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TRIBUNE/HISTOIRE - CÔTE D’IVOIRE : Peuple margouillat

Venance Konan
Venance Konan.

Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion de visiter quelques-unes des îles Ehotilé, situées en face d’Assinie. Il y en a six, mais je n’ai pu en visiter que trois. C’est sur ces îles que vivait le peuple Ehotilé il y a très longtemps de cela, avant de venir vivre sur la terre ferme. L’endroit est paradisiaque et protégé, et on y trouve toutes sortes d’oiseaux et de plantes médicinales. Mais ce qui m’a le plus marqué fut la présence sur l’une de ces îles de deux fûts de canons français que des experts qui les ont vus avant moi datent de l’époque du roi Louis XIV en France. Leur poids doit se situer autour de la tonne. L’un de ces fûts de canon est presque entièrement enfoncé dans la vase et disparaitra certainement si rien n’est fait pour l’en sortir rapidement. Le second fût a pu être placé sur des morceaux de bois très fragiles, mais si personne ne s’en occupe, il disparaîtra lui aussi dans la vase. Et c’est une partie de notre histoire qui aura ainsi disparu comme tant d’autres pans de cette histoire, parce que nous n’aurions pas su la préserver.

Ces deux canons, sont pour moi, le témoignage de notre rencontre, de la rencontre d’Assinie avec la France, pays auquel le destin du nôtre fut si lié que nous en parlons la langue et que bon nombre d’entre nous considèrent peu ou prou comme leur seconde patrie. Si j’en crois l’histoire qui me fut enseignée par les livres, et que l’on peut retrouver sur internet, c’est en 1637 que cinq missionnaires capucins, venus de Saint-Malo en France, s’installèrent à Assinie pour évangéliser. Trois d’entre eux moururent et les deux autres migrèrent à Axim, qui se trouve dans le pays qui est devenu plus tard le Ghana. En 1687, de nouveaux missionnaires accompagnés de commerçants français revinrent s’installer à Assinie où ils construisirent un fort. Parmi eux se trouvaient un certain chevalier d’Amon et un amiral du nom de Jean-Baptiste du Casse qui seront reçus à la cour du roi d’Assinie. Ils repartiront avec deux jeunes hommes de la cour, Aniaba et Banga qui seront présentés à la cour de Louis XIV. Aniaba sera baptisé par le célèbre évêque Bossuet de Meaux, et les deux jeunes gens deviendront officiers dans le Régiment du Roi de France avant de rentrer à Assinie où l’on perdra leurs traces. 

C’est Arthur Verdier qui le premier mettra la région d’Assinie en valeur en y créant les premières plantations de caféiers et de cacaoyers, pendant qu’à partir de 1885, Assinie devient le centre d’où partent, en direction du nord, les missions d’exploration du reste de ce qui deviendra la Côte d’Ivoire. Assinie perdra par la suite son importance au profit de Grand-Bassam, puis de Bingerville et d’Abidjan.

Tout cela est de l’histoire. Notre histoire que nous devrions nous garder de perdre. Un peuple qui ne connaît pas son histoire est un arbre sans racines et nous, Ivoiriens, avons semble-t-il choisi de ne pas avoir d’histoire, ou de ne retenir de notre histoire que ce que celui qui nous a colonisés nous a légué. Ainsi nous n’avons comme monuments aux morts que ceux dressés par la France coloniale pour honorer ses morts des deux guerres mondiales. Nous avons détruit nous-mêmes le monument que nous avions dressés à nos propres morts. Les rues les plus prestigieuses du quartier le plus moderne de notre plus grande ville portent toujours les noms que les Français ont bien voulu donner à ceux des leurs qui nous ont « civilisés », c’est-à-dire qui nous ont massacrés, pour tout dire. Nous n’avons pas encore compris l’importance des lieux de mémoire dans le développement de notre identité et du tourisme. Je ne cesserai ici de dénoncer le peuple Baoulé, auquel j’appartiens, peuple qui a fourni deux présidents de la République à la Côte d’Ivoire, ainsi que d’éminents historiens, et qui n’a pas encore compris l’importance de créer un lieu pour commémorer le sacrifice du fils de sa première reine, Abla Pokou, sacrifice qui donna à ce peuple son nom et son existence. Peuple qui s’enorgueillit d’avoir engendré un demi-dieu baptisé Houphouët-Boigny et qui n’est même pas capable de planter un simple panneau à l’entrée de la ville où il est né et enterré pour en informer les visiteurs. O honte !

Sauvons les canons des îles Ehotilé avant qu’il ne soit trop tard. Leur sauvetage ne ruinera pas la Côte d’Ivoire, et des Français pourraient dépenser de l’argent pour aller les regarder. Cessons d’être ce peuple margouillat qui détruit tout ce qu’il construit de ses pattes avec sa queue.

Par Venance Konan

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