratiques qui travaillaient ses peuples en ces premières années de plomb correspondant à ses débuts.

Fast-forward. En se projetant à la CEDEAO d’aujourd’hui, son surplace incarne son pourrissement progressif. Son inutilité et la modicité de ses moyens budgétaires qui la font survivre plus qu’exister l’ont transformée en momie institutionnelle. Elle ne sert plus à rien et ses réunions ou missions de toutes sortes n’ont qu’une conséquence qui est de raboter sa légitimité jusqu’à ne plus en laisser qu’une mince couche invisible. En dehors d’un zèle normatif pour la doter de toutes sortes de textes aussi bien pour la démocratisation, la gestion des crises dans la région, la création d’une monnaie régionale, ou encore l’institution d’une banque communautaire, d’un parlement et d’une cour de justice, rien en elle ne rassure. Elle ronronne*1.

La CEDEAO va certes mal. Et c’est le moins que l’on puisse en dire. Mais si cela peut rassurer les Ouest-Africains, la CEDEAO est l’organisation continentale qui marche le mieux en Afrique. Ce qui en dit long sur l’état de l’Afrique elle-même. Il faut donc bien raison garder et se garder de vouloir jeter l’Enfant avec l’eau du bain. Car sans la CEDEAO, nous ne serions tout simplement Rien. L’Afrique de l’Ouest n’existerait pas en tant qu’entité qui fait bien envie à plus d’une organisation sous-régionale en Afrique.

L’Afrique doit s’unir, certes, mais commençons d’abord par unir l’Afrique de l’Ouest avant de parler de l’Afrique toute entière. L’Afrique de l’Ouest ou si l’on veut la CEDEAO pourrait devenir demain la locomotive de toute l’Union africaine. Ce n’est pas le fait du hasard si le Maroc du Roi Mohammed VI frappe à ses portes et se montre tout particulièrement intéressé à y faire partie intégrante.

« Après avoir fustigé lors de son discours historique à Addis-Abeba les atermoiements pour la constitution d’une véritable Union du Maghreb arabe, et exprimé tout le bien qu’il pensait d’autres organisations continentales plus efficaces, notamment la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) citée nommément, le roi Mohammed VI joint les actes à la parole.

Le Maroc a exprimé, ce vendredi 24 février, sa volonté d’adhérer à la CEDEAO, où il a pour le moment un statut d’observateur. La demande émane du roi Mohammed VI directement. Elle est on ne peut plus officielle, comme on peut le lire sur le site du ministère des Affaires étrangères, qui annonce la décision royale dans un communiqué:

Selon la même source, la demande du Maroc est « en conformité avec les dispositions du Traité fondateur de la CEDEAO « Elle « satisfait totalement aux critères d’adhésion », peut-on encore lire. Une manière d’appuyer encore plus la demande. Aussi, le communiqué ne tarit pas d’éloges sur l’ensemble régional « dont le processus d’intégration est parmi les plus ambitieux et les plus avancés à l’échelle du continent africain *2».

La Mauritanie qui jouit depuis 2017 d’un accord d'association avec la Commission de la CEDEAO n’attend plus que sa réintégration économique à la sous-région.

Si le Maroc qui est situé en Afrique du Nord et dans le Maghreb est très intéressé à entrer dans la CEDEAO pour des raisons qui lui sont propres, il n’y a pas de raison que la Mauritanie qui est géographiquement et tout naturellement en Afrique de l’Ouest n’y soit pas réadmise. Car elle y était déjà même si elle s’était retirée en 2000 au profit de de l'Union du Maghreb Arabe (UMA) dont on connaît les légendaires difficultés des protagonistes à s’entendre. Et pourquoi pas le Tchad – pays carrefour des peuples d’Afrique Noire -, d’où viennent la plupart des peuples d’Afrique de l’Ouest actuelle historiquement parlant. Et, qui plus est, pays qui fut le premier sur le continent à voler au secours du Mali et voire de la France dans la lutte contre le terrorisme. En effet, il faut le dire quoi qu’on puisse penser de Feu le Président Idriss Déby Itno, sans le sacrifice des soldats tchadiens, la France eût été moins tentée et prompte à intervenir au Mali. Que des Forces de défense et de sécurité des autres pays de la CEDEAO se joignent à ce que l’on appelle G5 Sahel aujourd’hui comme embryon indispensable pour former une grande Force Ouest-africaine de lutte contre le terrorisme et que l’on cesse de parler de Sahel et de Subsahariens pour célébrer un début d’union de l’Afrique Noire qui commencera ainsi entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique du Centre.

L’année 1990 se devait de consacrer l’Abolition effective de la Citoyenneté nationale en permettant à tout Citoyen de la CEDEAO d’élire domicile au sein de la communauté, mais aussi et surtout de créer des entreprises à titre permanent dans n’importe quel pays. En 2022, où en est-on de cette disposition-là ? Or, l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) ne concerne que les pays dits Francophones à l’exception de Guinée-Bissau et de la Guinée-Equatoriale, cependant que pour les pays dits Anglophones ou autres et vice-versa, c’est toujours la croix et la bannière pour créer une entreprise au sein de cette même CEDEAO. Et c’est là où le bât blesse : quand il faut aller dans la réalisation pleine et entière des actions prévues ou quand il faut innover pour les besoins de la cause.

Par Marcus Boni Teiga

*1 - Adama Gaye, La Cedeao au Mali: l’éternel train en retard, Financial Afrik, 19 août, 2020 
*2 - Karia Choukrallah, Pourquoi le Maroc veut (enfin) devenir membre de la CEDEAO, Telquel, LE 24 FÉVRIER 2017

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