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TRIBUNE/AFRIQUE : L’implosion de la Lybie n’est pas la cause du Jihadisme en Afrique de l’Ouest…

President Muhammadu Buhari of Nigeria when he was first elected in 2015. He promised to eradicate the Islamo-terrorist sect of Boko Haram.

En 2010, j’avais publié un article intitulé La chute de Kadhafi, une bonne nouvelle pour l’Afrique. Lequel a déclenché des réactions on ne peut plus controversées, voire agressives à mon égard. Retour sur une opinion sur laquelle ma position n’a guère changé depuis, pas même d’un iota. Parce que même si les commentaires sont libres, ils ne peuvent être basés que sur des faits. Et les faits, quant à eux, sont têtus et ils ont la vie dure.

J’écrivais alors en 2010: « Sa chute, une leçon pour l'Afrique subsaharienne

La chute de l’ancien Guide de la révolution libyenne est, en définitive, une bonne nouvelle pour plusieurs raisons.

Primo: il ne sera plus au pouvoir pour faire ou défaire les régimes en jouant à sa guise et selon son humeur les trouble-fêtes en Afrique Noire.

Secundo: la construction de l’Union africaine n’aura plus à souffrir de sa présence compromettante et de sa prétention à en être le leader.

Tertio: les dirigeants africains devraient tirer les leçons de sa chute, sur la nécessité de dépasser les derniers écueils afin de réaliser l’unité de l’Afrique, quelle que soit la forme que cette union devra prendre. C’est la seule façon pour d’autres dirigeants d’Afrique d’éviter à l’avenir le sort de Mouammar Kadhafi *1». Une diatribe provenant du Cameroun avait même cru devoir me répondre alors : « Un certain Marcus Boni Teiga, directeur de la rédaction de l'hebdomadaire Le Bénin aujourd'hui, a même affirmé que «La chute de Kadhafi, une bonne nouvelle pour l’Afrique »…Normal, le Cameroun n’a jamais été victime des agissements de Mouammar Kadhafi, dirais-je.

Oui, en effet, je persiste et signe encore aujourd’hui en 2022 à dire que mon intime conviction n’a pas changé malgré l’insécurité qui sévit en Afrique de l’Ouest. Une situation qui n’est pas du fait seul fait de la chute de Kadhafi, il faut bien le dire. Bien au contraire, le terrorisme islamiste n’est pas né avec sa chute mais plutôt avec lui. Les archives de l’Histoire contemporaine de l’Afrique sont là pour en témoigner. Toujours est-il qu’il a fallu attendre 2019 à l’occasion de la campagne présidentielle pour son second mandat pour que, au moins, un homme et pas n’importe lequel, le Président Muhammadu Buhari, confirme ce qui a toujours été mon intime et profonde conviction. Le Président Buhari n’est pas à son premier passage à la tête de l’Etat fédéral au Nigeria. Officier de carrière, originaire de l’Etat du Katsina et pieux musulman, il sait de qui il parle quand il évoque Feu Mouammar Kadhafi. « Pour Buhari, c'est « l'héritage peu recommandable de Kadhafi qui hante toujours le Nigeria et d'autres pays (…) Kadhafi a dirigé la Libye pendant 43 ans. Il a décidé à un moment donné de recruter des personnes originaires du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Nigéria, du Tchad, de la République centrafricaine, et ces jeunes hommes n'ont pas été formés pour devenir des maçons, des électriciens, des plombiers ou autres, mais pour tirer et tuer *2», a de nouveau accusé Buhari ». Et c’est bien peu à côté des complots et des guerres qu’il a fomentés dans nombre de pays d’Afrique Noire. Kadhafi, le Panafricaniste, c’est tout simplement à des fins cosmétiques pour ceux qui ne connaissent la nature intrigante, rancunière qui se cache derrière cet homme dont le racisme n’a jamais fait l’ombre d’aucun doute. Les Toubous – peuples Noirs de la Libye - sont là pour en témoigner. En tant que journaliste politique, Mouammar Kadhafi est sans doute le chef d’Etat africain sur lequel j’ai eu le plus à enquêter pour plusieurs raisons et particulièrement son implication dans l’assassinat du Président Thomas Sankara. Et le Président Muhammadu Buhari du Nigeria n’exagérait en rien lorsqu’il a dit : « Les bandits, qui se sont échappés de Libye après la mort de leur chef en 2011, sont passés au terrorisme, dont le Nigéria et certains autres pays africains sont aujourd'hui les principales victimes », a déclaré Buhari, dans un long entretien qu'il a accordé à la chaîne Arise TV et qui a été diffusé cette semaine *3». L’implosion de la Lybie n’est pas la cause du Jihadisme en Afrique de l’Ouest…Elle n’est qu’un facteur aggravant. Il s’avère donc important de le faire remarquer et de ne pas verser dans les amalgames que d’aucuns entretiennent à des fins inavouées.

A la suite de la rébellion touarègue du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), l’occupation du Nord du Mali entre 2011 et 2012 par divers groupes armés jihadistes, en l’occurrence Ansar Dine, le Mouvement pour l’unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI), a montré toute la fragilité de nos Etats hérités de la colonisation. L’Union Africaine qui n’a jamais diantrement cessé de prôner des solutions africaines aux problèmes africains, a prouvé pour la énième fois qu’elle n’était qu’une machine à palabres, tout juste bonne à produire une quantité énorme de discours pour rien de concret. La belle preuve est qu’elle a été incapable, comme à son habitude, de trouver une solution africaine à l’occupation du Mali. Pire, il aura fallu le président français, François Hollande, pour décider d’engager des troupes françaises sur le sol malien afin de contrer in extremis les Jihadistes qui partaient à la conquête de tout le pays. Avec cette réalité, c’est tout un château de cartes de nos institutions qui s’est effondré, depuis l’Etat jusqu’à l’organisation continentale en passant par l’organisation sous régionale, c’est-à-dire la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). A travers le Mali, tous les peuples d’Afrique de l’Ouest – et plus généralement d’Afrique – se sont eux-mêmes rendu compte que les dirigeants de leurs Etats, pris isolément, sont incapables d’assurer leur sécurité face à des ennemis comme les Jihado-terroristes qui avaient mis le Nord du Mali en coupe réglée, a fortiori de grandes menaces. 

Ironie du sort, c’est au nom de l’Islam dont le Mali fut et demeure le haut lieu symbolique, et le champion de la diffusion en Afrique Noire dans les temps anciens qu’il a été menacé dans son intégrité territoriale et son fondement républicain. Ironie du sort encore, c’est grâce à la France (ancienne puissance coloniale) que le Mali a été sauvé de l’effondrement. Ironie du sort enfin, les pays frères du monde arabo-musulman n’ont pas cru devoir apporter leur soutien au Mali en ces temps difficiles. Bien au contraire, plusieurs voies se sont même élevées çà et là pour condamner cette intervention militaire française qui, quoi qu’on dise, a arrêté l’avancée des Jihadistes vers Bamako, la capitale, et marqué le début de la reconquête du territoire occupé. Sans elle, l’Etat malien en tant que tel n’existerait certainement plus aujourd’hui. Et pendant tout ce temps, les des 54 pays que compte l’Afrique continuaient à palabrer et à tergiverser, sans pouvoir convaincre l’Organisation des Nations Unies (ONU) à agir. Une lenteur de l’organisation internationale qui démontre, s’il en était encore besoin, que cette organisation doit être réformée et que l’Afrique, si ce n’est par sa puissance économique ou militaire mais sa puissance démographique, mérite dorénavant une place de choix au Conseil de sécurité de l’ONU.

L’intervention de la France au Nord du Mali en janvier 2013 n’est pas une action philanthropique. Loin s’en faut, car l’Etat français n’est pas une organisation philanthropique. Il ne faut nullement être naïf. Le Général Charles de Gaulle disait fort justement du reste: « les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ». Il n’empêche qu’elle a le mérite d’avoir paré au plus pressé en lieu et place de la CEDEAO, de l’Union Africaine et de l’ONU. C’est la première fois depuis la décolonisation qu’une intervention française en Afrique a fait l’unanimité chez les peuples africains. D’autant plus qu’au-delà des intérêts qui peuvent être sous-jacents, elle n’a pas été fondamentalement mue par une visée néocolonialiste du genre de celles qui font que la France décide de mettre en selle ou de soutenir un de ses hommes au pouvoir en Afrique.

Mais on a beau la critiquer ou la saluer, l’intervention française au Mali doit interpeller tous les Africains, sans exception. Elle souligne surtout de manière évidente et urgente le devoir de la société civile africaine de contraindre les dirigeants du continent, et cela par tous les moyens démocratiques, à réformer radicalement l’Union Africaine pour l’orienter définitivement vers une Fédération des Etats d’Afrique. Car, les pays et les peuples africains ne peuvent pas tout le temps clamer sur tous les toits leur souveraineté ou la non-ingérence dans leurs affaires vis-à-vis des puissances étrangères pour ensuite oublier ces mêmes principes au moindre problème. En faisant honteusement appel à ces mêmes puissances occidentales, le cas échéant. Le cas du Mali, parmi tant d’autres, est un exemple on ne peut plus patent. Quand on sait que la plupart des dirigeants africains est souvent prompte à sortir des chars pour organiser des hold-up électoraux ou faire réprimer leurs populations qui ne revendiquent souvent que le pain et la dignité, on est en droit de s’indigner qu’ils aient été incapables pendant de longs mois de sortir ces mêmes chars pour aider le pays frère du Mali dont les populations étaient torturés et martyrisés par des bandits de grand chemin et des Jihado-terroristes. Au prétexte certainement qu’ils attendaient l’autorisation de l’ONU, si ce n’est que celle-ci vienne faire à leur place le travail qui est d’abord le leur. Mais le pied de nez à l’histoire est venu de la France.

L’invasion du Nord du Mali et son corollaire restera en caractères indélébiles une grande honte pour toute l’Afrique, à commencer par l’Union Africaine. Il n’empêche qu’elle doit nous amener tous à prendre conscience mais surtout à agir de concert pour faire de l’union des pays africains notre cheval de bataille. L’Afrique doit dorénavant se prendre en charge, si elle se respecte et si elle veut mériter le respect des autres pays et continents. Pour ce faire, elle n’a pas d’autre choix que d’avancer le plus rapidement possible vers une Fédération des Etats d’Afrique ou tout au moins à des Fédérations des Grands ensembles sous-régionaux. Cela doit être dorénavant comme une question de vie ou de mort.

Marcus Boni Teiga
Marcus Boni Teiga

Au-delà de tous les Africains, cette recommandation doit résonner sempiternellement dans les oreilles des jeunes en particulier. Ils portent aujourd’hui la lourde mais ô combien exaltante mission d’œuvrer, et cela par tous les moyens, pour faire de l’Afrique un continent debout, uni comme un seul homme, fier et qui marche résolument vers le destin qu’il s’est choisi. « Chaque génération doit, dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir *4», disait fort justement et fort joliment Frantz Fanon. 

Par Marcus Boni Teiga

*1 – Marcus Boni Teiga, La chute de Kadhafi, une bonne nouvelle pour l’Afrique, Slate Afrique, mis à jour le 29/08/2011 à 11:33 : http://www.slateafrique.com/32915/la-chute-de-kadhafi-bonne-nouvelle-af…

*2 - Aboubacar Yacouba Barm, Insécurité en Afrique de l’Ouest : pour Buhari, le responsable c’est Kadhafi, 10 Jan 2019, 15:00 : https://afrique.latribune.fr/politique/2019-01-10/insecurite-en-afrique…

*3 – Idem
*4 - Frantz Fanon, Les damnés de la terre, éd Maspero, 1961

 

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