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TRIBUNE : Guerre en Ukraine et faim en Afrique

Venance Konan

Il y a quelques jours, à l’issue du sommet européen qui s’est tenu à Versailles, en France, le président français nous a avertis que nous, Africains, risquions de souffrir de la faim dans les mois à venir en raison de la guerre en Ukraine. Qu’avons-nous à voir avec cette affaire ? Est-ce que ce sont les Russes ou les Ukrainiens qui nous donnent à manger ? Hélas oui. Depuis la colonisation, nous avons fait du pain fait de blé l’une des composantes essentielles de notre alimentation. Un Ivoirien « évolué » ne saurait prendre son petit déjeuner sans du pain, du beurre et du lait. Quand il est très évolué, il prendra des croissants, du pain au chocolat et autres viennoiseries faites avec du blé. Il ne saurait prendre ses autres repas sans une salade en entrée qui sera forcément accompagnée de pain. Et le pain est la première chose que l’on vous sert dans les restaurants. Notre appétit du pain et des viennoiseries est si grand que partout en Côte d’Ivoire poussent depuis quelque temps des boulangeries. 

Chez moi à Bingerville, je suis littéralement cerné par elles. Sans exagérer, il y en a au moins une tous les cinquante mètres autour de ma maison. Et j’en suis à me demander si cette soudaine floraison de boulangeries ne sert pas à masquer autre chose, à blanchir de l’argent sale par exemple. Quoi qu’il en soit, le pain que l’on trouve dans ces boulangeries vient bien de quelque part. Nous ne produisons aucun épi de blé. Eh bien, sachez que le blé qui nous sert à fabriquer du pain ou à blanchir de l’argent sale vient en grande partie de l’Ukraine et de la Russie. Or, la guerre entre ces deux pays a commencé tout juste au moment où l’Ukraine commençait sa saison agricole, et les bombardements ont mis à l’arrêt les ports du pays. La première conséquence sera une augmentation des prix du blé, donc du pain, et, au pire, une pénurie totale de blé, donc de pain. Les Baoulé survivront-ils à cela ? La seule chose qui fait plaisir à un Baoulé vivant au village lorsque l’on vient de la ville, c’est de lui offrir du pain. Lorsque nous étions enfants à Ouellé, il n’y avait pas de boulangerie et une camionnette venait de Daoukro certains jours pour nous livrer du pain. C’était presqu’une émeute autour de la camionnette. C’est un Libanais du nom de Hassan qui nous sauva en construisant une boulangerie à Ouellé. Les Ouellébas n’oublieront jamais son saint nom.

C’est le lieu de rappeler ici l’un des grands paradoxes de l’Afrique, et singulièrement de la Côte d’Ivoire. Nous produisons tout ce que nous ne consommons pas et consommons tout ce que nous ne produisons pas. Nous produisons du cacao, du café, de l’hévéa, de l’anacarde, que nous ne consommons pas, et nous consommons du pain fait avec du blé, du vin fait avec de la vigne, de la bière faite avec du houblon, que nous ne produisons pas. Houphouët-Boigny nous répétait tous les jours qu’un homme qui a faim n’est pas un homme libre. De même, un peuple qui a faim n’est pas un peuple libre. Et la meilleure façon pour un peuple d’éviter cette servitude est de se nourrir lui-même. Nous ne l’avons peut-être pas remarqué, mais les pays les plus industrialisés, les plus puissants sont d’abord des pays agricoles, des pays qui produisent eux-mêmes ce qui les nourrit. C’est le surplus qu’ils vendent aux autres. Chaque matin, lorsque nos élites prennent leurs petits déjeuners, elles ne réalisent pas qu’elles enrichissent un paysans ukrainien ou russe, ou français. Les jeunes d’Abobo ou de Yopougon qui vont épater leurs copines en les invitants dans les nouvelles pâtisseries et nouveaux glaciers ne réalisent pas qu’ils enrichissent des paysans européens au détriment de leurs propres parents. Et nos élites et populations ne comprennent toujours pas pourquoi les paysans ivoiriens vivent dans la misère, contrairement à ceux d’Europe, d’Asie ou d’Amérique. Un pays comme la Côte d’Ivoire a tout ce qu’il faut pour nourrir toute sa population et même celles des pays voisins. Tout est une question de volonté politique et de changement d’habitude de consommation. Pourquoi voulons-nous croire qu’il nous faut absolument du pain et du beurre au petit déjeuner ? C’est parce que nous sommes colonisés sur le plan alimentaire. Sinon de la banane ou de l’igname braisée, de la bouillie de mil ou de riz suffisent pour nourrir n’importe qui le matin.

Dans plusieurs pays africains, des pouvoirs sont tombés à la suite de la hausse du prix du pain. C’est dire combien la question est sensible. Nous allons assister à une hausse inévitable du prix du blé, donc du pain. Personne ne peut dire combien de temps durera cette guerre entre la Russie et l’Ukraine. Personne ne peut donc dire quelle ampleur prendra cette hausse des prix. La seule façon d’y échapper est de se passer de blé. Et, croyez-moi, on peut vivre en se passant de tout ce qui est fait à base de blé. Même si nos parents Baoulé sont les plus heureux de la terre lorsqu’on leur offre du pain, ils vivent cependant très bien lorsqu’ils n’en mangent pas. 

Par Venance Konan

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