Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, au moins, Feu le Président tchadien, Idriss Déby Itno est l’un des tout premiers dirigeants africains à décrier les Accords de coopération monétaire des pays francophones avec la France et il a toujours été constant dans son combat et son argumentaire à ce sujet. Ainsi, lors d’un entretien accordé à plusieurs médias français, en l’occurrence RFI, TV5 et Le Monde, il avait affirmé notamment : « Cette histoire de pré-carré…Vous avez écouté dernièrement le président Alpha Condé de la Guinée-Conakry. Il dit qu’il faut couper ce cordon. Moi je suis d’avis qu’il faut couper ce cordon (…) Il faut que cette monnaie devienne la monnaie de ces pays-là, mais que le Trésor ne nous gère pas, que le Trésor français ne nous gère pas notre monnaie, que nous en tant que pays souverains nous gérions notre monnaie par nous-mêmes, par notre propre banque centrale (…) Il y a trois Français qui siègent avec nous et qui ont le droit de tout. Où est la souveraineté monétaire dans ça. Comment voulez-vous que l’Afrique francophone se construise dans cette situation ? »
Il avait ajouté : « Nos amis, nos collègues chefs d’Etat anglophones, lusophones, arabophones nous le disent, que si nous connaissons aujourd’hui des malheurs, c’est à cause de vous francophones : avec votre Francophonie, votre machin…Ils nous le disent… »
Bien avant même que le Président Patrice Talon, pour des raisons inavouées et éminemment politiciennes, n’embouche la trompette à une certaine époque. En clair, l’interview au cours de laquelle le Président Idriss Déby Itno avait frappé du poing sur la table à propos du Franc CFA date de 2017. Elle est bien antérieure à la sortie médiatique de Patrice Talon qui a eu lieu seulement jeudi 07 novembre 2019. Laquelle ne procédait que d'une opération de communication politique de sa part. Après sa révision de la Constitution du 11 décembre 1990 au forceps, il cherchait indirectement un moyen de redorer, aux yeux des Africains, son image désormais ternie d’un Président dont les réformes sociopolitiques ont finalement exclu l’opposition du jeu politique et institué une dictature dans un pays qui est pourtant le premier en Afrique francophone à tourner le dos au Parti unique et à proclamer le multipartisme intégral. En adoptant, par la même occasion, la Constitution du 11 décembre 1990.
Or, sous le titre Réforme du Franc CFA : Talon a sonné le tocsin ! Après Patrice Talon, Idriss Deby réagit : « L’injustice a trop duré, les « Klébés » (thuriféraires) du Président béninois ont voulu faire accroire aux Africains que c’est lui qui a déclenché la fronde contre le Franc CFA alors qu’il n’en est absolument rien.
Il y a longtemps que d’autres chefs d’Etat africains ont déjà, bien avant lui, dénoncé ces accords avec la France autour du Franc CFA.
En vérité, le Franc CFA est devenu un argument d’autorité pour les populistes et autres acteurs sociopolitiques en mal de popularité. Car si les Africains ne sont pas contents, personne ne les empêche de s’organiser eux-mêmes en Afrique au lieu de continuer à dépendre de la France pour ce qui est de leur monnaie et bien d’autres choses encore. Mais beaucoup préfèrent s’attaquer à la France tout simplement parce que, ce faisant, c’est plus facile d’enfumer le monde pour mieux paraître au lieu d’assumer leurs responsabilités.
Comme s’interrogea le Président Idriss Déby Itno : « Maintenant, est-ce que les pays africains sont prêts à aller vers une intégration pour que nous puissions laisser aux générations futures un continent uni sans frontières ? (...) Il faut aller rapidement vers une intégration globale du continent africain ». Et d’insister : « Les petites monnaies de chaque pays, Franc CFA d'un côté (...) il n'y a pas d'espoir. Si on veut donner un espoir au continent africain, aux Africains, prenons-nous en charge, prenons nos responsabilités, assumons-nous ».
Pourquoi discourir longuement et de manière trop compliquée lors même qu’on peut faire plus court et simple ? Le désarrimage ou l’abandon du Franc CFA en usage dans les anciennes colonies de la France principalement ne doit plus faire l’objet de tabou. Y compris pour les populations. Mais au lieu que les élites intellectuelles et politiques des pays concernés passent le plus clair de leurs temps à épiloguer sur le sujet, elles doivent aller droit au but et jusqu’au bout de leur logique. En signant l’arrêt de mort définitif du Franc CFA, si les choses sont aussi simples que ça au lieu de continuer à mentir aux populations africaines dont la plupart n’y comprennent pas grand-chose sur les avantages d’une telle opération. En effet, pour beaucoup, il s’agit d’une stratégie qui consiste à masquer leur incapacité à faire face aux régimes politiques en place ou à utiliser une thématique électoraliste en prétendant défendre une certaine souveraineté de l’Afrique par l’abandon et le désarrimage du Franc CFA à l’Euro.
Il est trop facile de se faire passer pour un ardent défenseur de la mise à mort du Franc CFA et son désarrimage de l’Euro quand ce sont ces mêmes élites – intellectuelles, politiques et économiques -, qui s’en tireront le mieux, avec le moins de dommages collatéraux, en fin de compte. Et que, malheureusement, ce sont les populations qui ont déjà énormément du mal à vivre en l’état actuel des économies de leur pays respectifs qui en pâtiront le plus, en y payant le prix fort. Car l’abandon tout comme le maintien du Franc CFA a des avantages et des inconvénients et il faut bien le dire aussi. Non pas qu’il faille conserver et perpétuer le Franc CFA, mais en revanche qu’il ne faille nullement se leurrer quant aux conséquences d’un désengagement brutal sur les économies nationales. Ce que les ardents défenseurs de la sortie brutale du Franc CFA oublient de dire aux populations africaines, c’est que cette opération a un coût économique énorme auquel il faut tout d’abord se préparer et ensuite faire face. Le seul avantage le plus immédiat pour tous, toutes catégories sociales confondues, n’étant que l’accession à la souveraineté monétaire par l’ensemble des pays de l’espace CFA. Et après ?...Si l’on est tous d’accord, pour des raisons de souveraineté et tutti quanti…, qu’il faut abandonner le Franc CFA et le plus tôt que possible, c’est de cet après qu’il convient avant toute chose de se préoccuper. Au lieu de cela, des esprits malins et bien d’habiles manipulateurs ne se privent guère d’aller vociférer sur tous les toits tout le mal que l’on pense du CFA. Sans pour autant brandir la panacée aux conséquences de cette opération. « L’élégance d’un silence vaut mieux que l’impuissance de tous les mots », a dit fort joliment John Joos. Sinon, qu’attend-on pour abandonner le CFA ? Maintenant que des pays d’Afrique Francophone à l’instar de la Centrafrique, le Mali et le Burkina Faso ont pris leurs distances avec la France, pour des raisons de souveraineté, il s’agit d’une occasion rêvée de montrer le chemin à suivre…Après tout, les pays anglophones d’Afrique ont presque tous leur propre monnaie. Et ils n’en sont pas morts. Pourquoi pas les pays francophones d’Afrique ? La Guinée, Madagascar, la Mauritanie en sont des exemples éloquents.
D'aucuns objecteraient à ce propos qu’au lieu d’évoluer séparément, il s’agit plutôt de chercher les voies et moyens d’asseoir l’architecture d’une monnaie unique au sein de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), à savoir l’ECO, en remplacement du Franc CFA. Mais qu’à cela ne tienne, si c’est aussi simple que ça, chaque pays pourrait frapper sa propre monnaie d’abord en attendant l’avènement de l’ECO dont la mise en place – comme on le sait - n’a de cesse de s’éloigner à chaque fois que l’on s’approche de la date butoir fixée par les chefs d’Etats et de gouvernement des pays membres de la CEDEAO. En somme, une monnaie renvoyée sempiternellement aux calendes africaines.
L’on peut ne pas apprécier le Président Emmanuel Macron sur certains plans, mais l’une des rares fois où son intervention a été la plus appropriée à l’égard de l’Afrique, c’était justement quand il a dit aux chefs d’Etat africains : « Si on ne se sent pas heureux dans la zone franc, on la quitte et on crée sa propre monnaie comme l’ont fait la Mauritanie et le Madagascar ». Tout y est dit en peu de mots. Le reste ne relève que de l’ordre des manipulations populistes et autres spectacles comiques qui n’apportent absolument rien de plus aux Africaines et aux Africains.
Par Marcus Boni Teiga