Lucien Houédanou analyse le rapport des Africains à l'histoire et à la démocratie
Périodiquement, dans le flot continu des informations dont se font l’écho les médias, mais aussi dans les cercles d’intellectuels, la problématique du rapport des Africains à la démocratie donne lieu à des discussions vives et passionnées. Avec son ouvrage, « L'Afrique, des pharaons à la démocratie buissonnière », publié aux éditions Continents, Lucien Houédanou vient de prendre part au débat en le nourrissant de ses réflexions fines. En effet, l'essayiste, président du Cénacle des Journalistes séniors de Côte d'Ivoire et observateur averti de l’Afrique depuis quatre décennies, nous propose sa perception du rapport des Africains à un mode de gouvernance considéré comme le boulevard pouvant conduire les peuples d’ici et d’ailleurs à un certain épanouissement.
Ce livre, florilège des chroniques, articles, notes de lecture, compte-rendus de colloques et de conférences, de ce journaliste de grande renommée, est consacré à des chercheurs africains qui ont, par leurs productions intellectuelles, mis en exergue la contribution, immense, du berceau de l’humanité à l’humanité dans son entièreté. S’appuyant sur les travaux de Cheikh Anta Diop, Pathé Diagne, Léopold Sédar Senghor et bien d’autres, Lucien Houédanou note que « La civilisation de l’Égypte pharaonique a été bâtie par des Noirs qui, par l’intermédiaire de la Grèce, ont transmis au monde occidental en particulier et à l’humanité d’une façon générale, un capital de connaissances hautement élaborées, dans les domaines de la science (…) Capital que l’humanité continue aujourd’hui de faire fructifier » (p. 19).
Au fil de son essai, Houédanou nous (ré)apprend que l’Afrique n’a pas toujours été ce continent qui ploie sous le poids de maux divers qui le minent. Le paradis perdu ne le sera pas définitivement, si et seulement si les Africains eux-mêmes arrivent à comprendre qu’il leur faut puiser dans leur immense patrimoine culturel et scientifique qui a jadis fait la grandeur de leur continent.
Publiés entre 1980 et 1990, les articles qui composent le livre n’ont pris aucune ride et frappent par leur actualité. L’auteur, incisif, nous confronte à nos contradictions : « Nous faisons semblant de pratiquer la démocratie comme ces garnements qui font semblant d’aller à l’école et dont on dit qu’ils font l’école buissonnière. La démocratie buissonnière, c’est cette vie politique en trompe-l’œil qui consiste à ruser avec la démocratie, à se parer des signes extérieurs de ce système politique (multipartisme, élections pluralistes plus ou moins régulières…), tout en maintenant un esprit et des pratiques instituant, en réalité, la confiscation, par la minorité, du pouvoir et des avantages Indus qui en sont tirés » (p. 142).
« L’Afrique, des pharaons à la démocratie buissonnière » est une analyse brillante et érudite d’un témoin attentif de l’histoire contemporaine de l’Afrique, qui offre à ses lecteurs des clés pour décrypter et comprendre les problèmes qui se posent constamment dans les « démocraties » africaines. Il a le grand mérite d’ouvrir des perspectives de réflexion sur l’avenir du continent, en prenant pour point de départ le passé, pour mieux éclairer l’avenir. Malgré la vue d'ensemble peu complaisante qu’il dépeint, c’est par une note d’espoir que Lucien Houédanou met un terme à son ouvrage : « La démocratie buissonnière ne manque pas certes pas d’imagination dans la création de ses maléfiques avatars mais la dictature n’est jamais une fatalité ! » (p. 149).
Cet essai politique important et passionnant constitue le premier volet d'un triptyque que l'auteur consacre à ses « Mémoires de critique » littéraire.
Moriba Sanogo
Lucien Houédanou : L’Afrique, des pharaons à la démocratie buissonnière, essai, Lomé, éditions Continents, 2022, 156 p.