Boubou Hama a été une personnalité africaine à plusieurs casquettes. Et le charisme ainsi que la production littéraire de celui qui fut et reste dans l’histoire de son pays non seulement le premier instituteur mais aussi le Président de l’Assemblée nationale de 1958 à 1974 va bien au-delà du Niger et de l’Afrique.
Comme il aimait à l’évoquer, c’est dans la brousse du Niger qu’il est né. Boubou Hama a vu le jour officiellement en 1906, à Fonéko. Situé à l’Ouest du Niger, Fonéko est à l’image de toutes les localités du pays Songhai de sa taille. Contrairement à bien des enfants de son âge, lui qui est fils d’un chef de village, aura une chance insigne que celle d’aller à l’école. Boubou Hama fréquente alors l'Ecole préparatoire de Téra de 1916 à 1918. A la suite de cette étape préparatoire, comme son nom l’indique, il va intégrer l'Ecole primaire régionale de Dori, située dans ce qui était la Haute-Volta de l’époque (actuel Burkina Faso). En ces années de découpages politiques et administratifs de ses colonies, en l’occurrence le partage de la Haute Volta entre la Côte d'Ivoire, le Soudan français (Mali) et le Niger, cette partie se retrouva annexée à la Colonie du Niger. Son apprentissage scolaire se poursuivra à l'Ecole élémentaire supérieure, concernant les classes de 6e et de 5e à Ouagadougou en Haute-Volta afin de préparer le concours d'entrée à la célèbre École normale William Ponty de Dakar au Sénégal. A l’époque coloniale, Dakar n’était pas que seulement la capitale du Sénégal. Elle était également la capitale de l’Afrique occidentale française (AOF) et siège du Gouverneur.
Un infatigable pédagogue
Comme tous les premiers intellectuels de l’AOF et une bonne partie des premiers Présidents de la République de la période d’après les indépendances, la capitale de l’AOF est un passage obligé. C’est le centre du Savoir par excellence pour ces colonies. C’est là à Dakar qu’il commence sa formation professionnelle en 1926. Et, quelques années plus tard, il en sort en 1929 en tant que premier instituteur du Niger. L’objectif premier de l’administration coloniale est à d’avoir la fois des auxiliaires et le plus soumis possible. Malheureusement, tout ne va pas se passer comme souhaité avec Boubou Hama.
Une fois de retour dans son pays, Boubou Hama fut d’abord chargé de cours à l'Ecole régionale de Niamey, la capitale du pays. Par la suite, il retrouvera sa brousse du Sahel qu’il aime tant évoquer lorsqu’en 1935, il se voit affecté à l'Ecole élémentaire de Tillabéri. Au contact du terrain et précisément de ses réalités, va s’affirmer son engagement dans la politique. D’autant plus que, sur place, Boubou Hama est directement confronté aux injustices que fait subir l’administration coloniale aux populations locales, notamment dans la question des terres et de la propriété foncière. Son engagement aux côtés des populations vont lui valoir d’être sanctionné par une affectation à Niamey en 1938. Mais cela ne va pas le dissuader de continuer son combat, y compris dans les classes où il enseigne, au point de susciter l’ire de ses supérieurs. En opposition à ce sujet avec le Gouverneur Jean-François Toby, Boubou Hama est envoyé à l'Ecole régionale de Dori en 1945, comme pour l’éloigner des siens. Car le Gouverneur Jean-François Toby n’apprécie guère ce que tente d’inculquer le Sieur Boubou Hama à ses apprenants.
Un historien et un conteur de talent
Outre sa fonction d’enseignant, Boubou Hama s’investit beaucoup dans la recherche notamment dans la collecte des traditions et leur préservation à travers l’écriture, son autre passion. Il fait une rencontre qui va lui servir de tremplin pour mettre en valeur son travail. Il s’agit de sa collaboration avec le médecin des troupes coloniales, le Docteur Jean Boulnois qu’il rencontra en 1933 à Tillabéri. Leur collaboration propulse Boubou Hama au-devant de la scène. Il devient un chercheur d'envergure universitaire et l’un des grands spécialistes sur l’Histoire de l’Afrique Noire antique. En effet, le Docteur Jean Boulnois qui a déjà fait parler de lui dans le monde à travers ses publications précédentes. En arrivant au Niger, il fut l’un des premiers à cette époque à établir des liens entres les coutumes et croyances dravidiennes de l'Inde et les coutumes et croyances des peuples d’Afrique de l’Ouest. Il avait en effet officié aussi en tant que médecin des troupes coloniales de 1932 à 1935 au Tamil Nadu et au Bengale en Inde. Restait à élucider ces similitudes de coutumes et croyances avec des peuples qui, a priori, n’avaient rien en commun et géographiquement aux antipodes.
Dans son ouvrage intitulé Spiritualité : Pourquoi le yoga n'est pas né en Inde : les secrets des origines des Davidiens paru aux Editions Complicité à Paris en 2020, Marcus Boni Teiga va confirmer que le Docteur Jean Boulnois avait raison en écrivant : « Certains ont critiqué le travail de J. Boulnois, Médecin colonial dans les établissements français de l’Inde dans l’entre-deux-guerres et auteur de Le caducée et la symbolique dravidienne indo-méditerranéenne de l'arbre, de la pierre, du serpent et de la déesse-mère. Mais quelles qu’aient été, en son temps, les conclusions auxquelles il était parvenu, il fut au nombre de ceux qui avaient vu à travers les cultes des serpents du Sud de l’Inde, la survivance des cultes des Déesses-Mères du Néolithique et par conséquent celle de la Civilisation dravidienne comme la plus ancienne civilisation de l’Inde. A telle enseigne que pour lui, le lien pouvait être fait d’emblée entre les Dravidiens et les anciens Egyptiens via le Proche-Orient. Cela demeure tout à fait logique et cohérent indépendamment de ses analyses si l’on admet que tout ce grand espace géographique était habité et imprégné par la culture de peuples qui partageaient un même substrat lorsque l’on remonte à plus de quatre mille ans avant Jésus-Christ. Et cela longtemps, bien longtemps avant l’arrivée en Inde des Aryens ».
Avec le Docteur Jean Boulnois, Boubou Hama s’engage dans la publication de : L'Empire de Gao : histoire, coutumes et magie des Sonraï, publié en 1954 aux Editions Maisonneuve est préfacé par le Professeur Théodore Monod.
L’historien nigérien, Boubou Hama, ancien Président de l’Assemblée nationale du Niger, est l’un des tout premiers à évoquer l’origine égyptienne très probable des Proto-Moose de Diamaré. Décrivant les tombes de ces migrants et leur manière de s’habiller, il les assimile aux Coptes. Jean Rouch, lui aussi, pense que les Ancêtres des Songhay et Kurumay, Peul, Touareg, Gourmantché, Haoussa, Bella et Bariba viennent de l’Egypte ancienne.
Boubé A. Namaïwa, écrit dans Croyances, ethnie et identité au Sahel, Du multiple à l’Un, Éthiopiques n°90., 1er semestre 2013: « La première leçon qui s’impose d’emblée est celle qui fait référence aux origines. Selon la cosmogonie Songhaï, les ancêtres des Nabissa et des Farfarouse seraient installés dans l’espace nigérien en provenance d’Egypte. Leur premier site fut le Zarmaganda, une région traversée par le Dallol Bosso. Cet espace était déjà habité par les Babakou ou Gandji Bi, des génies noirs autochtones. « Après une période conflictuelle, les Gandji Bi ont été acculés au fleuve et rejetés sur sa rive droite, donnant ainsi accès à la vallée du fleuve aux nouveaux arrivants » dit l’historien et archéologue nigérien Boubé Gado. Il est important de remarquer ici que cette cosmogonie prend le contre-pied de l’idéologie qui, depuis l’arrivée de l’Islam, s’est imposée aux populations de l’espace nigérien et qui fait remonter leurs arbres généalogiques soit au prophète de l’Islam ou à un de ses compagnons, en l’occurrence le Muezzin Bilal, sinon tout bonnement aux Arabes. Il se trouve qu’ici on se réfère plutôt à l’Égypte et, on le verra, à l’Éthiopie pour les Haoussa ».
Un combattant des indépendances africaines
De son engagement politique, Boubou Hama pend part aux luttes du Rassemblement démocratique africain (RDA) mis sur les fonts baptismaux en 1946. Les anciennes colonies de la France étant dans l’effervescence qui augure des indépendances, le Gouverneur Toby fait feu de tout bois pour susciter des partis acquis à la politique française. Le Parti progressiste nigérien (PPN-RDA) au sein duquel Boubou Hama qu’il connaît très bien milite est tenu à l’œil. En raison par ailleurs de sa proximité avec le Parti communiste français (PCF). Et c’est pour lui faire opposition qu’il met en place l'Union des Nigériens Indépendants et Sympathisants (UNIS). Mais malheureusement pour lui, il ne fera pas le poids face au PPN-RDA et finit par disparaître, au grand dam de ses porteurs. Quant à Boubou Hama, son combat politique le mène tout droit à la tête de l’Assemblée nationale en décembre 1958 pendant que Diori Hamani Diori, pour sa part, prend la Présidence de la République sous la bannière du Parti progressiste nigérien (PPN). Il faudra attendre le coup d'État d'avril 1974 dirigé par Seyni Kountché alors Lieutenant-Colonel pour l’écarter du pouvoir. Evincé, il est d’abord gardé prisonnier à Agadès avant d’être transféré à Niamey.
Un hommage mérité
Boubou Hama, l’homme de culture, aura beaucoup contribué à la mise en place notamment du Musée national, lequel porte aujourd’hui son nom. Il en est de même de la création du Centre culturel franco-nigérien (CCFN) ou encore du Centre d'études linguistiques et historiques par tradition orale (CELHTO). Tout au long de sa vie, il aura écrit entre autres œuvres historiques majeures, Histoire du Niger (1965), Enquête sur les fondements et la genèse de l'unité africaine (1966), Recherches sur l'histoire des Touareg sahariens et soudanais (1967), L'histoire traditionnelle d'un peuple, les Zarma-Songhay (1967), Histoire du Gobir et de Sokoto (1967), Kotia-Nima (1968). Pour ce dernier ouvrage, il est couronné du Grand prix littéraire de l'Afrique noire en avril 1971. Et pour Essai d'analyse de l'éducation africaine (1968), il décroche le Prix Léopold Sédar Senghor. Poète, philosophe, historien, homme de lettres et homme politique, Boubou Hama a brillé dans chacun de ces domaines auxquels il s’est intéressé. Aussi, a-t-il continué à travailler, et ce jusqu’à sa mort en janvier 1982, à apporter une énorme contribution culturelle et historique à l’Afrique toute entière et en particulier à l’Afrique de l’Ouest.
Et c’est à juste raison pour ne pas laisser sa mémoire tomber dans l’oubli des jeunes générations, y compris même au Niger, que des universitaires et chercheurs ainsi que organisations scientifiques et littéraires du monde francophone dont il fut autrefois membre avaient trouvé judicieux de lui rendre hommage. En raison de toute cette œuvre considérable qu’il a laissée en héritage sur la culture africaine à la postérité. Ainsi le centenaire de sa naissance a été célébré 2006 dans cette optique.
Dans BOUBOU HAMA Un homme de culture nigérien, une publication que lui consacre Le Séminaire de mars 1989, on peut lire dans les Etudes Africaines, Sous la direction de Diouldé Laya, J.D. Pénel, Boubé Namaïwa: « Toutefois, en 1989, une tentative audacieuse du Directeur de la culture de l'époque, Inoussa Ousséïni, crée un changement d'attitude, un réveil, par l'organisation officielle d'un séminaire de deux jours en mars et par la création d'un Prix Boubou Hama (doté d'un million de francs CFA) décerné par le ministère de la Culture. Cependant, malgré l'audace du geste en faveur du disparu, l'écho du séminaire ne fit pas si long feu; quant au Prix Boubou Hama, attribué tous les deux ans, il finit par disparaître au bout de quelques éditions. A cette première vague d'efforts officiels pour redonner sa vraie place à cet homme de culture, il convient d'ajouter une certaine activité d'édition et des travaux universitaires qui, après sa mort en 1982 et pendant une période de vingt-cinq ans, entretiendront, malgré tout, les braises du souvenir et manifesteront des fragments de l'œuvre, si considérable et encore, en grande partie, inédite »…
En raison de tout ce qu’il a accompli pour son pays, le Niger, tout autant que pour son continent, l’Afrique, Boubou Hama devrait rester comme un phare dans la mémoire collective. A charge à ceux que cette mission incombe d’œuvrer dans cette logique de faire en sorte que ce phare ne s’éteigne jamais.
Pour Tcha Sakaro