Il n’y a guère de coup d’Etat justifiable. Et aucune armée au monde n’est au-dessus du peuple. Son devoir et ce qui fait en même temps sa noblesse, c’est d’assurer la sécurité de son peuple et de protéger l’intégrité territoriale. Son devoir, ce n’est pas de faire des coups d’Etat. Tout coup d’Etat est toujours conduit au mépris de la volonté du peuple dont les auteurs prétendent défendre les intérêts et qui le subit. Mais il est toujours la résultante d’une faillite plus ou moins grave des cadres politiques du pays dans lequel il intervient.
Le coup d’Etat du Général Tchiani au Niger qui n’en est d’ailleurs pas un - puisqu’il emprunte certaines de leurs méthodes aux Terroristes contre lesquels il prétend tenir sa justification. A savoir le kidnapping et le chantage, en retenant comme otage le chef de l’Etat démocratiquement élu, Mohamed Bazoum, qui n’a toujours pas formellement démissionné. Bien au contraire, il fait de la Résistance. Mais les militaires nigériens qui ont mis en place ce qu’ils ont baptisé de leur cru Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), ont aussi pris en otage et le Président Mohamed Bazoum avec sa famille et nombre de ses ministres ou autres collaborateurs. Des méthodes qui rappellent étrangement et tristement la situation en Haïti, avec sa guerre des gangs et ses prises d’otages. Sauf qu’ici, à Niamey, les militaires nigériens du CNSP ne réclament que le Pouvoir en guise de rançon de ce kidnapping en masse des officiels nigériens du Cabinet de Bazoum.
« À l'heure où nous en avons besoin, j'appelle le gouvernement américain et toute la communauté internationale à nous aider à rétablir notre ordre constitutionnel. Lutter pour nos valeurs communes, y compris le pluralisme démocratique et le respect de l'État de droit, est le seul moyen de progresser durablement dans la lutte contre la pauvreté et le terrorisme. Le peuple nigérien n'oubliera jamais votre soutien en ce moment charnière de notre histoire. »
Ainsi s’est exprimé le Président Bazoum lui-même dans sa Tribune dans le « Washington Post » et reprise sur le site officiel de la Présidence de la République du Niger.
Avec le précédent historique que le CSP a créé au Niger et dont les répercussions pourraient être incalculables, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) mais aussi l’Union africaine (UA) ont péché par leur incapacité à ne plus tolérer des mercenaires étrangers en Afrique et notamment ceux de Wagner associés au Président de la Russie, Vladimir Poutine. Une erreur politique et diplomatique grave dont on peut clairement apprécier les conséquences non seulement au Mali, au Burkina Faso mais maintenant au Niger. Et pourtant, les textes et lois de l’Union africaine qui s’imposent à tous sont formels sur cette dangereuse question du mercenariat.
Et le Président Mohamed Bazoum fait une analyse pertinente et exacte lorsqu’il écrit :
« Dans la région agitée du Sahel en Afrique, le Niger est le dernier bastion du respect des droits de l'homme au milieu des mouvements autoritaires qui ont pris le pas sur certains de nos voisins. Si cette tentative de coup d'État est une tragédie pour les Nigériens, son succès aurait des conséquences dévastatrices bien au-delà de nos frontières.
Avec une invitation ouverte des comploteurs de coup d’État et de leurs alliés régionaux, toute la région centrale du Sahel pourrait tomber sous l’influence russe via le groupe Wagner, dont le terrorisme brutal a été mis en évidence en Ukraine.
Boko Haram et d'autres mouvements terroristes profiteront certainement de l'instabilité du Niger, en utilisant notre pays comme un terrain d'étape pour attaquer les pays voisins et saper la paix, la sécurité et la liberté dans le monde. Ils intensifieront leurs efforts pour cibler nos jeunes avec un endoctrinement anti-occidental haineux, les montant contre les partenaires mêmes qui nous aident à bâtir un avenir plus porteur d'espoir ».
Si la CEDEAO ne se donne pas la force et les moyens de restaurer l’ordre constitutionnel au Niger, il faudrait alors dire définitivement « Adieu à la Démocratie » en Afrique de l’Ouest. Car ce qu’il se joue au Niger, ce n’est pas seulement un coup. Quel que soit le nom qu’il porte. C’est aussi le coup de grâce à tout l’édifice complexe et indispensable à l’apprentissage démocratique que les peuples d’Afrique de l’Ouest ont mis en place depuis plusieurs décennies. Ce qu’il se joue, c’est encore et surtout la volonté d’internationaliser l’institution des pouvoirs ou régimes autocratiques, voire dictatoriaux pour contrer une certaine idée que l’on se fait du Pouvoir en Occident, en s’opposant à toute forme de Démocratie en Afrique au prétexte que c‘est une invention occidentale lors même que la Démocratie n’est pas née en Occident mais elle est bel bien née en Afrique.
Comme l’a si bien dit mon confrère ivoirien Venance Konan :
« Ce coup d’Etat au Niger est le quatrième en moins de trois ans dans notre espace CEDEAO. Il s’en est fallu de peu qu’il n’y en ait eu un cinquième en Guinée Bissau. Pourquoi tous ces putschs dans cette région ? Est-elle la plus pauvre d’Afrique, celle où il y a le plus d’insécurité ? Nous devons nous interroger. Et, en dehors de la Guinée Bissau où la tentative de coup d’Etat a échoué, ils se sont tous passés dans des pays francophones. Interrogeons-nous aussi sur cet aspect. Mais je crois qu’il y a tous ces coups d’Etat surtout parce qu’il n’y a personne pour les empêcher. Et visiblement, il y a quelqu’un derrière qui en tire un grand profit. Comme dirait Laurent Gbagbo, on voit le dos du nageur. Un nageur qui, à vrai dire n’a jamais caché ses intentions. Il y a eu cette vidéo diffusée par le groupe russe Wagner qui annonçait clairement que la Côte d’Ivoire se trouvait dans son viseur. Après la mutinerie avortée du patron de Wagner, il avait été annoncé que ce groupe allait désormais se déployer en Afrique, un continent trop juteux pour la Russie pour qu’elle l’abandonne. Et on a vu ce patron de Wagner que l’on croyait en disgrâce, plastronner dans les environs du sommet Russie-Afrique qui vient de se tenir à Saint-Pétersbourg »
Que ceux qui ne veulent pas de la CEDEAO, la quittent. Mais la CEDEAO doit rester très ferme et ne plus autoriser que, nulle part dans la sous-région, les militaires ne désertent les casernes pour gérer le Pouvoir politique. Et cela quel que soit ce que cela devrait coûter. Mais la CEDEAO ne doit pas oublier une chose, que cette même fermeté doit aussi prévaloir à l’égard des dirigeants en son propre sein qui ont savamment dévoyé les textes et lois de leurs pays au mépris de leurs peuples afin de se maintenir au pouvoir au-delà de la volonté des peuples. Et désormais, il va falloir contraindre les auteurs de coups d’Etats constitutionnels ou institutionnels à restaurer l’ordre démocratique sur lequel, au moyen de référendum, seul le peuple est habilité à se prononcer. Et cela de manière démocratique et transparente.
L'ancien Président des Etats-Unis, Barack Obama, avait en effet bel et bien raison lorsqu’il déclara à l’occasion de son voyage en Afrique à Accra : « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes ». Une profession de foi qu’il martela encore une fois du haut de la tribune de l’Union africaine à Addis-Abeba en Ethiopie. Tant que les Africains ne mettront en place des institutions fortes, il y aura toujours des politiciens véreux pour ruser avec la Démocratie à leur détriment. Et si l'Occident continue à tolérer ces tricheries grotesques, les démocrates africains finiront par leur tourner définitivement le dos, advienne que pourra, que ce soit pour aller vers la Chine ou la Russie. Tout juste pour se débarrasser de ces pseudo-démocraties africaines sur lesquelles les Démocraties occidentales n’hésitent pas sinon à fermer les yeux, du moins à détourner les regards dès lors que leurs exactions ou leurs entorses aux principes fondamentaux de la Démocratie ne dérangent pas autrement leurs intérêts.
La CEDEAO doit restaurer l’ordre constitutionnel au Niger ou se saborder. Quel que soit ce que certains pays africains comme l’Algérie ou non africains qui feraient mieux de se taire pensent de cette situation. Il n’y a aucune autre alternative possible si la CEDEAO tient à exister encore en tant qu’institution. Quitte à se réformer de l’intérieur pour instaurer un nouvel ordre régional. Il y va de sa propre crédibilité, voire carrément de sa survie.
Par Marcus Boni Teiga