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TRIBUNE : Le vieux et le neuf

J’ai passé mon enfance et mon adolescence dans la petite ville de Ouellé, à côté de Daoukro, et pendant plusieurs années, nous avons vécu dans la maison qui servait de bureau et de domicile au « commandant de cercle » pendant la colonisation. La Côte d’Ivoire venait à peine d’accéder à l’indépendance et le colon venait à peine de partir. J’ai le souvenir d’une immense maison avec de nombreuses pièces, des chambres à coucher, des bureaux, des cachots, des dépendances, et beaucoup de fleurs et d’arbres. Un jour, un sous-préfet est venu et a détruit cette maison. L’espace est resté vide pendant plusieurs années, avant que l’on ne vienne y construire la mairie. Pourquoi avait-il détruit cette maison, alors qu’il n’y avait pas de nécessité de construire quelque chose à sa place ? Peut-être qu’il trouvait que cette maison au style colonial, qui fut occupé par le colon, ne correspondait plus à sa vision de la Côte d’Ivoire moderne. Il y a encore à Ouellé quelques vieilles maisons datant de cette époque, avec des colonnes ou des soubassements en pierres de taille, que certains habitants de la ville se sont appropriées, ont parfois transformées. Beaucoup d’autres ont été tout simplement rasées pour laisser la place à des maisons dites modernes. Il a aussi, à la sortie de la ville, sur la route d’Ananda, une très vieille maison qui appartint à un Français du nom de Bougarel et que les habitants avaient baptisée « Bougarelkro ». C’était la plus grande maison de la région, une « maison à étage », ce qui en jetait à l’époque. Lorsque le premier poste de gendarmerie fut créé à Ouellé, il fut installé là. Puis il fut déménagé ailleurs et la maison fut abandonnée. Elle est aujourd’hui en ruines.

Il y a à Bocanda, où je suis né, du côté de la sous-préfecture, de nombreuses maisons de ce style. En fait, on en trouve dans toutes nos villes construites avant nos indépendances. J’ai toujours aimé ces vieilles maisons, et je trouve que ce sont elles qui donnent une âme à nos cités. Peut-être parce qu’elles sont les plus anciennes de nos maisons, puisque nous avons détruit tout ce qui constituait notre architecture traditionnelle, en dehors de quelques vieilles mosquées dans le nord, ou peut-être aussi parce qu’elles sont celles qui ont un caractère et ont été construites en tenant compte du climat et de l’environnement, celles qui respectaient un certain plan d’urbanisme. Ce sont ces vieilles maisons coloniales qui ont valu au vieux quartier de Grand-Bassam d’être inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, qui donnent du charme à des villes telles que Jacqueville, Sassandra, Tabou, pour ne citer que quelques-unes. Mais lorsque nous ne les détruisons pas pour construire des maisons dites modernes à leur place, nous les laissons souvent à l’abandon, en attendant que le temps se charge de les détruire. Tout la vieille ville de Grand Lahou a été engloutie par la mer sans que nous ne réagissions.

Au-delà de l’aspect architectural, ces maisons sont aussi chargées d’histoire, de notre histoire. S’y attacher ne signifie nullement que l’on s’attache à une histoire, celle de la colonisation. L’histoire est un tout que l’on assume entièrement, et non morceau par morceau. Et puis, je ne le répèterai jamais assez, les lieux de mémoires sont aussi des vecteurs de développement du tourisme dans tous les pays du monde. Apparemment les Ivoiriens sont les seuls à ne pas le comprendre. Les entretenir, c’est investir dans le tourisme. Nous n’avons pourtant qu’à regarder ce que la « maison des esclaves » de Gorée rapporte au Sénégal. Le Bénin, qui a commencé à investir à son tour dans ses lieux de mémoire commence à en voir les retombées. En janvier dernier j’étais aux « Vodoun days » de Ouidah qui se tenaient là où les esclaves étaient embarqués. J’ai récemment parlé dans ces colonnes de la première école construite en Côte d’Ivoire dans la localité d’Elima, de la première maison de style européen construite en Côte d’Ivoire, et des premières plantations de café créées dans notre pays, toujours dans cette même localité située sur les rivages de la lagune Aby, en face de la ville d’Adiaké. Si nous arrivions à reconstituer cette école, réhabiliter cette maison, et créer un musée du café dans ce village d’Elima, on peut aisément imaginer le nombre de touristes qui y défileront. Et, vu que cette histoire-là est intimement liée à celle de la France en Côte d’Ivoire, il n’y aurait aucune honte à solliciter la coopération, au moins technique, de ce pays dans la réalisation d’un tel projet que nous pourrions parfaitement financer nous-mêmes. Des mécènes ivoiriens pourraient s’y associer.

Mais ce qui se heurterait à la réalisation d’un tel projet est notre haine de tout ce qui est vieux, notre haine de notre propre histoire et notre course effrénée à la modernité. Nous nous sommes mis en tête que pour être « civilisés », pour échapper au qualificatif infamant de « sauvage », il nous fallait gommer toutes traces de notre passé, de notre histoire, et vivre dans la modernité c’est-à-dire dans des maisons et des villes sans style, sans âme, sans originalité.

Par Venance Konan

 

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