Basé à Dakar au Sénégal, WATHI* est devenu, en quelques années, un Think Tank de référence tant sur l’échiquier africain qu’international. Afrique Destinations a interviewé en exclusivité Gilles Yabi, son Fondateur et Directeur exécutif à propos du terrorisme en Afrique de l’Ouest et de la situation au Burkina Faso en particulier.
Monsieur Gilles Yabi, vous êtes analyste politique et économiste, et vous avez travaillé pendant sept ans comme analyste politique principal puis comme directeur du Bureau Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group, une organisation internationale non gouvernementale qui œuvre pour la prévention et la résolution des conflits armés. Vous êtes à l’origine de la création de WATHI. D’abord, pourquoi avoir créé WATHI ?
Pourquoi avoir créé WATHI ? L’idée était d’apporter une contribution qui soit spécifique par rapport à ce qui existe déjà dans la région ouest-africaine et même au-delà. Après mes années effectivement passées à International Crisis Group mais aussi une expérience à Jeune Afrique et avec l’intérêt pour moi qui a toujours été particulier pour les affaires africaines, pour l’état du continent dans sa diversité : son état politique, sécuritaire, économique ; il me semblait être utile de mettre en place une plateforme dédiée à la création et surtout à la dissémination de connaissances, de savoirs, tous types de savoirs, tous types de connaissances, une plateforme de génération d’idées et de propositions pour transformer positivement notre partie du monde.
En tant qu’Africain, nous sommes nombreux à avoir le sentiment que nous n’exploitons pas suffisamment nos capacités individuelles et collectives et que nous n’arrivons pas à penser ensemble pour agir ensemble. WATHI a l’intention de représenter une contribution qui soit importante à l’échelle de la région ouest-africaine et pas simplement d’un pays. Et nous espérons aussi encourager l’éclosion d’initiatives similaires dans les autres régions du continent de manière à créer une dynamique panafricaine. Différents objectifs sont en réalité poursuivis par WATHI. Il y a l’objectif de production et de partage de connaissances au service de tout le monde et en particulier au service de l’intérêt général des populations africaines. Il y a une envie de contribuer à des changements importants sur tous les plans : politique, économique, éducatif et socio-cultuel.
Nous considérons que tous les sujets sont importants et qu’ils sont liés. C’est le vraiment le choix tout à fait assumé de la transversalité, du fait de ne pas travailler sur un thème en particulier mais de dire que nous travaillons sur toutes les questions qui sont les plus importantes pour le présent et l’avenir des sociétés ouest-africaines. Et je dirais aussi qu’il y a une volonté de contribuer à l’intégration régionale africaine de manière concrète, en faisant en sorte que sur la même plateforme, on puisse traiter des mêmes thèmes mais avec différentes perspectives nationales.
C’est à la fois traiter de sujets régionaux mais c’est aussi être très conscient de la diversité des situations nationales, de l’existence de nos Etats, certes jeunes et en construction de leurs frontières actuelles, de pays qui ont des dynamiques différentes et l’importance pour les citoyens de la région de s’intéresser réellement à ce qui se passe dans leur voisinage. La région et le continent, nous allons les construire ensemble, et en particulier pour les jeunes, il est important à mon sens qu’on s’intéresse vraiment à ce qui se passe dans les autres pays. Et quand je dis s’intéresser vraiment, c’est essayer de comprendre les dynamiques et avoir le niveau d’information qui permet justement de pouvoir agir collectivement.
Justement, en parlant de prévention et de résolution des conflits armés, quel regard portez-vous sur l’évolution et la recrudescence des actions terroristes au Burkina Faso aujourd’hui ?
La situation au Burkina Faso est extrêmement préoccupante. Elle l’est au dans l’ensemble de la région sahélienne. Les frontières du Sahel sont toujours assez floues. Mais si on considère les pays qui sont membres de l’organisation aujourd’hui qui s’appelle G5 Sahel, on a trois le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui sont vraiment confrontés de manière massive au phénomène du terrorisme et de manière générale à une insécurité rampante. C’est vrai que le Burkina Faso est une source majeure de préoccupation. Parce que c’est peut-être le pays où la situation a basculé le plus rapidement en quelques années. On est passé d’un pays qui avait certes des problèmes politiques connus et qui n’était pas un modèle de gouvernance démocratique sous Blaise Compaoré en un pays menacé par des groupes armés qui gagnent rapidement du terrain. Aujourd’hui, le Burkina Faso reste une source majeure d’inquiétude pour les populations burkinabè mais aussi pour tous les voisins, parce que le Burkina Faso fait la jonction entre le Sahel et les pays côtiers avec des frontières avec le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire. La dégradation brutale de la situation au Burkina Faso expose tous ces pays côtiers à une contamination notamment par la violence terroriste.
Que sait-on de ces groupes terroristes ?
Je ne suis pas un spécialiste des groupes terroristes qui opèrent dans le Sahel pour pouvoir entrer dans le détail. Evidemment, on sait à peu près quelles sont les grandes « familles » jihadistes qui opèrent dans la région. Il y a tous les groupes qui sont regroupés sous le chapeau du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (JNIM) qui se réclame idéologiquement d’Al Qaeda et de l’autre côté des groupes armés qui sont plutôt proches ou officiellement sous le joug de l’Etat islamique. On avait du côté du Nigeria Boko Haram mais en réalité aujourd’hui le groupe armé qui est de loin le plus important dans cette zone et dans les régions frontalières avec le Niger, c’est l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP) qui se définit comme la branche de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest.
Au Burkina Faso, on a des groupes qui au départ sont liés à la dégradation de la situation au Mali. Donc une sorte d’extension de l’insécurité et du terrorisme qui provient du Mali et qui s’est déportée au Burkina Faso essentiellement au Nord et à l’Est dans un premier temps. Mais on a aussi maintenant l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) qui est très important et très présent dans cette zone-là, dite des Trois frontières (Niger, Mali, Burkina Faso). Mais à nouveau, je ne peux pas entrer vraiment dans les détails de ces groupes armés qui sont très mouvants. En fonction des années, des évolutions sur le terrain et du contexte géopolitique local ou mondial, leurs noms changent et les personnes à la tête de ces groupes changent également, y compris au gré des éliminations ciblées de ces chefs par les forces qui les combattent, notamment françaises.
Il faut peut-être souligner dans le cas du Burkina Faso qu’on a à la fois un phénomène d’importation des groupes armés en provenance du Mali, mais qu’on a aussi, au fil des années, une présence établie de combattants Burkinabè. On connaît notamment l’histoire des Frères Dicko (Ndlr : les premiers Jihadistes du Burkina du mouvement Ansaroul Islam) qui étaient à la tête d’un des groupes armés actifs au Burkina. Donc ce n’est pas seulement une extension du terrorisme présent au Mali. C’est aussi la rencontre entre ces groupes armés dans cet environnement régional troublé et des régions du Burkina Faso où il y avait un terreau favorable à l’implantation de ces groupes-là. Je crois que c’est toujours important d’avoir une vision assez complexe des choses. Lorsque vous avez une insécurité de ce type dans un pays, vous avez souvent une rencontre entre un terreau qui, d’une certaine manière, est favorable à l’implantation de groupes armés et vous avez bien sûr les groupes armés qui existent déjà de l’autre côté de la frontière. Lorsqu’on a un seul des deux éléments, on n’a pas nécessairement un niveau de présence de groupes armés menaçant la stabilité. Mais lorsqu’on a les deux, c’est-à-dire des conditions locales qui sont favorables à l’implantation de groupes armés avec un discours de contestation politique et religieuse des Etats et de l’autre côté, on a un environnement régional avec des voisins où des groupes armés sont déjà implantés, là on a vraiment la recette pour le chaos.
Le Burkina Faso n’est pas le seul pays frappé par des groupes terroristes au Sahel, car ses voisins comme le Mali et le Niger ne sont pas épargnés, eux aussi. Mais on a l’impression qu’il y a un acharnement particulier contre le Burkina Faso. Que sait-on des groupes terroristes qui opèrent dans cette région et ce qu’ils revendiquent au juste ?
Qu’est-ce que les groupes revendiquent, c’est une vaste question. Beaucoup de groupes armés, notamment les groupes jihadistes, il faut les prendre au mot. Certains groupes armés défendent une vision de la société qui est un projet politique alternatif à ce qui existe. Alors, est-ce qu’ils y croient vraiment ? Est-ce qu’ils pensent pouvoir implanter que ce soit au Mali ou au Burkina Faso un Etat qui serait régi par la loi islamique, leur loi islamique en particulier qui, je le rappelle, n’est pas partagée par la plupart des musulmans su Sahel. Evidemment, c’est difficile à savoir s’ils y croient vraiment. Mais le fait est qu’il y a un agenda politique et je crois qu’on a tort de penser qu’ils ne croient pas à cet agenda-là. En particulier lorsque les motivations sont religieuses, au moins en partie, il y a la question de l’horizon qui n’est pas le même nécessairement pour ces groupes et pour ceux qui les combattent. Pour les groupes, lorsqu’il y a une telle motivation d’ordre religieux, il n’y a pas nécessairement un horizon de temps court. C’est-à-dire que même si c’est une bataille qui peut prendre des décennies, la volonté de prévaloir est telle que ces groupes peuvent s’inscrire dans ce temps long. Et c’est évidemment une très grande difficulté pour ceux qui les combattent et qui sont souvent dans des agendas de plus court terme de pouvoir tenir dans la durée. C’est l’une des grandes difficultés de l’affrontement avec des groupes armés qui ont une motivation religieuse, ou qui en font en tout cas leur discours de mobilisation et de recrutement. Parce qu’à nouveau, même si vous éliminez régulièrement ceux qui sont à la tête de ces groupes, vous avez une mécanique automatique de renouvellement et vous avez un discours qui continue à mobiliser. En particulier lorsqu’on est dans des zones où il y a autant de main-d’œuvre disponible pour les groupes armés, c’est-à-dire des jeunes hommes essentiellement qui n’ont pas d’occupations intéressantes, qui ont peu de perspectives, et qui ont en plus le sentiment qu’ils sont dans la réalité marginalisés dans les Etats auxquels ils sont censés appartenir formellement, vous avez toutes les conditions pour que ce type de groupes armés puisse perdurer dans le temps.
Ils sont affaiblis à un moment donné mais ils peuvent toujours se renouveler. Il suffit pour eux de remobiliser des ressources également pour pouvoir se relancer. C’est très difficile de pouvoir identifier précisément l’agenda de ces groupes. Et je pense qu’il faut aussi faire attention à leur diversité. On a aujourd’hui dans les phénomènes de l’insécurité au Burkina Faso comme ailleurs dans la région des groupes armés qui n’ont pas le même agenda, qui n’ont pas les mêmes tactiques, qui n’utilisent pas les mêmes formes de violences. Il est toujours important d’étudier de près les formes de violence. Parce que cela nous dit des choses également sur l’agenda des différents groupes. Il est clair que les groupes qui sont par exemple liés à l’Etat islamique n’épargnent pas les civils alors que d’autres peuvent décider de s’attaquer quasiment principalement à tout ce qui est proche de l’Etat ou représente un Etat. Donc, à nouveau, sur les agendas des uns et des autres, je crois qu’il faut être prudent et qu’il faut une analyse beaucoup plus nuancée en tenant compte de la diversité de ces groupes armés.
Le constat pour les citoyens burkinabè est que les Forces de défense et de sécurité (FDS) et leurs supplétifs des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) courent tous azimuts derrière l’ennemi et ne parviennent pas sinon à assurer la sécurité du pays, du moins à limiter les attaques et par conséquent le nombre de victimes des groupes terroristes. Comment expliquer ces difficultés, voire cette impuissance face aux terroristes ?
Je crois que cette question est particulièrement importante. Peut-être que davantage que la compréhension des agendas des groupes armés, il faut s’interroger sur la nature des armées et des Etats qui sont confrontés à ces problèmes, leurs capacités et leurs faiblesses structurelles. Je crois que dans le cas du Burkina Faso, il est très clair que ces groupes ont aussi profité de la fragilité du pays depuis quelques années. Il est clair qu’on a eu sur le plan politique plusieurs décennies d’un régime qui était très axé sur la sécurité, qui était principalement orienté vers la protection du régime en place.
Compte tenu des conditions dans lesquelles le régime Compaoré est tombé, on a eu aussi une forme d’effondrement du système de défense de sécurité. Et cet appareil se remet en place très difficilement. Quant aux Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des civils qui ne reçoivent que quelques semaines de formation -, beaucoup d’analystes ont alerté sur le fait que c’était une réponse pour le moins insuffisante et même dangereuse à la situation. Je crois qu’il n’y a pas d’alternative à une remise sur pied des Forces de défense et de sécurité du pays. Eviter à tout prix ce qui peut ressembler à des milices, parce que cela pose d’autres problèmes. Remédier aux problèmes de base qui sont connus. Lors des attaques au Burkina Faso, la dernière attaque des plus violentes contre des gendarmes (Ndlr : attaque d’Inata le 14 novembre 2021), les autorités du pays jusqu’au plus haut niveau ont reconnu qu’il y avait des problèmes d’approvisionnements, y compris en rations de nourriture pour les soldats. Ce sont des problèmes qui sont réels et qui sont graves, des qui ne concernent pas seulement le Burkina Faso et son armée mais toutes les armées de la région. Et je crois qu’au-delà des analyses géopolitiques complexes, il faut bien comprendre qu’on ne peut pas faire face à des groupes armés qui sont très motivés avec autant de défaillances au niveau des Forces de défense et de sécurité.
On aurait pu penser à l’instar de certains Burkinabè que c’est l’armée du Burkina Faso qui n’est pas efficace si les Forces du G5 Sahel ou encore de l’Opération Barkhane des Forces multinationales avaient réussi à enrayer le phénomène du terroriste en dépit des moyens colossaux qui ont été engagés dans cette lutte dans le Sahel. Mais les résultats sont bien mitigés, et c’est le moins que l’on puisse en dire. Faut-il alors imputer les difficultés des Forces de défense et de sécurité (FDS) au management du Président Roch Kaboré comme tente de le marteler à cor et à cri son opposition politique ou plutôt nuancer ces accusations et les considérer comme du registre de la politique tout simplement ?
Oui, il est certain que les Forces de défense et de sécurité du Burkina Faso ne sont pas les seules à avoir du mal à répondre à la menace terroriste et à contenir l’avancée des groupes armés. Au Mali, la crise perdure et l’insécurité s’est aggravée au fil des années malgré la présence des Nations Unies, de la Force française Barkhane et des efforts de réforme de l’armée malienne. Mais le fait que le Mali, le Burkina Faso, et même le Niger subissent des attaques très importantes et montrent des limites clairement dans la capacité de réaction à ces groupes armés ne peut pas exonérer les autorités politiques de ces pays de leurs responsabilités. Ce n’est pas étonnant que les autorités politiques au plus haut niveau du Burkina Faso soient également critiquées pour l’inefficacité de leurs forces armées, je dirais de manière plus large, de l’ensemble du système de défense et de sécurité qui inclut les Services de renseignements et l’administration du territoire. Il y a une véritable faiblesse au Burkina Faso comme ailleurs, mais il faut aussi dire que le territoire du Burkina Faso apparaît comme un peu plus gérable que le Mali ou le Niger qui sont beaucoup plus grands en termes de superficie. Donc oui, le Burkina Faso n’est pas le seul à avoir beaucoup de mal face aux groupes armés terroristes, mais on ne peut pas s’étonner que le Président Kaboré soit mis en cause par l’opposition politique en particulier mais aussi par d’autres citoyens qui sont simplement désemparés face à la montée de l’insécurité.
Face à des accusations de plus en plus insistantes du lien entre l’ancien Président Blaise Compaoré et certains terroristes, Luc Adolphe Tiao, son dernier Premier ministre a déclaré à nos confrères de Radio Omega à Ouagadougo ce qui suit : « Blaise Compaoré a travaillé officiellement à la demande de la CEDEAO et des Nations unies [comme médiateur au Mali]. Ce n’était pas des rebelles ce n’était pas des terroristes. C’était des mouvements rebelles qui avaient la caution de certains pays et ce sont ces pays qui ont demandé au président Compaoré de s’impliquer dans la médiation pour régler le problème qui était au Mali. Des chanceliers diplomatiques le touchaient lorsque leurs compatriotes avaient des problèmes. On peut dire que Blaise a soutenu la rébellion en Côte d’Ivoire mais dire qu’il a financé le terrorisme, moi je n’ai aucune preuve ». Mais ils sont légion ceux qui pensent que le fait que le Burkina qui était jusque-là un havre de paix en Afrique de l’Ouest soit passé sous la chape d’une insécurité organisée depuis la chute de l’ancien Président Blaise Compaoré ne doit rien au hasard. Quelles sont, à votre avis, les causes de la situation actuelle ?
Je crois à nouveau qu’il faut s’en tenir aux faits. Je n’ai pas de faits qui plaident en faveur d’une forme d’implication du Président Blaise Compaoré dans l’insécurité qui a gagné le Burkina Faso après sa chute et son départ en exil. Ce qui est par contre bien établi, c’est l’existence de groupes armés au Mali et dans l’ensemble de la région depuis des années. Ce qui est aussi établi, c’est qu’après plusieurs décennies au pouvoir lorsque vous avez un régime qui s’effondre, vous avez une phase de fragilité qui est liée au fait que les institutions étaient complètement dépendantes de la Présidence et du régime très personnalisé et personnifié qui était en place. On sait très bien à nouveau dans quelles conditions le Président Compaoré est parti, dans quelles conditions la Transition s’est déroulée au Burkina Faso. Du côté des Forces de défense et de sécurité (FDS), il y a eu une grande déstructuration et que cela ne se remet pas en place facilement ni rapidement. Je crois qu’il faut s’en tenir à ces faits : d’un côté des menaces qui étaient déjà proches des frontières burkinabè et de l’autre côté la fragilité et la vulnérabilité du Burkina Faso après un changement politique majeur. J’ajouterais aussi ce que j’ai déjà dit sur l’existence dans les zones frontalières du Burkina Faso de populations qui se sentent de longue date marginalisées et qui n’ont pas des rapports de confiance avec les gouvernants et l’Etat central à Ouagadougou.
« Si dans un délai d’un mois, rien de sérieux et de concret n’est entrepris pour maitriser la situation sécuritaire, l’opposition politique en concertation avec des organisations soucieuses de l’avenir de la nation, appellera à des manifestations fortes pour exiger purement et simplement la démission immédiate du Chef de l’Etat et de son gouvernement », a déclaré Eddie Komboigo, chef de file de l’opposition lors d’une conférence de presse à Ouagadougou. Que pensez-vous de cette déclaration ?
Je ne suis pas très à l’aise pour commenter les déclarations du chef de l’opposition au Burkina Faso qui appelle à des manifestations. Et d’ailleurs des manifestations ont déjà eu lieu pour demander plus de résultats dans la lutte contre l’insécurité dans le pays. Je crois que ce qui est le plus important, ce n’est pas la politique intérieure burkinabè, c’est la restauration d’un minimum de sécurité. Il est normal évidemment que ceux qui sont au pouvoir soient interpellés face à cette situation. Après, que l’opposition veuille profiter de ce moment de faiblesse ou de vulnérabilité du régime pour l’attaquer, cela fait partie très clairement du jeu actuel. Mais je crois, en tout cas, que tous les acteurs burkinabè du pouvoir comme de l’opposition et toutes les forces sociales doivent aujourd’hui s’entendre sur un minimum. Et le minimum, c’est assurer que le pays survive et que l’insécurité ne gagne pas davantage de terrain. C’est cela l’urgence absolue. Il est nécessaire qu’il n’y ait pas de fracture politique trop importante qui empêche justement la nation d’être unie dans cette bataille contre l’insécurité, contre des groupes armés, contre le risque de prolifération de milices et le risque de diffusion peut-être d’un sentiment pour les populations qu’il faut qu’elles se défendent elles-mêmes. A charge pour les autorités politiques au plus haut niveau de répondre à cette demande de restauration de l’ordre et de la sécurité.
Selon vous, est-ce que les Etats, à l’instar du Burkina Faso et du Niger – on sait que le Mali a déclaré avoir pris langue avec des chefs terroristes -, devraient négocier avec les groupes terroristes, et si oui pourquoi, en échange de quoi, et avec quelle garantie ?
Sur la question du dialogue avec les groupes terroristes, je n’ai pas de position figée. Tout le monde voit bien, partout dans la région, qu’il y a une très grande difficulté à trouver une solution ou des solutions de sortie de crise. Ce que moi je dis, c’est qu’il faut distinguer la négociation et le fait de dialoguer avec des adversaires, voire des ennemis. Lorsqu’on dialogue, on ne dialogue pas nécessairement avec les chefs terroristes, on peut dialoguer avec d’autres éléments qui font partie de ces groupes et qui peuvent être amenés à se détacher de leurs chefs. Le fait de dire qu’on ne ferme pas toute porte à la discussion est une attitude raisonnable aujourd’hui. Cela ne veut pas dire qu’on s’engage dans une négociation où il y a quelque chose à donner forcément et des concessions à faire. Il faut faire très attention et être au fait des risques qui peuvent être très importants quand on se met en négociation avec des groupes armés lorsque les Etats sont en position de grande faiblesse. Il ne faut pas opposer les différents éléments d’une stratégie de sortie de crise. Il faut absolument essayer d’établir un rapport de forces qui soit davantage favorable aux Etats de la région. Mais de l’autre côté, il faut dialoguer avec les communautés, les populations, de manière à ce qu’elles se détachent beaucoup plus clairement des groupes armés qui s’installent dans les différentes régions. Et il faut aussi une approche économique qui est complémentaire de l’approche politique et de l’approche sécuritaire.
Comment l’Afrique de l’Ouest, de manière plus générale, pourrait-elle envisager la prévention et la lutte contre le terrorisme de manière plus efficace afin de s’occuper des vrais problèmes de son développement au lieu de divertir d’importances ressources humaines et financières pour lutter contre des terroristes et leur idéologie obscurantiste ?
La lutte contre le terrorisme n’est évidemment pas la seule priorité pour les Etats d’Afrique de l’Ouest qui sont confrontés à d’énormes défis économiques, sociaux, politiques. On connaît la jeunesse de la population, la cadence de la démographie, tous les défis que cela pose en termes de fourniture de biens et de services essentiels aux populations, d’éducation et de création d’opportunités économiques pour les jeunes. Bien sûr qu’il est dommage que les Etats doivent divertir d’importantes ressources pour les mettre dans la lutte contre l’insécurité. Je parle bien de lutte contre l’insécurité et pas seulement de lutte contre le terrorisme. Lutter contre le terrorisme n’a pas beaucoup de sens, parce que le terrorisme est un mode d’action. On lutte contre des groupes armés qui sont des agents majeurs d’insécurité dans la région. Et dans la perception de ces groupes armés, il ne faut pas se limiter simplement aux groupes jihadistes qui utilisent des méthodes terroristes. On a des milices communautaires qui fleurissent dans la région. On a des acteurs du crime organisé également. On a aussi des acteurs de l’Etat, des Forces de sécurité malheureusement qui se rendent coupables de crimes graves contre les populations. Il faut regarder les faits de violence dans leur complexité et dans leur entièreté. La prévention de l’insécurité en Afrique de l’Ouest et la réponse à l’insécurité dans les régions où il ne s’agit plus de prévention. Cela doit passer par une compréhension fine de cette complexité. Et cela implique de travailler au renforcement du secteur de la défense et de la sécurité et au-delà au renforcement des Etats, à la restauration d’une forme de crédibilité des Etat. Cela passe par l’amélioration significative de la gouvernance, la lutte contre la corruption, les gaspillages des ressources publiques que nous connaissons tous. Il faut changer de manière assez profonde la perception que les populations ont des gouvernants. On voit que partout il y a une perte de confiance des populations dans la capacité de leurs gouvernants – même lorsqu’ils sont élus – à répondre à leurs besoins. Il faut travailler sur toutes ces dimensions à la fois. Mais on ne peut pas faire fi de l’insécurité et de la menace immédiate que cela représente pour les pays du Sahel et au-delà pour tous les pays d’Afrique de l’Ouest. On ne peut donc pas ne pas également mettre des ressources dans la lutte contre l’insécurité, parce que les grands axes de développement économique et social ne peuvent pas être mis en œuvre dans un environnement de grande insécurité. Il est très clair que la question sécuritaire est importante et quelle doit avoir une réponse multidimensionnelle.
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Entretien réalisé par Marcus Boni TEIGA