Le 6 avril dernier, l’ex-Président Roch Marc Christian Kaboré a enfin pu regagner sa résidence privée. Renversé depuis le 24 janvier 2022 par un coup d’Etat au motif de la sauvegarde et la restauration du Burkina Faso, la situation sécuritaire du pays n’a pas pour autant été améliorée à ce jour. Le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) dirigé par le Lieutenant-Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba peine même encore à convaincre les Burkinabè quant au rétablissement de la sécurité, eu égard à la persistance et la multiplication des attaques terroristes. Quand on connaît les conditions dans lesquelles le terrorisme islamiste s’est installé au Burkina Faso et ses implications géopolitiques sous-régionale et internationale, il a fort à faire pour trouver une justification compréhensible à son coup d’Etat. Pour l’Histoire.
On ne cessera jamais assez de le répéter, le Burkina Faso a connu les premières attaques terroristes sur son territoire au lendemain de l’élection du Président Roch Marc Christian Kaboré à la magistrature suprême. La coïncidence avec le timing était et demeure toujours à tout le moins surprenante, voire troublante. Rien ne prédisposait en effet les Burkinabè à subir une telle agression. Pas même la situation déjà catastrophique au Mali dont le Nord avait vécu sous la coupe réglée d’une myriade de groupes jihadistes de collusion avec certains chefs de la rébellion touareg. Et parmi ces derniers, un certain nombre qui avaient pour moult raisons élu domicile à Ouagadougou où ils bénéficiaient de conditions d’accueil plus que privilégiées.
A tourner et retourner sous toutes les coutures les raisons qui ont pu motiver les terroristes islamistes à jeter leur dévolu sur le Burkina Faso, il est impossible de ne pas y voir derrière une action concertée et planifiée pour les besoins de la cause : la déstabilisation du pays. Que les protagonistes soient ceux qui se réclament d’un certain Jihad et qu’ils viennent de Mauritanie, du Sahara occidental, de l’Algérie, du Mali ou du Nigeria ; il n’en demeure pas moins vrai que, dans un premier temps, le mobile religieux est apparu comme un bon prétexte pour masquer les visages des commanditaires ou des bénéficiaires. Du reste, les premiers attentats perpétrés étaient revendiqués comme tels contre les Occidentaux. Et ils étaient signés d'Al-Mourabitoune. Appelé Al-Qaïda pour le djihad en Afrique de l'Ouest, ensuite Al-Mourabitoune-Al-Qaïda pour le djihad en Afrique vers la fin 2015, c’est un groupe terroriste qui s’était déjà fait connaître par des enlèvements d’Occidentaux au Mali et au Nord du Niger ou encore des attentats contre l’Armée française. C’est lui qui avait revendiqué le 15 janvier 2016 l’enlèvement à Djibo du couple d'Australiens, Jocelyn Eliott et Ken Elliott, qui vivaient au Burkina Faso depuis 40 ans, puis libéré le 6 février Jocelyn Eliott. Quant au Docteur Arthur Kenneth Eliott, il n’est toujours pas libéré à ce jour, plus de cinq ans après.
Avant que le pays ne devienne la cible de prédilection des groupes terroristes et en particulier des attentats ou autres enlèvements d'Al-Mourabitoune, le régime du Président Blaise Compaoré qui jouait alors certes les médiateurs entretenait des contacts avec ledit groupe dans le cadre de la libération d’Occidentaux kidnappés. C’est le moins que l’on puisse en dire.
De pays médiateur avec des Jihadistes à pays cible des Jihadistes
Dans une interview accordée à RFI, TV5 Monde et Le Monde, le Président Roch Marc Christian Kaboré avait rappelé ce qui suit « l'ex-président Blaise Compaoré a joué des rôles de médiation au Mali qui ont fait que, de façon constante, nous avons eu certaines collusions - je pèse mes mots - collusions - avec les forces jihadistes qui sont au Mali ». En cela, il ne révélait aucun secret. D’autant plus que les milieux diplomatiques tant africains qu’étrangers en étaient au courant. A la suite de cette sorte médiatique, Blaise Compaoré avait cru devoir réagir en déclarant notamment dans un communiqué transmis aux médias: « Je ne peux accepter de lire (...) que j'aurais pu avoir des liens coupables avec les terroristes d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique, lesquels justifieraient en réaction les attaques subies par mon pays ». De son exil ivoirien, l’ancien président Blaise Compaoré a beau chercher à se défendre, peu de gens sont portés à croire sa parole.
Faut-il le rappeler, du temps de la présidence de Blaise Compaoré, il était considéré par l’Occident comme un « Grand médiateur ». Au point d’être sollicité et loué pour les règlements de conflits et surtout dans les dénouements des prises d’otages. Avec l’entremise de Moustapha Ould Limam Chafi, son Conseiller spécial. Avant le coup d’Etat qui mit fin au règne du Général ATT (Amadou Toumani Touré), le Nord du Mali en proie à des rébellions séparatistes avait vite fait de transformer en un business éminemment lucratif la prise d’otages occidentaux. La chute du Colonel Mouammar Kadhafi suite à l’intervention occidentale en Libye, avec l’accélération de l’occupation du Nord du Mali par une coalition de groupes séparatistes touaregs et terroristes islamistes. Et c’est un secret de polichinelle de dire que certains chefs terroristes qui attaquent le Burkina aujourd’hui y avaient leurs résidences où ils se sentaient comme chez eux.
On se souvient que le parquet de Nouakchott avait lancé le 28 décembre 2011 un mandat d’arrêt international contre Moustapha Ould Limam Chafi, homme d’affaires prospère et opposant mauritanien en exil. Le régime du Président Mohamed Ould Abdel Aziz l’accusait en effet de liens directs avec Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI). Mais lesdites accusations avaient été catégoriquement réfutées par la coordination de l’opposition mauritanienne qui avait par ailleurs dénoncé le harcèlement dont faisait l’objet Moustapha Chafi. Trois chefs d’inculpation étaient retenus contre lui: financement du terrorisme, intelligence avec des groupes terroristes et appui financier et logistique à des groupes terroristes en activité dans le Sahel. Moustapha Chafi qui s’en était défendu, avait aussi menacé de porter plainte à son tour pour diffamation. «Pourquoi Aziz a-t-il fait ce mandat ? Il a fait ce mandat d’arrêt parce qu’il a pu faire de la justice mauritanienne ce qu’il veut. (…) De même qu’il a manipulé la justice mauritanienne ou caporalisé cette justice, il pense le faire au niveau de la communauté internationale, mais il n’a aucune preuve», avait-il déclaré à l’AFP peu après que la décision du gouvernement mauritanien a été rendue publique. Au Burkina Faso où il vivait avec sa famille, une source sécuritaire de la présidence de la République avait déclaré que «c’est un problème mauritano-mauritanien. Aziz veut régler un vieux contentieux». Mais ce mandat d’arrêt international avait peu de chance d’être exécuté. Et pour cause, ami inconditionnel et conseiller spécial du président Blaise Compaoré du Burkina Faso et de bien d’autres, Moustapha Chafi est surtout connu pour ses médiations dans la libération des otages d’AQMI. Il a été notamment à l’origine de la libération en 2009 des deux diplomates canadiens enlevés au Niger, de l’otage français Pierre Calmette, de deux otages espagnols Albert Vilalta et Roque enlevés en Mauritanie. Et cela, après l’exécution du Français Michel Germaneau suite à une opération militaire franco-mauritanienne contre un repaire des islamistes. Comme on peut le constater, Moustapha Chafi jouait un rôle déterminant dans la libération des otages occidentaux par AQMI. Ce qui lui conférait une grande influence au-delà même du continent africain.
Le régime mauritanien de l’ex-Président Mohamed Ould Abdel Aziz avait déjà accusé le médiateur Moustapha Chafi de collusion avec AQMI dans l’affaire des otages espagnols en ces termes: «les enlèvements d’AQMI dans la région du Sahel sont planifiés par Moustapha Chafi en échange d’une part de la rançon». Pour sa part, Moustapha Chafi avait formellement démenti ces accusations en déclarant: «je n’ai rien à voir avec la rançon». Toujours est-il que le mandat d’arrêt international que le parquet de Nouakchott avait délivré contre lui apparut donc comme une suite logique de ces accusations répétées. Puis, sans qu’on sache comment, l’affaire finit par se tasser. Et on n’entendit plus rien du tout. L’affaire fut classée.
En 2019, il a été encore cité dans des accusations de collusion avec des Jihadistes mais en Côte d’Ivoire et en liaison avec l’ex-Premier ministre et ex-Président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro en vue de déstabiliser la Côte d’Ivoire dans Jeune Afrique, 22 octobre 2019: « Relance du mandat d’arrêt burkinabè ou nouvelles affaires ? Au sein du pouvoir ivoirien, on accuse Guillaume Soro de préparer quelque chose. « En connexion avec Moustapha Chafi [ancien conseiller spécial de Blaise Compaoré et ami de Soro] et des groupes jihadistes, Soro prépare un mauvais coup contre la Côte d’Ivoire », titrait en juin Le Patriote. Venant du quotidien appartenant à Hamed Bakayoko, le ministre de la Défense, la une avait relancé les craintes dans le camp de l’ancien patron des Forces nouvelles. « Ce régime ne lance pas de fatwa ! » assure le responsable du renseignement ivoirien cité plus haut ».
Au regard de tout cela, l’ancien Président Blaise Compaoré a très peu de chances de convaincre les Africains qu’il n’a rien à voir avec les attaques que subissent malheureusement son pays. Si l’on peut supposer qu’il ne les commandite pas directement, on ne saurait donc écarter l’hypothèse que ses « anciens amis » ou « protégés » soient décidés à mener la vie dure à son ancien compagnon qui a largement contribué à le chasser du pouvoir. En l’empêchant de gouverner pour permettre sinon le retour du CDP au pouvoir, du moins un opposant au MPP du Président Roch Marc Christian Kaboré.
Que vont désormais faire les nouvelles autorités ?
Les critiques ont reproché au gouvernement de l’ex-Président Roch Marc Christian Kaboré de ne pas faire suffisamment assez pour assurer la sécurité des Burkinabé tout en oubliant que l’Armée du Burkina Faso vient de loin et est en train de se relever de ses ruines de l’ex RSP. Une Armée digne de ce nom ne se bâtit pas en deux ou trois ans. Malgré les efforts des autorités Burkinabé et l’urgence de la situation occasionnée par la guerre que nous imposent les terroristes, l’Armée nationale a encore du chemin à parcourir pour devenir une armée moderne et opérationnelle.
Il s’avère important de ne pas occulter que le Burkina Faso doit la survie de sa Transition démocratique au sens du patriotisme et à la mobilisation d’une partie de son armée contre une autre. Cette crise interne majeure a sans doute laissé de graves séquelles à son organisation et à son efficience opérationnelle suite à la tentative de coup d’Etat manqué du Général Gilbert Diendéré et consorts. Surtout lorsqu’il s’est agi de faire face à la multiplication et à l’intensification des attaques terroristes. Face à une telle situation, le chef de l’Etat et chef des Armées a fait ce qu’il était de son devoir, en faisant se resserrer les rangs des Forces de défense et de sécurité (FDS) et en les dotant graduellement des moyens de ripostes aux attaques tous azimuts dont le pays était dorénavant la cible. Et cela avec le soutien des partenaires étrangers du pays à l’instar de la France, les Etats-Unis, la Chine. Mais les mêmes qui avaient réussi à faire avorter le coup d’Etat du Général Gilbert Diendéré ont tout simplement décidé de le faire à leur profit. En prétextant la situation sécuritaire du pays. Sauf que, à quelques rares exceptions près à ce jour, on est obligé de constater que non seulement la junte militaire au pouvoir à Ouagadougou a quasiment sinon reconduit du moins promu ceux qui assuraient déjà les commandes de l’Armée du temps de l’ex-Président Roch Marc Christian Kaboré. Y compris même le ministre de la Défense, Le Général Barthélémy Simporé. Et certains de ceux qui avaient été sanctionnés ont été réhabilités ou promus. Tant et si bien que l’on est en droit de se demander quelles sont les dessous de ce coup d’Etat.
Négocier avec des Jihadistes : oui, mais comment et avec qui ?...
Au Burkina Faso tout comme au Mali bien avant les militaires au pouvoir qui ont renversé des régimes démocratiquement élus parlent de négociations. En abandonnant l’option choisie par leurs prédécesseurs. Mais comme le confiait dans une interview : « Lorsqu’on dialogue, on ne dialogue pas nécessairement avec les chefs terroristes, on peut dialoguer avec d’autres éléments qui font partie de ces groupes et qui peuvent être amenés à se détacher de leurs chefs. Le fait de dire qu’on ne ferme pas toute porte à la discussion est une attitude raisonnable aujourd’hui. Cela ne veut pas dire qu’on s’engage dans une négociation où il y a quelque chose à donner forcément et des concessions à faire. Il faut faire très attention et être au fait des risques qui peuvent être très importants quand on se met en négociation avec des groupes armés lorsque les Etats sont en position de grande faiblesse. Il ne faut pas opposer les différents éléments d’une stratégie de sortie de crise. Il faut absolument essayer d’établir un rapport de forces qui soit davantage favorable aux Etats de la région. Mais de l’autre côté, il faut dialoguer avec les communautés, les populations, de manière à ce qu’elles se détachent beaucoup plus clairement des groupes armés qui s’installent dans les différentes régions. Et il faut aussi une approche économique qui est complémentaire de l’approche politique et de l’approche sécuritaire ». Cela vaut très certainement pour le Burkina Faso autant que pour le Mali.
La nouvelle était tombée comme une bombe à l’occasion de la chasse organisée par les Américains contre le terroriste Oussama Ben Laden au Pakistan avec la découverte de documents compromettants. Le 02 mars 2016, RFI écrivait dans La Mauritanie a-t-elle conclu un pacte de non-agression avec Aqmi? : « Plus d'attentats ni d'enlèvements de touristes par Aqmi pendant un an en Mauritanie. Voilà l'accord que la branche sahélienne d'al-Qaïda aurait tenté de conclure avec Nouakchott en 2010. Ce pacte de non-agression a été révélé par des documents retrouvés par les forces spéciales américaines dans la cache d'Oussama Ben Laden au Pakistan, selon Reuters. En échange, Aqmi aurait réclamé : la fin des attaques de l'armée mauritanienne contre ses hommes, le versement d'une somme de 10 à 20 millions d'euros chaque année, mais aussi la libération de prisonniers. Cité par l'agence Reuters, un conseiller du président mauritanien a démenti l'existence d'un tel accord rappelant que Nouakchott est officiellement opposé à tout versement de rançon à des terroristes».
Qu’on se souvienne qu’à l’époque de la diffusion de ces informations émanant des renseignements américains, l’on avait été fort choqué qu’un Etat puisse accepter un tel marchandage. Ces documents avaient été pourtant jugés « crédibles » par le journaliste mauritanien Lemine Ould Salem, spécialiste du jihadisme sahélien. Et d’ajouter qu’il existait aussi un pacte tacite du même type avec l'ancien régime du Président Blaise Compaoré au Burkina Faso au moment où le Conseiller spécial Mustapha Chaffi jouait les médiateurs. Non sans lier, du reste, la rupture dudit pacte avec la chute de ce régime et l'attentat meurtrier d'Al-Mourabitoune en janvier 2016 contre le Splendid Hôtel en plein cœur de Ouagadougou. Est-ce que les Burkinabè qui sont si jaloux de leur souveraineté veulent leur pays sous la coupe réglée des groupes terroristes et que l’Etat du Burkina soit obligé de payer une espèce d’ « impôt islamique» (Jizîa) aux terroristes en échange de la paix?...Idem pour le Mali ?
Face aux affres, aux meurtrissures et aux multiples tueries que les groupes terroristes et Jihadistes imposent au Burkina Faso et à son peuple, civils et militaires confondus, la question de l’insécurité et de la lutte contre les Jihadistes doit être repensée d’un point de vue des nouveaux enjeux géostratégiques auxquels l’Afrique doit désormais faire face. Au-delà des intérêts inavoués des uns et des autres. On est donc en droit de se demander si le vrai problème, c’était la gestion de l’ex-Président Roch Marc Christian Kaboré ou un problème interne aux différentes composantes de l’Armée dans son ensemble. Sans toutefois occulter les différentes crises sociopolitiques consécutives à la chute du régime de l’ex-Président Blaise Compaoré en 2014.
Par Marcus Boni Teiga