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CUISINE ET SOCIETE EN AFRIQUE – HISTOIRE, SAVEURS, SAVOIR-FAIRE : Le premier Sorgho et la Confrérie des vrais hommes chez les Tamberma du Togo

Les Vrais Hommes en simulation de combat du rite funéraire - Copyright : Dominique Sewane

De part et d'autre de la frontière séparant au nord le Togo du Bénin, le kutammarku ou  "pays des Batammariba" est situé  au cœur des massifs et de la vallée de l'Atakora. Bien que peu élevée (400 à 1000m), d’une superficie d'environ 5 000 km2,  la chaîne  a représenté une zone refuge  pour une mosaïque de peuples de langue voltaïque. Au Bénin, le territoire des Batammariba englobe le district de Boukombé, les trois quart du district de Natitingou, une partie des districts de Toukounta, Tanguiéta et Kobli. Au nord-est du Togo, de dimensions nettement plus modestes,  il dépend de la préfecture de la Kéran. Il est limité à l'est par le district de Boukoumbé (au Bénin) à l'ouest par le fleuve de la Kéran, au nord ouest par le canton de Pessidé, au sud est par la chaîne de l'Atakora. Il est divisé en trois cantons : Nadoba, Warengo, Koutougou.  Alors qu'au Bénin les Batammariba, au nombre d’environ  100 000, sont désignés sous le vocable "Somba", au Togo, où  j’ai effectué toutes mes recherches1, ils  ne dépassent pas celui de 25 000 et sont appelés Tamberma. Eux-mêmes se dénomment Batammariba ou "Ceux qui bâtissent en  pétrissant  la terre humide". Réputés pour la beauté de leurs édifices de terre, ces montagnards se définissent par l'acte de construire. Je les désignerai sous le terme qui leur est propre : Batammariba. 

Les Batammariba, dont  le lieu d'origine est "situé quelque part vers le Nord", se sont installés dans l'Atakora entre le seizième et le dix-huitième siècle, où ils forment une société acéphale d'éleveurs agriculteurs aux fortes traditions guerrières. Dans une superbe étude ethno-historique, Paul Mercier a retracé leurs étapes migratoires et les grandes lignes de leur organisation sociale et religieuse2 . Ils sont restés fidèles à ce qui fait leur spécificité: raffinement d'une architecture exceptionnellement préservée, magnificence des cérémonies,  forme de démocratie basée sur une hiérarchie entre Aînés et Cadets faisant obstacle à tout pouvoir centralisé. 

Ici, je me limiterai à un aspect de la culture des Batammariba du Togo. Un aspect qui relie la récolte du sorgho à la confrérie des Vrais Hommes : ceux qui, autrefois, avaient tué un léopard ou un.homme étranger à leur village (le plus souvent un ennemi).3 Ils étaient nombreux au début du siècle, assure-t-on, avant que l'administration coloniale, allemande puis française, ne mette un terme aux guerres entre villages. Les actuels Vrais Hommes sont considérés comme les incarnations d'ancêtres, Vrais Hommes de leur vivant.4 

Dans une première partie, l'attention sera portée sur les Vrais Hommes. Leur fonction essentielle consistant à diriger les rituels funéraires, il sera nécessaire de définir leur statut social et religieux. Dans une seconde partie, je soulignerai le danger mortel que représente pour un "être humain ordinaire" l'ingestion du sorgho tant que les prémices n'ont pas été cueillies et consommées par les Vrais Hommes. Le sorgho, aliment de base et plante de prestige des Batammariba, sera mis en regard du fonio, son compagnon complémentaire en quelque sorte. Tous deux tenant un  rôle de premier plan dans le système agricole des Batammariba et dans  l'organisation des cérémonies, nous insisterons sur leur valeur symbolique et alimentaire.

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Le travail agricole au Koutammakou - Copyright : Dominique Sewane.

Les Vrais Hommes
D'un courage exceptionnel, autrefois grands guerriers, les Vrais Hommes, au début du siècle,  incarnaient le modèle de bravoure auquel tend l'éducation d'un jeune Tammari.5 Les plus âgés des anciens se souviennent de ces Hommes qui, au temps de la colonisation, choisissaient la fuite - sachant qu'ils seraient abattus à bout portant - plutôt que les travaux forcés.6  De par leurs fonctions, ils suscitent aujourd'hui encore autant la crainte que l'admiration : ils sont "du côté de la mort", s'occupant d'un cadavre depuis l'instant où un moribond rend le dernier souffle jusqu'à celui de l'enterrement. De leur vigilance et de leur savoir-faire dépend la bonne marche des cérémonies liées à la mort. Notamment, ils sont seuls habilités – parce qu'ils en ont la force - à enterrer un jeune ou  une personne ayant succombé à une mort violente. Sans leur intervention, l'aveugle force de vengeance d'un tel mort, dit-on, serait prête à se jeter sur le premier venu qu'elle prend pour son  meurtrier.

Les Vrais Hommes acquièrent une force surhumaine en se soumettant au traitement  pratiqué sur eux par un spécialiste dénommé Vieux de la Corne, qui leur fait avaler un médicament ou boutié dont il est seul à détenir le secret de fabrication.  Ensuite, l'Homme  devient maître de la force de vengeance de l'homme qui s'est ou a été tué (autrefois ennemi, léopard), une force qui s'incorpore dans une corne.  Cette force décuple ses "choses d'hommes", c'est à dire sa propre force de combat.  De la sorte, il devient invulnérable au danger mortel que représente pour les  gens ordinaires  le contact d'un cadavre, à condition qu'avant de le toucher, il  ait pris la précaution d'avaler le fameux  boutiè.7 En faisant subir à un défunt âgé un traitement particulier, opéré en grand secret, les Vrais Hommes le rendent inoffensif.  On peut alors procéder à la toilette, la veillée mortuaire et l'enterrement . 

Un Vrai Homme possède une autre particularité : il devient invulnérable aux effets mortifères du premier sorgho à condition de le mélanger à ce même boutiè. Consommé avant les Vrais Hommes par un être humain "ordinaire", ce sorgho  provoquerait chez  lui un mal identique à celui qu'induit le contact d'un cadavre: gonflement incurable des membres et du ventre. Non seulement un Vrai Homme peut ingérer sans risque le premier sorgho, mais est dans l'obligation de le consommer à chaque nouvelle récolte, sous peine de dépérir dans l'année.  En un mot, les prémisses du sorgho sont fatales aux gens ordinaires et indispensables à la survie des Vrais Hommes.  

Quelle relation unit le premier sorgho aux Vrais Hommes? Pour en saisir les implications, il nous faut examiner les caractéristiques du sorgho et le rôle qu'il joue dans la vie sociale et cérémonielle des Batammariba. Et au préalable, la place qu'il tient parmi les autres plantes alimentaires.

Prestige de la takyienta
Les Batammariba, remarquait en 1950 Paul Mercier8 citant J. Dresch, sont de "vrais paysans noirs caractérisés par l'attachement à la terre, une délimitation précise des parcelles cultivées, la connexion entre agriculture et élevage, une technique évoluée d'aménagement du sol" moins raffinée cependant que celle de leurs voisins Kabyé au Togo. D'une enquête menée par moi-même dans les années 80 (81, 82, 85, 89) auprès de chefs de famille du village de Warengo9, renouvelée en juillet 2000,  février et novembre 2001, il ressort que, parmi les plantes vivrières,  les cultures prioritaires au niveau social et symbolique restent  le sorgho ou "mil rouge, gros mil" (tiyooti) et le fonio (ipwoka), une place particulière étant réservée au mil blanc ou "petit mil" (yeyo), les cultures secondaires, plus récentes, étant l'igname, le manioc, le riz, puis le haricot, les noix voandzou, la tomate, le gombo, les plantes à condiments, le tabac, enfin les produits de cueillette tels que noix de néré et de karité, mangues, fruits et feuilles de baobab. 

La cellule de base est la petite takyienta, réunissant un couple généralement monogame et deux à six enfants occupant une habitation fortifiée qui porte, elle aussi, le nom de takyienta. Cette takyienta fait partie d'un "kunadakua"10 dépendant de la Grande Takyienta d'un aîné11. Le prestige du maître d'une petite takyienta dépend de la quantité de ses récoltes de de sorgho mais aussi de fonio.12  Le statut privilégié de ces deux céréales se lit dans l'espace qu'elles occupent dans la takyienta.  Une takyienta à étage est remarquable par la symétrie de sa construction. Tournée vers l'ouest, formée de tours reliées  par des pans de murs, les deux tours maîtresses sont les tours de support de deux greniers, gigantesques poteries d'argile recouvertes de chaume qui s'élèvent à chaque extrémité de la terrasse. 

Au sud, le grenier masculin dans lequel, après l'unique récolte de l'année, sont engrangés sorgho, fonio et mil blanc13.  Au nord,  le grenier  féminin où sont gardés condiments, fromages,  céréales glanées par l'épouse.  Dans la pièce du bas, toujours plongée dans l'ombre car réservée aux autels d'ancêtres, et gardé pour la nuit le troupeau de vaches. Un autre lieu, tout aussi important,  précède précède cette pièce: le vestibule, séparé en deux parties distinctes de part et d'autre de l'étroit couloir d'entrée. Dans la partie nord, une table de terre supportant une meule dormante sur laquelle l'épouse écrase à sec les grains de sorgho (et de mil blanc) à l'aide d'une molette. Dans la partie sud,  le trou à piler le fonio.14  

Il apparaît  alors que la symétrie de la takyienta et l'harmonie de ses formes sont dues à l'équilibre d'une architecture qui favorise aussi bien la protection des vivants et des âmes des morts, que la préservation et le traitement  du fonio et du sorgho ( et du mil blanc). 

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Le Grenier de l'homme au Koutammakou - Copyright : Dominique Sewane.

Grenier principal
Le grenier principal est le grenier mâle, situé au sud de la terrasse, propriété du maître de maison. Il a seul droit de regard sur son contenu15  En plus du sorgho (et petit mil) et fonio, ce grenier contient des objets dont le contact et même la vue, sont considérés comme dangereux pour une femme, un non-initié, à fortiori un jeune enfant : arc d'un défunt dont on n'a pas encore célébré la dernière levée de deuil, corne de guérison etc… Il leur suffirait de les toucher, ou seulement de les voir, pour être atteint de ce que l'on peut appeler "le mal de la mort" : gonflement du corps. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'accès de ce grenier est interdit à tout autre que le maître de takyienta. Selon Kpakou Kpanipa, la prudence est une autre raison de l'interdit: on veut éviter de provoquer un climat d'angoisse en période soudure.  "La règle d'or est de consommer avec économie.  Un minimum de discrétion est nécessaire, surtout si les réserves tendent à s'épuiser, pour ne pas jeter la panique de la famine chez les enfants.  Les femmes étant peu discrètes, c'est à l'homme de prendre les décisions… "16 L'unique récolte de l'années, dépendante des conditions climatiques, est parfois désastreuse après sècheresse ou tornades et il est fréquent qu'alors, les Batammariba souffrent de famine endémique. Par ailleurs, il est nécessaire de réserver une certaine quantité de sorgho et de fonio pour la célébration de cérémonies imprévues et de rituels annoncés, notamment inititatiques et funéraires. 

Par souci d'économie, il est par conséquent d'usage de "préparer la pâte" un jour sur deux, les restes du repas étant consommés le deuxième jour (en période de soudure, un jour sur trois)17.  Dans une petite takyienta abritant un couple monogame et deux à cinq enfants,  il revient au mari, un jour sur deux, de puiser dans son grenier afin, selon l'époque de l'année et sur un modèle identique observé chez les Kambaré du Mali18, de donner à l'épouse un panier contenant cinq à dix kilos de graines de sorgho, petit mil ou  fonio (généralement, on mélange le fonio à la farine de sorgho ou de petit mil)18 

Mais le prestige de la takyienta, propriété du mari,  dépend essentiellement de la faculté qu'a  celui-ci de nourrir les siens et de faire face aux dépenses cérémonielles dans lesquelles pâte de fonio et de mil, bière de sorgho, jouent un rôle prédominant.19

Par conséquent, ce prestige dépend de  l'abondance  dans son grenier de ces deux céréales dont un homme a l'entière responsabilité. Son travail acharné, sa réputation de "valeureux maître de takyienta", lui vaudront le soutien des sociétés d'entraide.

Le grenier féminin
Le grenier féminin est sous contrôle de l'épouse bien que le mari se permette de temps à autre de vérifier son contenu. Là est conservé le bien personnel d'une femme dont elle use à sa guise:  céréales cultivées dans un lopin octroyé par le mari ou sur les champ de sorgho et de mil blanc, noix de karité, condiments, fromages…et nombreux épis glanés lors de la récolte du sorgho.20   Le grenier d'une femme procure à sa propriétaire une indéniable indépendance économique souvent enviée par son mari. Elle confectionne une bière vendue au marché avec les épis de sorgho.  En troquant ou vendant le beurre obtenu à partir des noix de karité, la pâte à partir des graines d'arachides, les amandes des graines concassées de baobab…elle se constitue un pécule, et grâce à lui, un  troupeau  de poules ou de cabris. En période de soudure,  elle accepte par mansuétude de soustraire une partie de ses provisions en faveur de la famille.

Valeur alimentaire et symbolique du fonio et du sorgho
En déclarant que le fonio "constitue  la richesse par excellence à cause de sa valeur rituelle et de sa plus longue conservation" Paul Mercier exagère l'importance du fonio: "Un homme disposerait-il d'énormes quantités de mil ou d'autres nourritures, il n'en serait pas moins un pauvre s'il n'avait pas de fonio, puisqu'il se refuserait à jouer son rôle dans dans des cérémonies essentielles, que sa virilité ne serait plus mise en évidence, et que ses funérailles mêmes ne ne pourraient être convenablement célébrées.  Le fonio, bien qu'il ne soit plus depuis longtemps sans doute la seule base de l'alimentation, ni même la principale, se manifeste comme la nourriture première."21  Il est vrai que la longévité du fonio ne peut se comparer à aucune autre céréale : 10 à 15 ans! Ceci  explique, souligne K.Kpanipa, la préférence des Batammariba  pour une céréale qui constitue un "stock de sécurité pour les années de mauvaise récolte et de pénuries dues à des calamités naturelles (sautériaux, oiseaux granivores, pluies insuffisantes)". La prédilection pour le fonio, considérée  comme la céréale la plus anciennement cultivée, tient également  au fait que cette céréale aux tiges multiples, frêles et rampantes d'une longueur de 30 à 50 cm, aux courtes racines, peut être cultivée sur les terres les plus arides, qu'elle exige peu d'eau et de soins: au début de sa croissance, il suffit d'un simple désherbage effectué par les femmes. 21   Il est vrai par ailleurs que la pâte de fonio, mais uniquement la variété tardive, est réservée aux cérémonies ayant trait à la naissance, la petite enfance, l'accouchement, le mariage, l'initiation des jeunes femmes et jeunes garçons. 22

Cependant, l'indéniable valeur attribuée au fonio n'atténue en rien la prédominance du sorgho en tant qu'aliment de  base propre à garantir la croissance des enfants et la longévité des adultes, c'est à dire leur santé. Cela bien que contrairement au fonio, le sorgho exige des soins constants avant et pendant la maturation, et que la conservation de ses grains, attaqués par les charançons,  soit considérablement plus réduite: pas plus de douze mois. "C'est pourquoi,  remarque K. Kpanipa, on accélère sa consommation sous forme de pâte (mélangée à celle du fonio ou du petit mil) ou de bière à l'approche des nouvelles récoltes"

Culture du sorgho
La culture du sorgho, sur sols légers ou profonds, mais non lourds et inondés,  mobilise pendant plusieurs mois le temps et l'attention des Batammariba. Semé en  poquet en juin dans le "champ de maison", il est ensuite repiqué dans le "champ de brousse"  et récolté six mois plus tard, en novembre.23 Il s'agit d'une espèce dont la tige varie de 2 à 3 mètres de haut, sur 4 à cinq centimètres diamètres.  Sa particularité est d'être doté d'un épi dense, de couleur rouge. S'agit-il du "sorgho balai" décrit par j. Adrian24? Paul Mercier parle de sept variétés de sorgho qu'il ne définit pas, mais que les Batammariba distinguent selon l'aspect, la couleur, le goût, le caractère plus ou moins hâtif.   A. Maurice  évoque cinq variétés, difficiles à déterminer25. Pour ma part, je suis incapable de donner davantage de précisions.  Des études approfondies à ce sujet seraient nécessaires.  La vitalité du sorgho s'impose au moment des récoltes. Il parait alors avoir immergé le village où il règne en maître.  Les takyienta  à étage surmontées de hauts greniers et distantes les unes des autres de cent à deux cent mètres, disparaissent derrière un foisonnement de longues feuilles et d'épis dressés vers le ciel.26

Début-des-culture.-Koutammakou.dominique.sewane@copyright
Début des cultures Koutammakou dominique sewane@copyright

Le sorgho, aliment des forts
Alors que le la pâte de fonio est réputée pour sa finesse et sa saveur, ses grains pour leur légèreté – "doux comme le fonio" dit-on - la pâte de sorgho, plus lourde, râpeuse, est la nourriture essentielle, de décembre à mai-juin.3 Le terme bukia, "pâte" se réfère principalement à la pâte de sorgho, même si sa farine est mélangée à celle du mil blanc ou du fonio en période de soudure. Pas de "vrai repas" sans pâte de sorgho.

La pâte de "mil rouge" ou de sorgho a la réputation de maintenir "le corps en santé"14: en  pleine vigueur. Elle apaise de façon  durable la sensation de faim: "elle remplit le ventre". Elle contribue à augmenter l'énergie vitale d'un individu. C'est l'aliment viril qui, sous forme de pâte,   bouillie ou bière, accroît "les choses viriles" ou tinitidaati qu'un enfant de sexe masculin reçoit à la naissance du souffle de l'aïeul qui est "sorti vers lui".  Ces "choses" ou "affaires" (tinenti) se manifestent au travers de la constance dans l'effort, la résistance à la fatigue, l'acuité des sens.  En un mot, le sorgho est la "graine rouge" susceptible d'accroître la puissance  des "hommes à l'œil rouge" que sont les Vrais Hommes prompts à réagir à une attaque. Des Banitiba qui, davantage que leurs congénères, possèdent ces "affaires d'homme" ou tinitidaati

De façon générale,  le sorgho est l'aliment de prédilection de tout homme montrant qu'il a "de la poitrine" - du courage - en faisant face à l'adversaire et aux visages menaçants que prend l'adversité: famine, maladies, deuils. Ainsi, le creusement d'une tombe, labeur éprouvant mobilisant trois à six fossoyeurs pendant une dizaine d'heures sous un soleil accablant, ne pourrait être mené à  terme sans le soutien de calebasses fumantes de pâte de mil rouge apportées par les femmes, nourriture destinée aux  braves confrontés non seulement à la dureté de la terre du cimetière, mais à la réticence des anciens morts qui s'opposent à son ouverture. 

Mouture de force 
La préparation de la pâte de sorgho ne fait-elle pas, elle aussi, appel à la tension des muscles, la volonté, la détermination, cette fois de la part des femmes? Elle fait intervenir une qualité reconnue centrale  au cours du rituel initatique des jeunes femmes, le dikuntri:  vigueur physique, souplesse des articulations, robustesse des membres inférieurs. La meule est fixée sur une table de terre sur le côté nord du vestibule.27  Les grains sont écrasés à sec sur la meule. M. Gast et J. Adrian, qui ont observé une pratique identique en Ahaggar, la décrivent avec une singulière force d'évocation:

"La personne qui travaille se place sur l'axe longitudinal de la meule, à genou, le corps penché en avant, les bras tendus sur la molette tenue à deux mains. Une petite poignée  de grains est posée sur le bord intérieur de la meule, la molette entraîne à chaque va et vient une partie de ce grain. Le travail de meulage se fait en un sens: vers l'avant, c'est à dire, quand on pousse la molette,  en pesant des deux bras et corps projeté vers l'avant. la farine est obtenue dans un seul mouvement de friction., dont le parcours varie de 15 à 25 cm. …la mouture définitive  a subi deux à trois frictions de molette; ceci explique la grossièreté de la mouture de mil obtenue  et l'impossibilité de séparer la semoule et le son.  Les enveloppes sont brisées  avec l'amande et la graine, et restent solidaires des particules broyées." 28 

La description, minutieuse,  correspond point par point au meulage du sorgho  par la femme Tammari, sauf que celle-ci, au lieu d'être à genou,  se tient debout,  penchée sur la meule. Tout en faisant aller et venir la molette, elle entonne d'une voix essoufllée des chants nostalgiques  que les hommes écoutent du dehors, dans la cour. Si la farine, grumeleuse, donne une pâte lourde à digérer à moins d'être mélangée au fonio ou mil blanc (parfois mêlée de gravillons quand la femme a hâte de terminer sa tâche ou, disent, les hommes, lorsqu'elle a du ressentiment contre son mari), elle conserve tous ses éléments nutritifs reconnaissent Denis Sautier et Michèle O'Deyé. Selon ces auteurs, ce procédé d'écrasage à sec aurait l'avantage de conserver l'intégrité des substances composant les graines.29  A ce propos, notons que les nutritionnistes partagent l'avis des Batammariba quant à la valeur alimentaire inégalée du sorgho 30

Les Vrais Hommes et les prémisses du sorgho
Un être humain ordinaire ne peut consommer du sorgho,  céréale de vie par excellence  et nous l'avons vu, aliment de base quotidien, sans qu'au préalable, il n'ait  été rendu inoffensif  grâce à l'intervention des Vrais Hommes. Son ventre et ses membres gonfleraient de manière incurable. Il en mourrait.  Ce qui est poison mortel pour une personne ordinaire contribue à maintenir en vie les Vrais Hommes. Eux aussi mourraient si, chaque année, ils ne consommaient les premières graines de sorgho mélangées à leur médicament ou boutiè.

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Le Pilage du fonio au Koutammakou - Copyright : Dominique Sewane.

Première consommation des prémisses
Quand les épis sont en fleur -  environ un mois avant la récolte qui a lieu fin  novembre  - les Vrais Hommes se dispersent dans les champs avant l'aube et, se "dissimulant comme des voleurs",  arrachent à la hâte des épis qu'il transportent en courant à la Maison du "Vieux de la Corne" de leurs clans respectifs  Ils consomment ce sorgho en fleur mélangé à leur boutiè. Dans une stricte intimité, et à l'insu des gens du village. Sous forme de bière, pâte, grillé? Je ne sais. Il nous faut constater que la manière d'arracher par surprise les épis en fleurs s'apparente au geste meurtrier d'un agresseur embusqué au détour d'un sentier.

Elle nous invite à assimiler le premier sorgho à un ennemi qu'un guerrier affronte au risque de sa vie, et la consommation de  graines mélangées au boutiè,  au traitement auquel se soumet un meurtrier. Après avoir attaqué et "tué" le sorgho, les Hommes tenteraient de se le concilier en ingérant sa force (contenue dans les prémisses) mêlée à leur boutié. Toutefois ici, les prémisses sont mélangées aux deux boutiè du Vieux de la Corne : le boutiè "mâle", éminemment dangereux, donné à un meurtrier lors du traitement visant à l'investir de la force de sa victime,  et le boutiè "femelle" utilisé pour guérir  certaines affections et célébrer  d'importants  rituels domestiques31 . Pourquoi les "combiner"? Le but serait peut-être le suivant32 : associé au boutié mâle, le sorgho deviendrait  l'allié des Hommes et leur nourriture vitale, associé au boutié femelle, il deviendrait inoffensif pour les gens du village, dont il garantirait la santé. Par conséquent, il ne serait pas, comme peut l'être un ennemi ou un léopard tué,  le compagnon exclusif et dangereux des Hommes33 

Cérémonie du Mussotye
Après la récolte du sorgho  a lieu une deuxième consommation des prémisses par les Vrais Hommes, cette fois en public et avec faste. Ce repas, appelé mussotye,  imprime  le coup d'envoi aux grandes fêtes de Mussotyé, incomparables fêtes de la jeunesse et de l'amour où garçons et filles donnent libre cours à une exubérante gaîté pendant plusieurs jours.   Les pentes encore vertes de l'Atakora retentissent de sons de flûtes, tintements de bracelets de chevilles, voix claires de jeunes gens appartenant à des villages rivaux qui s'affrontent en joutes de chants.34  Le mot mussotyé est une allitération de bu-so-tyé  ou "produit dangereux", sous-entendu le boutiè ou médicament de la Corne mélangé aux prémisses du sorgho. 

Habituellement,  une bière de sorgho  se  prépare en quatre jours. Pendant les deux premiers, les grains sont mis à germer sur la terrasse de la takyienta.  Plus précisément, sur le toit de la case oblongue surplombant le vestibule. Le jour et la nuit suivante sont consacrés à la cuisson dans de grandes marmites dont on alimente les feux avec des tiges de mil. La bière est bue le quatrième jour, après fermentation. La bière de mussotye, préparée à la maison du Vieux de la Corne, connaît une variante.

Après germination  et quand commence la cuisson – par conséquent au soir du deuxième jour -  le Vieux met à macérer les racines du  boutiè mâle dans une poterie à pointe entreposée parmi les autels de la pièce du bas35.  Le quatrième jour -  jour du mussotye -  il mélange l'eau où a macéré le  boutié à la bière fermentée.  La cérémonie se déroule en trois étapes : l'une concerne les cornes des Vrais Hommes, la seconde les Vrais Hommes eux-mêmes, la troisième les  "gens ordinaires": femmes, enfants, vieillards du clan. Tout d'abord, le Vieux tire de leur cachette  (un trou creusé dans le mur latéral  du sud)  les cornes appartenant aux Vrais Hommes, dans lesquelles résident les forces d'anciens ennemis tués. Le Vieux les aligne à terre,  les "réveille" en les aspergeant d'eau,  et les nourrit en les arrosant du sang de pintades et de poulets. Il  répand enfin sur elles un mélange d'une belle couleur blanche de farine de sorgho et de  bière de sorgho mélangées à l'eau où a macéré le boutié mâle.  Après que les cornes aient reçu leur part, les Hommes, et eux seuls, boivent de la bière mélangée au boutiè mâle  sous le regard de l'assemblée. L'ingestion de cette bière a pour but, dit-on,  "d'apaiser l'esprit de vengeance des (très anciennes) victimes".  Cornes et Vrais Hommes reçoivent donc une nourriture identique : premier sorgho mélangé au boutiè mâle.  Quant à la bière distribuée au public, elle est mélangée au boutiè femelle.  Ensuite est donnée à tous une part de pâte de sorgho accompagnée de viande des animaux tués, cela  au cours d'un repas qui prend fin dans la soirée, au demeurant  fort joyeux et convivial. 
    
Dès lors chaque takyienta pourra consommer sans risque le sorgho de la nouvelle récolte.  Durant cette seconde prise ressort nettement le clivage  entre  Vrais Hommes et "gens ordinaires".  Aux premiers le boutiè mâle des meurtriers, aux seconds le boutiè femelle, produit de guérison, les deux boutiè n'étant plus "combinés" l'un à l'autre comme lors de la première prise, mais soigneusement répartis entre gens ordinaires et "surhommes" investis d'une puissance de mort:  force de vengeance d'une ancienne victime, esprit du premier sorgho36.

« Comment survivre sans les Vrais Hommes? » disent les gens de Warengo. En d'autres termes: « Comment procéder sans eux à  l'inhumation d'un mort dangereux,  à la célébration d'un rite de deuil? Comment consommer le sorgho?» 
Sans les Vrais Hommes, l'humanité tammari serait condamnée à périr. 

Par Dominique Sewane

Dominique Sewane
Dominique Sewane


CUISINE ET SOCIETE EN AFRIQUE – HISTOIRE, SAVEURS, SAVOIR-FAIRE
Éd. M. CHASTENET, F.X. FAUVELLE-AYMAR, D.JUHE-BEEAULATON, 2002, ed. Karthala, Paris, 291p (pp. 85-102) 

Dominique Sewane  est Historienne et philosophe de formation,  Docteur de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (section des sciences religieuses), membre de la Société des Africanistes (Paris) et de la Société de Géographie (Paris) rattachée au Laboratoire  C.N.R.S. "Systèmes de Pensée en Afrique Noire" (Ivry/Seine) jusqu'en 1992, depuis 1985 membre du Centre d'Etudes Arctiques (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), depuis 1999 membre associé du  Laboratoire d'Anthropologie sociale "Dynamiques religieuses et pratiques sociales" (DYRE) de Clermont Ferrand, nommée en 2002 expert auprès du Centre du Patrimoine Mondial de l’Unesco, Dominique Sewane s'est spécialisée dans l'étude des rituels funéraires et initiatiques d'une société  aux fortes traditions guerrières:  les Tamberma (ou Batammariba) du nord du Togo. Elle a soutenu en 1999 une thèse de Doctorat centrée sur les rituels initiatiques et funéraires de cette population1  Deux importants ouvrages sur ces sujets seront publiés  à l’automne 2002 et en 2003.  Elle a assuré au Groupe HEC (Hautes Etudes Commerciales, Jouy en Josas), à l’ENA (Institut d'Administration Publique, Paris) et à l'ISTOM (Ingénierie du Développement Agro-Economique International, Cergy Pontoise) un cours d'Anthropologie culturelle. Après avoir été consultante au Courrier de l'Unesco, elle collabore à différentes revues scientifiques. Cinéaste documentariste, elle a notamment tourné chez les Tamberma du Togo un film, "TIBENTI", retraçant les différentes séquences d'un rite de deuil (catalogue Image-Media C.N.R.S.)
 

Bibliographie :

AGBO (A.V.), "Paysan traditionnel et développement rural de l'Atacora", thèse de doctorat de 3ème cycle; E.H.E.S.S., Paris 1977
ALEXANDRE (P), CORNEVIN  ( R ), FROELICH (J.C.), 1963  "Les populations du Nord Togo", Presses Universitaires de France, Paris, 199 p.
ADRIAN Jean, 1954, "Les plantes alimentaires de l'Ouest africain", Direction générale de la santé publique,  Dakar 
ADRIAN Jean et JACQUOT Raymond, 1964, "Le Sorgho et les Mils dans l'alimentation humaine et animale", Vigot frères, Paris 
ADRIAN Jean et GAST Marceau, 1965, "Mils et sorgho en Ahaggar – Etude ethnologique et nutritionnelle" Arts et métiers graphiques., 76p
BENOÏT Michel, 1982, "Les oiseaux de Mil" – Les Mossi Bwamu (Haute Volta)", ORSTOM, collection Mémoires, n° 95
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1  Mes  recherches, effectuées principalement dans le canton de Warengo, ont été centrées sur les rituels initiatiques et funéraires des Tammariba du Togo au cours de plusieurs missions entre  1980  et 1989,  récemment en 2000,  2001, 2002.
MERCIER Paul., 1968, « Tradition, changement, histoire. Les "Somba" du Dahomey septentrional », Paris, ed. Anthropos, 
3  Meurtre d'un léopard, qu'il est interdit de chasser et de consommer,  assimilé à celui d'un être humain. Ce genre de meurtre est étudié en détail dans un article à paraître: "Tuer un homme, tuer un léopard. Les Vrais Hommes chez les Tammariba du Togo" D. Sewane
4 Pour accéder au statut de Vrai Homme, il suffit à présent d'avoir été le témoin d'une mort violente (suicide par pendaison, accident)  et de se soumettre à un traitement  qualifié de dangereux pour un "homme ordinaire".
5 Banitidaaba ou Vrais Hommes, littéralement : Ceux qui possèdent (plus que les autres) les choses d'hommes" qu'un enfant mâle reçoit à la naissance, entre autres,  acuité des sens, faculté à réagir à une attaque. Singulier : Onitido ou Homme par excellence. Au début du siècle, la fin des guerres claniques induite par l'administration coloniale a vu l'extinction de ces Hommes qui jadis, au péril de leur vie, affrontaient un ennemi.  
6 "Pendant la colonisation, les Batammariba du Bénin devaient travailler sur les chantiers. Attachés par les poignets, on les poussaient à coups de gourdins vers le chef-lieu du district  pour transporter des briques, faire les corvées pour les fonctionnaires.: aller chercher du bois, puiser de l'eau.  Certains refusaient : les Vrais Hommes. Il s'enfuyaient, sachant  qu'ils seraient abattus à coups de fusil." (témoignage d'un ancien originaire du Bénin)
7 Se reporter au remarquable  numéro 14 de "Systèmes de Pensée en Afrique Noire" (1996, EPHE-CNRS), intitulé "Destins de meurtriers", dans lequel un collectif d'auteurs appartenant aux horizons culturels les plus divers (notamment amérindien : Patrick Menget) aborde le personnage du meurtrier. L'exemple des Vrais Hommes Batammariba est très comparable à celui des des Lobi du Burkina Faso, brillamment analysé par P. Bonnafé et M. Fiéloux  dans "Le dédain de la mort et la force du cadavre" Etudes Rurales 95-96, 1984, pp. 63-88
8 Op. cité, p. 217
9 Depuis 1996, le village de Warengo (environ 1000 habitants), fait actuellement partie du canton de Warengo, qui regroupe plusieurs villages
10 Kunadakua,  littéralement : "Tuer le bœuf (de sacrifice) ensemble" sur l'autel de la Grande Maison
11 Deux à trois ou quatre kuanadakua composent un segment de lignage ou kwaba. Un clan ou fawafa est formé de deux à trois ou quatre kwaba.  Ces clans forment donc depuis 1996 des villages distincts
12 "Si l'on prend comme critère d'ancienneté  d'une plante cultivée la place qu'elle occupe  dans les rites et les mythes, il s'agit bien de celles qui sont connues depuis le plus longtemps – le sorgho, le fonio -  avec, pour certains groupements, l'igname . le mil blanc aurait emprunté aux lamba par les tammariba du Sud. (P. Mercier, op. cité, p. 219)
13  Les quantités moyennes, par an,  sont les suivantes: 750kg de sorgho et mil blanc, 600kg de fonio. 
14 Le trou à piler le fonio est l'un des signes d'une maison "complète", rituellement autonome…Il ne peut y avoir deux trous à fonio pour une même famille, c'est comme si elle n'avait plus d'aîné, plus de maître, c'est à dire de sacrificateur unique.( P.Mercier, op. cité, 229)
15 Ce grenier est subdivisé en trois parties Dans la troisième division sont serrés les 
16 Kpakou Kpanipa "L'identité tammari" Mémoire de Maîtrise. Université Nationale du Bénin, 1984 
17 Observation datant des années 1980-1989. En juillet 2000, lors d'une courte mission exploratoire, la situation, me semblait s'être améliorée. En revanche, en novembre 2001, les Tammariba ont connu une dramatique sècheresse, faisant présager une grave famine pour l'année 2002.
18 Jacky Bouju "Graine de l'homme, enfant du mil" Socoété d'ethnographie, 1984, Université Paris X-Nanterre
18 En l'absence du mari, la première épouse  peut accéder au grenier par procuration
19 Nous laissons  de côté les cultures commerciales – arachide, coton – récemment introduites, procurant un gain appréciable.
20 Et aussi un panier à couvercle contenant ses parures, héritées par ses sœurs à sa mort.
21 P. Mercier, op cité, p. 221
21  Selon K. Kpanipa, op.cité  "Les Batammariba distinguent trois variétés de fonio: deux hâtives, une tardive. Les variétés hâtives sont cultivées en mai et récoltées en aoùt septembre. La variété hâtive permet d'écourter la période soudure ( juillet- octobre). La variété tardive est celle du fonio femelle dont le cycle atteint 4 à 5 mois." 
22 "Seul le fonio femelle tardif est recherché dans les cérémonies, notamment lors d'une demande en mariage. C'est pourquoi cette variété est cultivée sur des superficies relativement plus vastes" (K.Kpanipa, op. cité)
23 "En règle générale, le champ de maison  (kuperigu), est fumé, tandis que le champ de périphérie ou de brousse (kupagu) est brûlé.  Dans le champ de maison sont cultivés  légumes et condiments, maïs, tabac. Dans les champs de brousse sont cultivés  fonio, mils, igname, manioc, arachide,  voandzou.  Les sols utilisés en principe trois années de suite.  Rotation la plus fréquente: mil/fonio. Mil/fonio/arachide.  Sorgho la première année, igname et mil à croissance rapide la deuxième années, fonio la troisième année." (K. Kpanipa, op. cité)
24 J. Adrian, 1954, Dakar."Les plantes alimentaires de l'Ouest Africain", Dir. Générale de la Santé Publique. 
25 Albert Maurice, 1986, "Atakora – peuples du Nord-Bénin" Académie des Sciences d'Outre Mer
26 Le mil blanc, quant à lui, atteint une hauteur de 2m à 2m 50. Il est surtuout cultivé en prévision du rituel inititatique des garçons, le difuani, dans lequel il occupe une place symbolique importante. Autrefois, il intervenait dans les prestations matrimoniales du mariage par dot. En novembre 2002, tout espoir de récolte avaient disparu : mil, fonio, sorgho, riz, avaient séché sur place. 
  J'ai pu constater dans les années 1980-1990, 2000, 2001 à Warengo, que les observations faites par P. Mercier en 1950 à Natitingou sont tout à fait pertinentes 30 à 40 ans plus tard: "Le petit mil est consommé de juillet à septembre, l'igname le reste du temps.  En saison sèche, haricots, patates,  manioc, pois d'Angole, igname.  En saison des pluies, maïs et arachide. Lors des fêtes, riz et fonio.  Préparations culinaires: pâtes, maïs bouilli ou grillé,  arachides crues ou grillées,  haricots, voandzou en beignets ou grillés.  Igname bouilli ou cuit à la cendre.  La farine de sorgho et de petit mil est consommée crue, grillée, délayée dans de l'eau froide. On y ajoute miel ou farine de néré.  Bière de sorgho. Sauces avec du sel, moutarde de néré,  beurre de karité, gombo, tomates, piment, feuilles de baobab, de kapokier, haricots, fruit de tamarinier . Les sauces comprennent aussi les viandes et poissons, coupés en menus morceaux, quelque fois du fromage coupé;  le repas principal est celui du soir, ce peut être le seul en période soudure : pâte chaude et sauce.  Restes mangés froids le matin.  Au champ, on cuit sur place de l'igname, du maïs, de l'arachide.  La consommation de viande de bœufs, poulet, cabri, mouton, est réservée aux grandes cérémonies.  Consommation des poulets importante. L'alimentation demeure assez monotone, malgré la variété des sauces" (op.cité, p. 240) 
27 La préparation de  la meule est elle-même longue et laborieuse, sous le contrôle des femmes.  Première étape: repérage des pierres de mécashiste sur  la montagne, fente des moellons avec une hache, parfois déracinement d' un arbuste à mains nues. Deuxième étape: transport au village des lourds moellons sur la tête. Troisième étape à la takyienta: équarrisagge et polissage de meule avec une pierre pouvant durer plusieurs jours. 
28 Les meules observées en Ahaggar sont des dalles de mécaschiste  laissées par les Néolithiques, la molette est en gneiss. Marceau Gast et Jean Adrian, 1965,   "Mils et sorgho en Ahaggar – Etude ethnologique et nutritionnelle" Arts et métiers graphiques., 76p
29 Depuis quelques années, les femmes Batammariba ont coutume de faire moudre le sorgho par un meunier, moyennant finances, aux moulins nouvellement construits dans la région. En février 2001, seules les plus démunies continuaient à moudre les graines sur la meule. 
30 Denis Sautier, Michèle O'Deyé,  1989 "Mil, maïs, sorgho – Techniques et alimentations au Sahel" L'Harmattan. 
31  Le boutiè  "mâle" a d'une part la propriété de faire gonfler de manière incurable le ventre et les membres d'une "personne ordinaire", d'autre part  de faire avorter une femme enceinte. En revanche, le boutiè femelle a des vertus curatives , notamment sur le kwashiokor.  Un maître de takyienta l'achète afin de célébrer les sacrifices sur  les autels domestiques. Il est alors conservé  dans une corne de buffle.
32 Il s'agit là d'une interprétation  personnelle et provisoire.
33 Notons que, quelques semaines auparavant, les Vrais Hommes se livrent à une consommation identique du fonio en fleur, laquelle, apparemment, ne présente pas la même solennité que celle des prémisses du sorgho. Il serait souhaitable de mener des recherches à ce sujet. 
34 Il s'agit de villages  autrefois en conflit ouvert à cause d'un enlèvement d'épouse. L'ancien conflit s'est mué en coutume d'enlèvements (consentis) d'épouses de part et d'autre, ceci correspondant à la forme de mariage secondaire devenue  la règle sur l'ensemble du pays des Batammariba depuis l'interdiction du mariage par prestations matrimoniales dans les années 70. 
35  Chaque takyienta possède une telle  poterie à pointes, appelée litadu, dans laquelle est entreposé un médicament ou boutiè, en principe sous forme de racines. 
36  Le Père Sulj note que dans certains groupes Basoruba de la région de Nadoba, la consommation du premier igname se fait au cours d'un repas rituel, également appelé mussotye,  présidé par les Vrais Hommes ou Banitidaaba: " Bien avant le jour de la cérémonie de l'igname nouveau, on recherche quelques racines   (probablement pour la fabrication du boutiè ou médicament) étroitement liées à la corne sacrée fayenfe (corne des Vrais Hommes). Ce travail est souvent effectué  durant le mois d'août  par les Banitidaaba. A la veille des cérémonies proprement dites, ces Banitidaaba se rassemblent dans la maison de la corne sacrée   (maison du Vieux de la Corne) avec les nouvelles ignames,  de la poudre  des racines moulues,  et des fleurs du fonio  recherchées auparavant. A partir de minuit commencent les cérémonies par la préparation des nouvelles ignames. Après la préparation, celui qui dirige le groupe (probablement le Vieux de la Corne) assisté de ses collaborateurs (sans doute les Vrais Hommes) morcèle des ignames qu'il mélange à la poudre des racines (boutiè), et qu'il présente d'abord au grand ancêtre du clan avant de prononcer des paroles incantatoires selon les coutumes. Ensuite, il livre à la corne sacrée quelques miettes d'ignames, qu'il jette sur elle aux deux bouts, de bas en haut. Il en fait autant pour l'est et l'ouest, puis jette une partie à terre. Le reste  est frotté à ses deux auriculaires gauche.  Dans un deuxième temps, il se rend avec ses collaborateurs  à un croisement de sentiers proche, où il dépose le reste des morceaux d'igname et de la poudre des racines, mis ensemble dans une poterie cassée.  Celui qui dirige le groupe récite à nouveau les prières, puis consomme les nouvelles ignames. Ses collaborateurs en mangent aussi".  "Le Paysan de la Vallée Tamberma"  p. 105-106, Joseph Sulj, Franciscain, Nadoba 1986.  Ce rite des nouvelles ignames, tubercules tardivement introduites dans la vallée de l'Atakora, est également évoqué par A. Maurice (op. cité) et P. Mercier (op. cité).   Précisons que les rituels des Basoruba, sous-groupe tammari, diffèrent sensiblement des rites des Batammariba proprement dits, notamment les rites initiatiques de la jeunesse.
1 "La Lance et le Serpent" – rituels initiatiques du dikuntri et du difuani chez les Tammariba du Togo" –  Ecole Pratique des Hautes Etudes, section des sciences religieuses, mars 1999 

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