A l’heure où en ce premier quart de siècle se bousculent à l’horizon des publications diverses sur le nouveau visage de l’Afrique, un auteur tel une étoile rare dans le firmament de la recherche, fait entendre sa voix en ne jouant pas les cassandre. Il s’agit de Mr Emmanuel Kabongo Malu, Maître de Recherche à l’INADEP (Institut National d’études prospectives) et professeur des universités.
Les réflexions qu’il offre aux amoureux de l’Afrique qui n’ont pas de patrie sont condensées dans un volume esthétiquement beau à l’exemple du plumage de rossignol et s’étalent sur 4 chapitres à travers 312 pages. Au fond, ce joyau de « l’analyse rétrospective et prospective » sur l’Afrique, scrute « l’actualité du plaidoyer de Cheikh Anta Diop pour les Etats-Unis d’Afrique Noire ». Qui est Cheikh Anta Diop? Doté d’une intelligence prodigieuse qui a fait de lui le classique de l’érudition en Afrique, ce Sénégalais est l’auteur de « la théorie d’une Egypte ancienne profondément africaine. »
Un tel plaidoyer, s’inscrivant par ailleurs dans un projet vaste, beau et ambitieux présage des appréhensions à ne pas prendre par le petit bout de la lorgnette. D’où de manière subtile et en amont la question posée par l’A. dès le titre : « l’Afrique appartiendra-t-elle aux Africains en 2063 ? ». Appréhension n’est pas un mot difficile. Dans le contexte du plaidoyer cher à Cheikh Anta Diop, il infère que les Altermondialistes et les Panafricanistes, sans mettre en retrait l’A. lui-même, éprouvent une crainte par rapport à l’avenir de l’Afrique, partant d’un statu quo où, dans le concert des nations, dit Bilolo Mubabinge , « ….. les Vautours continuent à dépecer et à dévorer Afudika et que Ben–Afudika sont en danger permanent d’extinction » (p. 21).
Mais quelles sont les différentes séquences qui concourent à mieux comprendre le livre en s’en appropriant le contenu ? Il y a d’abord la préface (pp.11-25) de Bilolo Mubabinge qui met en lumière de façon originale l’actualité du projet du libre ; ensuite, les prolégomènes ou l’introduction qui montrent que le problème qui préoccupe l’A. s’inscrit dans l’histoire d’un vaste champ défriché par la cohorte de vaillants chercheurs panafricanistes dont Cheikh Anta Diop est le représentant le plus instructif ; enfin, avant de s’imprégner, dans les annexes (pp.297-312), de publications de l’A. et de l’éclairage sur les éléments clés de la Mission de l’INADEP, versants congolais et européen, les 4 chapitres, comme colonnes d’architecture qui lui donnent solidité et consistance.
Développons ces séquences en montrant comment elles concourent à porter dans la clarté du logos les articulations majeure du livre. Après des considérations inédites sur l’exploitation du continent africain par la Traite négrière, la Colonisation et la Mondialisation, la préface salue dans le livre l’Alarme déclenchée « pour nos peuples, pour les chercheurs et pour les dirigeants de notre beau et riche Continent, au seuil de cette nouvelle année. » (pp. 24-25).
L’introduction (pp. 27-79) inhabituellement longue pour un livre de 312 pages, donne des prérequis pour comprendre le rêve qui habite Cheikh Anta Diop, ce coryphée du panafricanisme. Ce rêve est de voir naitre une Afrique soudée et unie en fédération comme une masse géostratégique à l’exemple des Etats-Unis d’Amérique. Comprendre un tel projet, démesurément ambitieux et ayant attiré à Cheikh Anta Diop, rejet et haine de la part de la masse géostatique Euro Amérique, c’est comprendre en quoi consiste la Renaissance africaine. Qu’en dire en synthèse et raccourci d’exposé ?
Avec la perspicacité d’un aigle en haute altitude face à sa proie, Cheikh Anta Diop éventre le boa en rêvant grand et au grand dam des cosmocrates. Son ambition est de faire renaitre l’Afrique devenue un vaisseau à la dérive, broyée et subjuguée par l’Occident impérialistes, « en la dotant d’une mémoire culturelle aux fins de la restauration de la conscience historique africaine, la colonne vertébrale de toute émancipation de peuples » (p. 27).
Prenant le contrepied des effets néfastes d’une guerre rétrograde de l’Occident impérialiste contre le monde noir depuis « une traite négrière qui détruisit de surcroit toutes les opportunités de développement sur le continent et d’un siècle et demi d’une colonisation qui a aliéné l’Homme, version africaine et balkanisé l’espace vital des Africains » (pp. 27-28) , cette renaissance culturelle, mieux cette vaste opération de sauvetage, vise à restituer l’histoire du continent africain « depuis la préhistoire, par une recherche scientifique pluridisciplinaire en « tombant contre toute attente », comme lui-même le dit, sur l’Egypte pharaonique » (p. 32).
Il se dégage de cette restitution un lien fort entre l’Histoire et la Politique, impliquant en conséquence une jonction entre le passé, le présent et le futur. La voie politique et des développements opposés aux schémas de pensée établis doivent faire renaitre la culture africaine à partir de l’héritage égyptien pharaonique et la promotion des langues négro-africaines (p. 29). L’histoire et la langue comme piliers de la conscience des peuples et de leur culture fondent et justifient en même temps l’édification d’un Etat fédéral. « Il appartient, souligne l’A., à la culture, pour le salut et l’équilibre des peuples, d’inspirer la politique, de la penser, de l’animer » (p. 29).
Sur ces entrefaites, il va sans dire que la restauration de la conscience historique impose aux nations africaines de développer en Afrique noire l’égyptologie et de revisiter la Civilisation nubio-égyptienne dans tous les domaines. Un tel sursaut étant une urgence continentale aboutissant à un Etat fédéral garantit le développement de l’Afrique et assure sa viabilité en créant une armée de l’Etat fédéral panafricain.
Mais cette jonction du culturel et du politique dont le droit de cité est reconnu chez les chercheurs de pays occidentaux a été taxée «d’acte de nationalisme intolérable » par l’intelligentsia occidentale (p.32) et valut à Cheikh Anta Diop « une hostilité quasiment névrotique » (p. 33) et pourtant, elle aide à aller en guerre non seulement contre l’idéologie suprématiste blanche, « celle-là même qui est à la base de tant de catastrophes pour l’humanité entière et surtout pour l’homme, version africaine » (p. 36), mais aussi contre tous les nouveaux modes d’asservissement pour néantiser l’Afrique noire et spolier son espace vital (guerres, terrorisme, famines, acquisitions foncières, immigration par la Méditerranée, etc.)
S’il faut nous résumer, la Renaissance africaine, par la restauration de la mémoire l’histoire ainsi que la recapture de la conscience historique qui en découle, vise à restaurer l’autonomie de la conscience politique africaine porteuse de l’initiative historique. En effet, en situation d’autonomie, la conscience humaine ne se meut qu’en fonction des intérêts vitaux de son existence. C’est pourquoi, le résultat palpable de la recapture de l’initiative historique africaine va se donner à voir dans l’émergence de la grande masse géostratégique puissante – les Etats – Unis d’Afrique Noire d’accéder à une vie digne » (p. 41). La plus-value qui se dégage d’un tel dossier pédagogique se justifie par les valeurs suivantes : la priorité des intérêts nationaux dans tout ce qu’on entreprend ; une revendication démocratique fondée sur des traditions politiques non étrangères ; la promotion des sciences inspirées par notre culture ; l’avènement d’une renaissance culturelle et intellectuelle marquée par la mise en place des humanités Egypto-Africaines à base du pharaonique (égyptien ancien et copté) ; l’unification linguistique autour du Swahili ; le refus du morcellement physique de l’Afrique en petits Etats miniatures, de la balkanisation psychique de son peuple, de la mutilation de la conscience historique ayant obstrué l’autonomie de la conscience politique africaine à la faveur de l’hétéronomie ; le refus de la mondialisation, etc.
Somme toute, le terminus ad quem des réflexions de Cheikh Anta Diop est l’émergence de la grosse Masse Géostratégique décrite aux pages 52-58. La sonnette d’alarme est tirée ! A présent, voyons comment les 4 chapitres du livre contribuent à la compréhension en profondeur de ces réflexions.
Sous les mots et les phrases du premier chapitre (pp. 81-110) se déclenche un débat où il est reproché aux cosmocrates (ceux qui dominent le monde) de travailler jour et nuit à la néantisation de l’Afrique, et ce, avec la brutalité d’un enfant terrible. Servis copieusement par la puissance des armées et celle de la finance, ces nouveaux maitres du monde, i.e. les Etats bailleurs, les institutions de Bretton Woods et les Multinationales, maintiennent leur mainmise sur l’Afrique par sa réduction à une simple réserve des matières premières, le viol culturel induisant la perte du sens de son destin historique et la non reconnaissance de son autonomie. Ce sont-là des faits patents d’une mise sur la pavé stigmatisés par l’A. lorsqu’il dit : « les assurances dans l’existence du processus de néantisation des Africains s’observent en ce que les mêmes acteurs spécialisés dans les déstructurations irréversibles des peuples sont aujourd’hui à l’œuvre en Afrique noire, usant de même modes d’asservissement pour spolier les Africains de leur espace vital et les renvoyer dans les réserves sauvages et exotiques comme aux USA ou dans des coins inhospitaliers du Continent ! » (pp. 82-83).
De façon subtile et en violation de la souveraineté des Etats, la spirale de néantisation va s’aggravant avec « d’autres armes de déstructuration massive braquées contre l’Afrique ». De ces armes, il convient de retenir en premier lieu l’argent ou la dette, qui, voilé sous le manteau de l’aide, tue l’Afrique en l’asphyxiant dans une dépendance chronique qui « sape l’épargne, les investissements locaux, la mise en place d’un vrai système bancaire et l’esprit d’entreprise » (p. 95). Il faut dire que tel un ogre aidé dans sa salle besogne par « le fameux service de la dette » et « l’autre malice de la Banque mondiale qu’est l’initiative dite « Pays Pauvres très endettés » (PPTE), l’on a « réussi le coup de poker du siècle : le transfèrement, sous la houlette de la BM et du FMI, des ressources et entreprises africaines aux Multinationales occidentales sous le fallacieux prétexte d’annulation des dettes africaines ! » (p. 95). Au fond, l’horreur engendrée par la dette ainsi que les vieux Programmes d’ajustement structurels (PAS) provoque pour l’Afrique une servitude monétaire qui inféode certaines de ses monnaies à l’euro et l’empêches de défendre ses richesses et ses intérêts propres (p. 95).
En deuxième lieu comme « arme de destruction massive braquée contre l’Afrique » il y a le droit, qui, d’une part définit « des normes juridiques au travers de traités et d’institutions comme la Cour Pénale, CPI (la prison des Africains), l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), la BM, le FMI, le Général Agreement on Tarifs and Trade, le Club de Paris, l’OHADA… » (p. 96), et d’autre part, impose la nébuleuse « Communauté internationale » comme permis, pour n’importe quel pays d’Occident, de tuer, de s’ériger en donneur de leçons et en faiseur des « rois » aux fins de déstabiliser l’Afrique ! » (p. 96).
La description de ce droit sous ses deux versants est effarante (pp. 96-97) et coupe le souffle à tout esprit averti et arrache à l’Afrique toute responsabilité dans la gestion des affaires du monde. Secrétant, souligne l’A., citant ONANA, « une injustice à deux vitesses, instaurée pour asservir l’Afrique » (p. 98), ce droit international a créé des dictatures horribles et conduit au néant tout esprit réfractaire à sa vision par des assassinats et des élections conduisant à favoriser une élite parasitaire et compradore.
Adossées à l’argent et au droit comme autres moyens d’asservissement sont la violence, l’ONU, les oppressions culturelles et les violences symboliques. Qu’en dire ?
- Violence. Elle est d’abord symbolique par le boulevard des grands médias occidentaux qui entretient l’afro-pessimisme. Nul doute que cette violence est connexe au racisme blanc qui défend « le paradigme eurocentrisme séculaire qui détermine tout le reste : les « races » humaines sont inégales et celle, noire africaine est inférieure. » (pp. 99-100). Ensuite, cette violence symbolique ou racisme est matérielle et se traduit dans sa virulence par des guerres, des attentats et des tentatives de balkanisation par ci par là et fait des victimes en nombre incalculable ;
- L’ONU. L’Organisation des Nations-Unies, dit l’A., « c’est la carte juridique majeure de l’Occident dans l’asservissement de l’Afrique » (p. 102) ;
- Les oppressions culturelles. Il s’agit de l’arsenal d’instruments (idées, images, livres, films, musique, etc.) par lesquels les « Blancs, selon Marcus Garvey, renforcent l’idée selon laquelle leur culture va de soi, que leur culture est en fait tout simplement la nature humaine devant être partagée par tous. » (pp. 104) ;
- Les violences symboliques. Quid est ? n’est-ce pas le florilège de tout ce qui nous est imposé en contradiction avec notre propre culture pour « nous fragiliser et maximiser ainsi l’exploitation » (p. 105) Citons en exemple l’homosexualité, les langues et les populations étrangères ainsi que tous leurs objets culturels (pp. 105-108).
L’alerte pour conclure ce chapitre, c’est la lutte contre la dégénérescence physique, mentale et politique qui fait de nous « un ustensile dans les mains des comocrates », un esclave sans mot à dire dans le concert des nations, un peuple incapable « d’éviter d’être le déversoir humain futur du trop-plein du monde ». Face à ces perspectives sombres, n’est-il pas temps de se poser deux questions : pourquoi ce statu quo et que faire pour le juguler ? C’est l’objet du deuxième chapitre ?
Un intellectuel n’étant pas que celui qui critique, mais aussi celui qui propose des solutions, l’A. le montre dans ce deuxième chapitre (pp.111-164) en posant deux questions « Question rétrospective : pourquoi l’Afrique subit-elle de tels asservissements ? Question prospective : que doit faire l’Afrique face à de tels processus de néantisation ? » (p.111). En réponse à la première question, l’A. étale au grand jour une constellation de forces ou faits, qui, à travers l’histoire de l’Afrique, se cristallisent comme paramètres qui procèdent à la néantisation de tout un Continent. Dans cet ordre, on peut évoquer, sans force commentaires, l’émiettement de l’Afrique en « une poussière d’Etats faibles » et impuissants incapables d’assurer leur propre sécurité et de résister à la cupidité des cosmocrates, la crétinisation d’un continent par l’amputation de sa conscience historique et son ossification à travers des guerres et divisions entretenues à dessein, l’absence d’un leadership responsable, l’aliénation due à l’exploitation capitaliste, le racisme blanc prêchant l’africanisme eurocentriste et la mondialisation cherchant à mettre en place la gouvernance mondiale au profit de l’Occident, etc…(pp.111-137).
Tous ces faits malséants ne peuvent, observe l’A., nous laisser passifs. Martin Luther King dit : « ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants, mais l’indifférence des bons.» A ces faits, il faut opposer une lutte. Cette lutte doit commencer par l’éducation des masses. Une éducation qui provoque la prise de conscience en vue de l’unité. Eduquer un peuple, c’est l’aider à comprendre ce qui accroit son ignorance, c’est le sensibiliser à devenir acteur de son histoire, à forger son identité culturelle. Cette identité culturelle qui n’est rien d’autre que la conscience historique, confère à un peuple qui se veut digne l’identité collective.
Il n’y a rien de plus merveilleux pour un peuple que de se construire une forte identité collective qui « se donne à voir comme la vis de sécurité la plus sure contre les agressions extérieures » (p.141). Elle se définit « en termes de lignage, de religion, de langue, d’histoire, de valeurs, d’habitudes et d’institution » (pp.141).
Cette identité collective n’est pas quelque chose d’arbitraire. Elle a de bases matérielles. A part des faits concrets qui lui sont connexes, elle repose, en d’autres termes, sur notre propre histoire déjà élaborée et reconnue par les Africains eux-mêmes. .En plus, par la fraternité qu’elle favorise entre les Africains, elle rend possible l’autonomie de la conscience politique africaine et leur permet de se réconcilier. « Par la réconciliation avec eux- mêmes, souligne l’A., les Africains vont retrouver l’unité psychique, politique et sociale qui leur fait défaut maintenant pour l’émergence des Etats-Unis d’Afrique Noire. Par la réconciliation avec leur passé, les Africains vont recouvrer leur grandeur culturelle, scientifique et politique, c’est-à-dire l’initiative historique, politique et scientifique (p.145).
Sans cette perception de l’unité de l’Afrique sur les plans culturel, scientifique, politique et même géographique, l’avènement des Etats-Unis d’Afrique Noire, comme Eldorado de l’Afrique de demain, se ressourçant aux pots de l’Egypte pharaonique devient un bluff. Retenons, sans nous répéter servilement que l’Afrique regroupée en bloc fédéral aura les béquilles suivantes :
- L’obligation des Humanités classiques égypto-africaines comme porte d’accès à notre mémoire historique collective par la connaissance directe (p. 149) ;
- La restauration de la conscience historique africaine à travers l’histoire qui permet de redécouvrir nos humbles origines et de refaire le chemin parcouru par nos ancêtres (pp. 151-153) ;
- La restauration et le renforcement de la conscience historique africaine par le canal de l’appareil socio-éducatif (pp. 153-156) ;
- L’écriture pharaonique comme lieu de raffermissement de la conscience historique africaine (pp. 156-157) ;
- L’imposition du Swahili comme lieu de raffermissement de l’identité nationale et fédérale panafricaine (p. 159).
Avec le troisième chapitre (pp.164-204), l’A. se demande à quand l’Afrique meurtrie par une « diachronie tragique » deviendra unie, forte, libre et prospère sur une scène mondiale où différents blocs géostratégiques rivalisent de haine et de puissance. Répondre à cette question, c’est dire ce qu’il en est de la « Renaissance africaine », ce grand courant de pensée et d’action, initié par la cohorte de vaillants panafricanistes dont Cheikh Anta Diop est le représentant le plus puissant, et que l’A. salue « comme un moment historique » , portant « en définitive l’urgence d’une mise en évidence d’un Discours africain par les Africains pour l’Afrique à partir de leur histoire comme intelligibilité, en tant que stade suprême de libération du continent noir de tous les assujettissements » (p. 181).
Il faut reconnaitre que les idées – clefs de ce chapitre oscillent entre deux pôles : négatif et positif. Le pole négatif représente tout ce, qui, à travers la Traite négrière, la Colonisation et la Mondialisation de nos jours, s’est érigé et s’érige encore en un puissant frein au développement de l’Afrique et à la construction d’un Etat Fédéral Africain Multinational. Le pole positif est celui du courant de la Renaissance africaine. C’est le courant de Reconstruction mémorielle, la grande idéologie du XXème siècles aux dires de ses protagonistes, qui, tout en nous conseillant d’avoir un regard critique en « essayant de montrer aussi quel est aujourd’hui le poids des facteurs endogènes et des facteurs internes dans la perpétuation du sous-développement » (p. 196), nous rappelle que le grand défi à relever pour l’Afrique, est le défi du développement par le non à l’impérialisme sous toutes ses formes et le oui à l’Unité de l’Afrique Noire, « gage d’indépendance vraie dont l’assomption est dans l’avènement de l’Etat fédéral d’Afrique Noire » (p. 198).
Que retenir enfin du quatrième et dernier chapitre (pp.205-290) ? Il existe dans le monde de notre temps des domaines « qui fondent la puissance des nations et la joie des peuples ». Pour l’A., il y en a, dans le sillage de Cheikh Anta Diop, quatre, à savoir l’économie, l’industrie, les sciences et la politique. Fort malheureusement, ces domaines que ce chapitre étudie en profondeur, reflètent des visages fragiles, qui font qu’en 60 ans d’indépendance, l’Afrique est encore loin d’une fédéralisation politique, économique, industrielle et scientifique continentale.
En effet, le concept transversal qui résume mieux cette fragilité est celui de « marginalisation ». L’Afrique est marginalisée dans le concert des nations comme un tard venu. Economiquement, c’est un continent pauvre malgré ses atouts matériels (ressources naturelle et énergétique) et immatériels (Histoire), enclavé et fermé à toute compétitivité, une économie d’extraversion et de dépendance au profit des intérêts des puissances occidentales, une économie qui ne résiste point à la concurrence internationale et qui peine à s’inspirer de solides économies africaines précoloniales et qui peine à s’intégrer à l’économie néo-libérale. Du point de vue industriel, l’Afrique accuse un retard à la fois qualitatif et quantitatif malgré la présence en son sein des prérequis du développement industriel. Le manque d’un plan précis et structuré d’industrialisation fait qu’on navigue à vue. Sur le plan scientifique, surtout celui de la technoscience, dans les aspects de recherche scientifique et de production technologique, l’absence de l’Afrique est remarquable. Sur le plan politique, l’Afrique est loin de s’appartenir car gouvernée par une élite parasitaire et sans responsabilité dans les organes qui dirigent le monde (Conseil de sécurité de l’ONU) et certains forums d’intérêt mondial.
Si nous reconnaissons à ce stade de réflexions que l’Afrique Noire est « mal partie », il lui faut une vaste opération de sauvetage qui n’est rien d’autre que la Renaissance africaine. Plus qu’un simple cri de guerre, la Renaissance africaine est un nouveau mode de vie. Son principe clé, c’est l’unité de l’Afrique noire, « gage d’indépendance vraie dont l’espace d’assomption est l’Etat fédéral d’Afrique Noire » (p. 275). Cette Unité, tributaire de l’appropriation de notre historicité et de la conscience historique qui en déroule, doit être impulsée par la conscience politique africaine de nos jours hétéronome. Bien affirmée comme principe, l’unité « transforme tous les problèmes auxquels l’Afrique s’affronte » (p. 275), fussent-ils sur les plans économique, industriel et scientifique.
Concluons. A l’heure des grands ensembles continentaux, l’Afrique demeurera-t-elle un ilot coupé de tout port ? Sera-t-elle le bras mort d’une rivière, qui, après avoir arrosé des régions fertiles, finit par se dessécher au désert ? Un grand africain, A Diop, demande, sans décocher des sarcasmes : « Qui prendra en main le destin de l’Afrique ? » L’Afrique nouvelle, dans la configuration des « Etats-Unis d’Afrique Noire » naitra à coup sûr. Mais elle sera l’œuvre de ceux qui auront compris que son enfantement passera par quatre leviers de commande : Unité, Organisation, Recherche et Education.
Le grand mérite de Kabongo Malu est d’avoir compris mieux que quiconque que le défi majeur pour l’Afrique, à travers la Renaissance Africaine comme paradigme et praxis est de sortir l’Afrique Noire et sa diaspora du sous-développement, de la « longue Nuit ». Ce sera une œuvre de longue haleine exigeant Unitarisme, Conversion des mentalités, Bon culturel dans notre histoire à partir de sa matrice pharaonique. Du reste, wait and see! Et n’oublions pas avec E . Morin que « l’histoire exaltée par l’Occident arrive à son épuisement, non pas parce qu’il n’y aura plus rien à inventer, mais parce que tout est à réinventer pour sauver l’humanité du risque d’anéantissement ».
Par Ernest Bula Kalekangudu
Emmanuel Kabongo Malu, L’Afrique appartiendra-t-elle aux Africains en 2063 ? Actualité du Plaidoyer de Cheikh Anta Diop pour les Etats-Unis D’Afrique Noire, PUA, AFROBOOTS, MUNICH, KINSHASA, PARIS, 2023, 312 P.