« Il paraît que, dans certains milieux, l’on a feint de découvrir en moi un « ennemi de l’Europe » et un prophète du retour au passé anté-européen. Pour ma part, je cherche vainement où j’ai pu tenir de pareils discours ; où l’on m’a vu sous-estimer l’importance de l’Europe dans l’histoire de la pensée humaine ; où l’on m’a entendu prêcher un quelconque retour ; où l’on m’a vu prétendre qu’il pouvait y avoir retour.
La vérité est que j’ai dit tout autre chose : savoir que le grand drame historique de l’Afrique a moins été sa mise en contact tardive avec le reste du monde, que la manière dont ce contact a été opéré ; que c’est au moment où l’Europe est tombée entre les mains des financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules que l’Europe s’est « propagée » ; que notre malchance a voulu que ce soit cette Europe-là que nous ayons rencontrée sur notre route et que l’Europe est comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de l’histoire ». Dixit Aimé Césaire dans son mémorable et sublimissime ouvrage Discours sur le colonialisme.
L’évolution des hommes, des groupes humains, des Sociétés, des Pays, des Nations et des Continents est toujours inhérente à de nombreux facteurs dont certains peuvent être maîtrisés, planifiés ou contrôlés. D’autres sont malheureusement des impondérables qui échappent littéralement à toute projection ou prévention relevant des capacités humaines. Eléments perturbateurs sans être pour autant limitatifs, ils peuvent ralentir et non empêcher la marche vers le progrès. Au cœur de ces différents facteurs nécessaires à toute évolution, il y a surtout l’humain et la technologie qui sont indispensables à son impulsion. De la plus haute Antiquité à nos jours, le développement – cela s’entend au sens d’une transformation sociale organisée et favorable à l’émancipation d’une communauté humaine - offre différents cas de figures à l’étude des sociétés humaines dans le cadre spatio-temporel.
De même que toute communauté humaine peut connaître son Apogée, de même elle peut connaître son effondrement pour repartir à zéro. Et, Aimé Césaire a tout à fait raison de défendre cette idée que l’Afrique n’avait pas besoin de rencontrer l’Europe sur son chemin avant de prétendre à un quelconque développement ou une quelconque modernité. Comme beaucoup d’esprits bien souvent ignorants de l’Histoire de l’Afrique en Occident le pensent et l’assènent en guise de réponse au passé esclavagiste et colonial de l’Occident. Sans se douter qu’au fond, à bien y regarder, l’Occident doit tous les fondements essentiels sa propre Civilisation à l’Afrique Noire Antique. L’Egypte Antique – il faut bien le dire - est là pour illustrer de manière éloquente le degré de progrès et de modernisme auquel l’Afrique ancienne a accédé par le passé. Bien avant l’Egypte antique, la Nubie Antique atteignit un degré de progrès à son époque au point de diffuser ses éléments de Civilisation à travers le monde et en particulier dans l’Inde la plus ancienne. Bien des millénaires avant que l’Occident n’en vienne à en reprendre certains de ces mêmes éléments de Civilisation que l’Egypte Antique hérita de la Nubie Antique pour se forger ce que l’on appellera plus tard la Civilisation occidentale. Est-il encore besoin d’inviter à la contradiction tous ceux qui pensent le contraire…L’on cherchera en effet pendant longtemps, dans ce que l’Occident colonisateur de l’Afrique et de bien d’autres pays et régions du monde et par conséquent devenu condescendant et arrogant, ce qu’il appelle ses racines Indo-européennes sans passer par l’Afrique Noire Antique et plus précisément la Vallée du Nil. Qui dit le contraire ?
A la suite de ce malencontreux accident qui a fait se rencontrer les Ancêtres des Occidentaux avec les Ancêtres des Africains en ces temps de conquêtes et de barbaries caractéristiques des périodes de l’Esclavage et la Colonisation, les gouvernants occidentaux d’aujourd’hui n’ont décidément pas toujours compris grand-chose de l’Afrique. Car la résilience de l’Afrique n’est ni une soumission ni une invitation à la répétition de l’Histoire. Et même si les temps ont bel et bien changé et qu’on ne saurait accuser ou rendre responsables les Occidentaux d’aujourd’hui des torts que leurs Ancêtres causèrent aux Ancêtres des Africains d’aujourd’hui, il reste un fait indéniable : c’est que l’Occident, d’hier à aujourd’hui, aura bénéficié pour son développement économique et son progrès technologique des pillages commis en Afrique. Par conséquent, la moindre des choses que ce continent est en droit d’attendre de l’Occident demeure un peu de respect et beaucoup de solidarité plutôt que du paternalisme dont font souvent montre la plupart des dirigeants de l’Occident vis-à-vis de leurs homologues d’Afrique. Une solidarité qui ne doit confiner ni à de la mendicité et la tentation de la paresse de la part des Africains ni au dédouanement et à la tentation de l’expiation pour les Occidentaux.
Ce que les dirigeants occidentaux n’ont vraiment pas encore compris de l’Afrique, c’est que les pays peuvent être pauvres mais dignes, en refusant de se faire dicter la façon dont les Africains doivent se conduire par l’Occident et ses grandes puissances lors même que les Africains ne pipent jamais mot dans les affaires des Occidentaux. Ce que les dirigeants occidentaux d’aujourd’hui n’ont définitivement pas encore compris de l’Afrique, c’est que cette arrogance et ce paternalisme à vouloir s’ériger donneurs de leçons et en faiseurs de lois universelles imposables à l’Afrique contribuent à distendre ses relations avec l’Afrique. Ce qui n’empêche pas les Africains de reconnaître qu’il y a dans l’existence humaine des valeurs qui sont universelles. A l’instar du caractère éminemment sacré de la vie ou des libertés individuelles et collectives. La Charte du Manden ou Charte de Kouroukan Fouga et bien avant cette fameuse charte désormais Patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO depuis 2009, le concept de « ANKH » de l’Egypte Antique, proclame en vérité dans sa signification première le caractère sacré de toute vie et tout son corollaire de droits inaliénables.
Même après ce passé douloureux fait d’Esclavage et de Colonisation, l’Occident a malheureusement continuer à regarder l’Afrique de haut. Hélas !...Toutes ces erreurs accumulées quant aux regards que les dirigeants occidentaux continuent de porter sur les pays africains à travers le prisme du passé, éloigne progressivement l’Afrique de l’Occident d’un point de vue géopolitique aujourd’hui. Pourtant ! Et pourtant… l’Europe et l’Afrique sont si proches non seulement par la Géographie mais également par l’Histoire, notamment ce passé commun certes très douloureux mais qu’on ne saurait jamais ni occulté ni effacé, qu’ils devraient en principe mieux se rapprocher que s’éloigner. A l’inverse, cette attitude prétentieuse et irréfléchie de l’Occident et cette collusion avec les dirigeants qui ne profitent en rien aux populations a depuis longtemps fait le lit des puissances émergentes comme la Chine et la Russie. Lesquelles sont bien loin d’être tout aussi exemptes de critiques. Bien au contraire ! Elles ont seulement une toute autre approche et une façon d’agir dans leurs relations avec les Africains, en l’occurrence les chefs d’Etat ou de gouvernements, qui leur commande d’éviter minutieusement de s’immiscer dans les sujets politiques sans y être invités et de fuir soigneusement des sujets de société sur lesquels les Africains sont les seuls à décider. Car chaque société humaine créant sa propre « merde » dans toute l’acception du terme, il appartient à chaque société humaine de recycler sa propre « merde ». Et nullement à quelque partenaire étranger, fût-il voisin ou ami et quel qu’il soit ou d’où qu’il vienne, de dire aux Africains comment ils doivent marcher ou comment ils doivent s’habiller, etc. Comme s’il s’agissait de sempiternels enfants qui ne peuvent pas se débrouiller tout seuls et à qui il faut tout inculquer et pire en se tenant derrière eux, comme des Gardes-chiourmes d’une époque définitivement révolue. Seulement voilà : les Chefs d’Etat ou de gouvernement d’Afrique parmi lesquels des Dictateurs, Kleptocrates et autres prédateurs économiques ne doivent pas souvent attendre que les dirigeants occidentaux leur fassent des allusions explicites ou implicites aux aspirations de leurs peuples à la démocratie et la bonne gouvernance pour se dresser, comme subitement piqués au vif, en ardents défenseurs de l’indépendance ou de la souveraineté des pays africains. Au point de vouloir faire croire aux Africains que la Démocratie est une invention occidentale qui n’a rien à voir avec la culture africaine, ce qui est absolument faux bien entendu. En effet, de telles arguties ne sont souvent brandies en désespoir de cause et à des fins politiciennes que pour mieux préparer une certaine opinion publique africaine à la soumissions aux dérives autoritaires et à s’opposer à tout ce qui est estampillé Occident. Et même si cela est bon pour l’Afrique. Au nom prétendument de l’indépendance ou de la souveraineté des pays africains.
Par Marcus Boni Teiga