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HISTOIRE/GHANA : Le berceau des Moose et autres peuples d’Afrique de l’Ouest

Naa Mahamadu Abubakari II, le Roi des Dagombas
Naa Mahamadu Abubakari II, le Roi des Dagombas

Des abords du Lac Tchad au Nord du Ghana en passant par le Liptako-Gourma, la longue migration de ceux que certains ont appelé Wassangari et les autres Proto-Mossi a donné naissance à plusieurs peuples aujourd’hui en Afrique de l’Ouest. Parmi les plus connus, il y a les chefferies du Nord du Ghana desquelles découlent aussi les Moose du Burkina Faso parmi les plus nombreux et les plus connus des peuples dits Gour. Mais au fil des siècles, alors que les liens de parenté se sont distendus, certaines pratiques anciennement communes aussi ont évolué séparément ou ont été carrément abandonnées.

« Dans les études sur l’histoire orale du pays moaga, l’accent a été mis sur les migrants moose, fondateurs des chefferies. En écoutant les récits sur l’histoire de chaque chefferie moaga on retrouve le thème de la migration. L’image primordiale de la fondation de Moogo est celle des étrangers venus pour conquérir et gouverner les gens de la localité. Les descendants des étrangers conquérants s’appellent nabiise ou nakombse, traduit dans la littérature francophone comme « les gens de pouvoir » ; les gens soumis au début de la fondation de la chefferie sont les tengabiise, « les gens de la terre (*1)».

En prenant le contrôle d’un côté le Burkina Faso actuel et de l’autre le Gold Coast ou Ghana actuel, les Français et les Anglais ont respectivement imposé leur hégémonie sur des espaces géographiques qui sont plutôt physiques. Ils ont aussi assujetti les peuples ainsi conquis à apprendre leurs langues et à s’inscrire dans leur modèle de société. Pour autant, ces puissances coloniales qui n’étaient intéressées au premier chef que par les richesses de leurs colonies, ne pouvaient pas empêcher l’ensemble des peuples habitant les nouveaux territoires conquis de continuer à observer les us et coutumes de leurs Ancêtres.

L’ancestralité est une donnée fondamentale dans la recherche et la relation des événements du passé. Les usages de l’ancestralité ne doivent pas être uniquement vus sous le prisme du revendicatif ou du négatif. Ils doivent surtout participer au souvenir du passé et à la restitution de l’histoire. Que l’on le veuille ou non, on garde toujours consciemment ou inconsciemment en soi un lien plus ou moins proche ou lointain avec ses Ancêtres. Le culte des Ancêtres qui est si fortement ancré et entretenu encore de nos jours en Afrique constitue l’un de ces liens indissolubles avec le passé. Quels que soient les lacunes de la mémoire collective à ce propos, l’observance quotidienne de certaines pratiques traditionnelles permet aux générations présentes de ne pas oublier totalement leurs origines. Dans de nombreuses sociétés, les baptêmes et les funérailles le rappellent par moments, sans qu’il ne soit nécessaire d’assaillir untel ou untel autre de questions sur le passé. En ce sens que toute naissance est considérée comme une réincarnation d’un Ancêtre disparu. Et c’est souvent l’occasion d’évoquer ses racines plus ou moins lointaines.

Dans ses Notes sur les Mossi, Prost peut ainsi rappeler entre autres échanges de bons procédés anciens que : « lors de sa nomination, le chef de Sanga va se faire introniser à Bawku. A la mort d'un chef de Dourotenga on avertit aussi Bawku et Gãmbaaga, puis Gambaga fait prévenir Yandé (*2) ».

Pageard  dans ses  « Réflexions sur l'histoire des Mossi. » écrit :
« Le lien moral qui unit les chefs de Ouagadougou et de Ouahigouya à Gambagha est, en revanche, certain, bien que les envois ou sacrifices rituels sur les tombes de Gambagha lors du décès du Mogho-Naba soient tombés en désuétude. Les Mossi sont appelés «Yab-gensé» (sing.: Ya-biga) par les habitants de Gambagha. Cette dernière ville est bien le «Yab-iri» ou «Yestenga», c'est-à-dire pays des ancêtres maternels, des Mossi (*3) »

« Selon les traditions recueillies à Tenkodogo, lorsque Yẽnega mourut, son corps fut transporté à Gãmbaaga, pour y être enterré. Sa tombe et celle de Riale qui se trouveraient à Gãmbaaga, font l'objet de vénération et de lieu de pèlerinage des Nanãmbse de Ouagadougou. Jusqu'à une époque récente, au décès de chaque naaba, on choisissait dans son écurie, un cheval, et dans son harem une femme, qui devaient y être envoyés pour être sacrifiés aux mânes de Yẽnega.

Delafosse (1912, t.II, p.133),  affirme qu'autrefois à la mort de chaque Moro Naba, on envoyait l'une de ses épouses et l'un de ses chevaux à Gãmbaaga et on les immolait sur la tombe de Yennenga, la mère-fondatrice du royaume. Sa tombe devint l'objet d'une grande vénération et un lieu de pèlerinage pour les souverains moose.

Tauxier soutient la même chose dans son « Noir du Yatenga » (1917) en ce qui concerne  les Naba de Ouahigouya (*4) ».

Pour avoir personnellement vécu un voyage du Naba de Tenkodogo à Gambaga, Junzo Kawada raconte : « Lors de sa visite à Gambaga, outre le cheval blanc dont il a déjà été question, le roi de Tenkodogo avait apporté au Gimbadaana vingt mille cedis (monnaie ghanéenne), une bouteille de whisky écossais, ainsi qu'un bélier et un coq blancs. En retour, Tiya donna à son hôte un bœuf et l'une de ses petites filles, adolescente, comme épouse. De cette union naquit en 1995 une fille que le roi de Tenkodogo nomma Yẽnenga. Cette nouvelle Yẽnenga, très choyée par son père, grandit à la cour de Tenkodogo, symbolisant par sa personne le fait que la dynastie mosi de Tenkodogo est originaire de Gambaga (*5) ».

Certaines pratiques, en raison essentiellement de leur caractère par trop rétrograde ou attentatoire aux droits de l’homme, ont été bannies. Et, progressivement, elles ont été écartées et vouées à une disparition dont on peine à croire en quelques générations seulement. C’est le cas de celles qui consistaient, par exemple, à chaque décès du Naba à envoyer de jeunes femmes se faire enterrer ou immoler sur la tombe de Yennega à Gambaga. Une pratique archaïque qui rappelle bien les inhumations des de l’Egypte Prédynastique et même des débuts de l’Egypte pharaonique.

A en croire Tiendrébeogo (1964, 168.), à l'occasion du décès du Moogo-Naaba, envoyaient « des armes, des chevaux, des jeunes femmes, des bœufs, un captif et du sel » au chef de Gãmbaaga ainsi qu'au chef de Bingo (Fada N'Gourma). Et il précise que : « Ces envois ont été effectués pour la dernière fois lors du décès de Naba Koutou (1871) ».

Certaines traditions disparaissent malheureusement non point parce qu’elles sont contraires aux nouvelles mœurs des temps nouveaux que parce que, par une certaine incurie, ceux qui sont chargés de veiller à leur transmission perdent de vue l’importance historique qu’elles revêtent.

Il existe fort heureusement des échanges entre les Moose et les Gourmantché du Burkina Faso et les Nanoumba-Dagomba-Mamproussi du Nord du Ghana. Plusieurs siècles après la fondation des royaumes moose, il est intéressant de constater que ces relations ne se sont pas estompées entre les chefferies du Burkina Faso actuel et celles du Nord du Ghana actuel. En dépit de la création des Etats modernes inspirés des colonisateurs venus cette fois-ci d’Occident, les uns et les autres ont continué d’observer un certain nombre d’us et coutumes qui leurs sont propres. Et cela fait déjà longtemps que ces relations durent malgré le poids des grandes religions monothéistes sur les traditions ancestrales.

Entre les Natemba dont le centre spirituel est Tayakou et les Baatombou du royaume de Nikki, les liens qui permettaient aux uns et aux autres de se souvenir qu’ils ont les mêmes Ancêtres ont pris fin dans les années 1970. Avant cette époque, aucun roi de Nikki n’organisait le rituel de la Gaani sans respecter le protocole que cela impliquait conformément aux liens de parenté qui les unit. A savoir, dépêcher une délégation depuis Nikki pour aller à Tayakou informer les Chefs de tribus de Tayakou et les prier d’envoyer une délégation à Nikki pour sacrifier à certaines us et coutumes d’avant leur arrivée et leur implantation entre Boussa, Kayama et Nikki. C’est un secret de polichinelle pour les Anciens ou ceux qui connaissent bien l’histoire de leurs origines. Les Wassangari ou Ouassangari appartiennent en effet au même Proto-Moose. Et, certaines tribus Natemba, en l’occurrence la Tribu des Nanfa Kwèba ou Descendants de Scorpion, est anciennement du même patrilignage royal que les Ouasangari de Nikki. Chez les Natemba actuels, les Anciens le savaient et en avaient gardé le souvenir de ces liens de parenté.

Au Nord du Ghana, chez les Nanoumba-Dagomba-Mamproussi, certaines de ces pratiques anciennes parmi lesquelles notamment des rituels marquant l’intronisation des Rois ont disparu, en raison de la conversion d’une bonne frange de ces peuples à l’Islam. Autrefois, il était impossible d’être musulman ou de porter un nom musulman et de prétendre à la royauté. Mais aujourd’hui, cela ne gêne nullement personne. Même si les rituels à accomplir pour y accéder peuvent contraster avec certains préceptes musulmans. Et seuls les noms ancestraux des Rois permettent encore de retracer leurs origines de manière sûre et certaine.

Au sujet de la formation de ces peuples et de leurs relations avec les Dagara en particulier, les avis sont très partagés et controversés entre les différents chercheurs. Quoique cela reste une hypothèse à ce jour, la théorie suggérant qu’ils auraient pu entrer en contact avec les Dagara dès l’intérieur de la région de Fada N’Gourma actuel avant de les repousser jusqu’à leur emplacement actuel entre les frontières du Burkina Faso et du Ghana reste plausible. Elle voudrait alors dire que les Ancêtres des Dagara habitaient là quand ceux des Dagomba sont arrivés.

Le Roi des Dagombas entouré de sa cour et des Anciens
Le Roi des Dagombas entouré de sa cour et des Anciens.

« Ces bandes de conquérants pouvaient être, soit tout simplement des aventuriers, soit des dissidents de royaumes centralisés, voyageant avec peu de femmes (sinon sans femmes). Ils se marièrent aux femmes autochtones et adoptèrent certains de leurs traits culturels (notamment la langue) tout en s’érigeant au-dessus d’eux en classe dirigeante. Le mélange de tels envahisseurs étrangers avec  les autochtones dagara et d’autres groupes ethniques minoritaires donna naissance à une nouvelle ethnie, les Dagomba. Le gros de la masse dagara, refusant la soumission, a préféré prendre ses distances, préservant ainsi leur identité. Le même processus a pu être observé dans la constitution du royaume des Moose. Les Nunuma et les Nyõnyõse qui refusèrent d'accepter l’autorité d’Oubri, le fondateur du royaume, durent émigrer vers la Volta noire et dans le « Kipirsi », là où nous les retrouvons actuellement ; ceux qui restèrent furent absorbés par le flot envahisseur venu du Dagomba en se soumettant  à leur commandement. Au fil du temps, ils s'identifièrent peu à peu avec les conquérants étrangers et formèrent avec eux un seul peuple, celui des Moose. Telle doit être la relation d’origine entre Dagara  et Dagomba (*6) ».

Valère Somé a tout à fait raison sur le mode opératoire de ces « aventuriers » ou « dissidents » de royaumes centralisés. Car en effet, il faut imaginer beaucoup de querelles intestines au sein du groupe d’étrangers envahisseurs que forme les Proto-Moose ou Proto-Dagomba, peu importe comment on les appelle à ce stade au Nord du Ghana et même bien avant. Tout bien considéré, les Natemba sont des dissidents du Mamprougou, au-delà de la légende. Toutes les informations concernant l’histoire de ce peuple concordent à accréditer le fait qu’ils aient décidé de rompre avec les leurs pour des raisons qui sont par contre difficiles à préciser.

C’est une évidence que dès le départ de cette mission de conquête, il n’y avait pas beaucoup de femmes qui accompagnaient ceux qui ne devaient être pour la plupart que des guerriers. Ceux qui venaient à se marier le faisaient le plus souvent  avec des femmes issues de populations locales. Cela va donc sans dire que y a eu des métissages entre les Dagara et les envahisseurs et ancêtres des Mamproussi-Dagomba-Nanoumba. Rien n’autorise cependant à dire comme l’ont fait beaucoup de chercheurs occidentaux de l’époque que les Dagara sont une partie des Dagomba qui se sont détachés de leur groupe d’origine ainsi que l’ont fait les Natemba, les derniers Prêtres ultra-conservateurs du groupe. 

Les traditions orales Natemba qui montrent qu’ils connaissaient bien les Dagara et depuis fort longtemps ne les confondraient jamais avec une branche de leurs Ancêtres. Car, même s’ils ont finalement été envahis et intégrés parmi les nouveaux arrivants, ils leur avaient opposé une si farouche résistance qui serait d’ailleurs à l’origine du nom de Dagara qu’ils leur auraient donné, à savoir : « les décocheurs de flèches ». Sans que l’on sache quelle est numériquement la proportion de Dagara soumise, il apparaît de toute évidence qu’un noyau a catégoriquement refusé la soumission et est resté indépendant jusqu’à nos jours. Et c’est bien à eux que l’on doit la survie du Dagara en tant que peuple et le Dagaare en tant que langue. Il faut donc considérer comme une confusion les idées jadis avancées par Maurice Delafosse, le Rév. Père Hébert et bien d’autres selon lesquelles ces deux peuples Dagara et Dagomba ne formeraient qu’un seul au départ. Les traditions Natemba contredisent catégoriquement cette version. Elles ont bien conservé le principe des intermariages pour s’en souvenir sans aucun doute.

Dans un article de GhanaWeb qui résume l’Histoire des Peuples du Nord du Ghana, on peut lire entre autres :

« Les Mamprusi avec leur royaume Mamprugu est l'un des premiers Etats connus au Nord de l'actuel Ghana. Leur royaume a prospéré entre les XIIe et XIVe siècles. Le Royaume Mamprusi a été fondé par le Grand Naa Gnanwah / Gbewah à Pusiga, un village à 14 kilomètres de Bawku. Le royaume s’étend sur la plupart des régions du Nord et du Haut-Est du Ghana, et dans la nation ouest-africaine du Burkina Faso. Ainsi s’établit ce royaume comme le prééminent du genre, et le seul royaume du Ghana actuel dont la référence et l'autorité transcendent les frontières nationales sous le poids de son humble suprématie.

On pense qu'ils descendent de Na Gbewa, également connu sous le nom de Na Nedega. Des quatre peuples/groupes issus des reins de Na Gbewa, les Mamprusi sont les leaders. Les Dagomba, Nanumba et même les Mossi les reconnaissent entre eux comme l'autorité finale. En conséquence, le Roi des Mossi à ce jour est couronné par le Nayiri - le Roi de Mamprugu. Les Mamprusi vénèrent les terres sacrées de Bawku comme leur maison ancestrale, leur origine. C'est pourquoi la tombe de Naa Gbewah à Pusiga est un sanctuaire réputé à ce jour. On pense que sa disparition fut souterraine, c’est l'un des miracles du Nord du Ghana, et de nombreuses ethnies sont d'accord avec ce récit historique peu commun. C'est après sa mort que ses enfants s'éloignèrent et fondèrent d'autres royaumes, à savoir: Dagbon et Nanum (*7) ».

Comme on peut s’en rendre compte, le pays baptisé Ghana par le premier président de l’ancienne Gold Coast (Pays de l’Or ) indépendante, le panafricaniste Kwame Nkrumah, et cela en souvenir de l’ancien Empire du Ghana ou Wagadou entre le Mali, la Mauritanie et le Sénégal actuels est à l’image de son illustre prédécesseur. Une terre à partir de laquelle sont nées comme par scissiparité plusieurs branches de nombreux peuples que l’on connaît aujourd’hui dans l’Afrique de l’Ouest.

Par Marcus Boni Teiga

*1 – Sabine Luning, Les chefs de terre à Maane, Le discours sur la répartition des territoires et le voisinage (province de Sanmatenga), Histoire du peuplement et relations interethniques au Burkina Faso, Sous la direction de Richard Kuba, Carola Lentz et Claude Nurukyor Somda, KARTHALA, 2003
*2 – R. P. Prost, Notes sur les Mossi, 1953
*3 – Robert Pageard, Réflexions sur l'histoire des Mossi, L’Homme, II (1) :111-115, 1962
*4 - Valère Somé, Espace scientifique", n° 009 - octobre- décembre 2007
*5 - Junzo Kawada, Genèse et dynamique de la royauté : les Mosi méridionaux (Burkina Faso). 2002, pp. 370-376)
*6 – Valère Somé, Les Dagara du Burkina Faso: Origine et migrations (1ère partie), Une recomposition d'extraits de la thèse de doctorat de l'auteur. Publiée dans « Espace scientifique », Revue de vulgarisation de l’INSS. N° 10 Janv-Fév-Mars 2008,pp.27-35 : https://valere-some.blog4ever.com/les-dagara-du-burkina-faso-origine-et-migrations-1ere-partie
*7 - Mamprusi people: Ghana's ancient people in the north, GhanaWeb (Source: ghanaianmuseum.com), Sunday, 19 July 2020 : https://www.ghanaweb.com/GhanaHomePage/NewsArchive/Mamprusi-people-Ghana-s-ancient-people-in-the-north-1011085

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