« Dieu n’a pas de religion ». C’est par cette boutade qu’un sage africain, après avoir fait venir tous ses enfants et son épouse pour leur faire son testament oral, conclut son conseil de famille. Trois jours seulement avant sa mort. Dans le contexte international actuel où les préceptes d’une religion, en l’occurrence l’Islam, sont dévoyés par des fanatiques erratiques de tout acabit - et cela prétendument au nom de Dieu -, cette réflexion mérite méditation.
Si le sage africain voulait libérer les siens de la question du choix de la religion, les choses en étaient ainsi très claires. Mais au fond, cette boutade était la somme de ses expériences parmi ses semblables. Mieux, elle traduisait la pensée philosophique et théologique profonde de son peuple. Celui qui prononça ces mots était lui-même foncièrement traditionnaliste et particulièrement attaché à ses valeurs animistes. Il n’empêche que ses meilleurs amis étaient de confession musulmane. En outre, il ne laissait pas seulement ses enfants fréquenter l’église catholique, il était également l’ami du prêtre, le Père Provost. Et pourtant, il n’hésita pas à dire sans ambages, et à le bien marteler pour qu’on le comprît : « Dieu n’a pas de religion ». On pourrait en effet écrire tout un volumineux essai là-dessus.
L’Afrique est certes le continent le plus religieux du monde. Mais contrairement à ce que l’on peut penser, c’est la somme des humanités que les traditions anciennes du continent noir considèrent comme Dieu, l’Un et le Multiple, le Tout-Puissant et le Suprême, parce qu’il couronne toutes les humanités – au sens propre comme au figuré du terme-, bien plus qu’un personnage réel ou imaginaire qui serait haut perché quelque part. Et pour cause, Dieu est tout simplement Humanisme. De même, toute religion qui se prétend de Dieu est aussi Humanisme et considère par voie de conséquence que toute vie est sacrée. Il y a donc lieu de dissocier ceux qui parlent au nom de Dieu mais adopte une posture contraire à cet humanisme et ceux qui se conforment à la somme des humanités qu’incarnent Dieu. Entre les premiers et les seconds, il va sans dire que Dieu, si tant est qu’il est l’Avant et l’Après-Etant, saura reconnaître les siens. Si l’Afrique est restée poreuse à toutes les religions du monde pour ainsi dire, au point que certains usent et abusent de son ouverture, c’est que Dieu est né en Afrique avec les premières religions. Et Dieu ne mourra pas en Afrique, tant que des millions d’Africains n’auront pas accès à l’éducation et à la science. Tant que la science n’aura pas élucidé, de façon convaincante, la question de l’origine et de la création du monde, rien n’y fera. Et tant qu’il subsistera un grand mystère, il y aura toujours des hommes et des femmes pour rester attachés à Dieu soit par affection soit par foi profonde. Et quand bien même ce serait le cas, Dieu y restera toujours vivant. Car au commencement était l’Afrique et la parole ou le verbe. L’humilité de reconnaître qu’on s’est trompé n’est pas le fort des Hommes. En tout cas, ils ne sont pas légion ceux qui en sont capables en ce bas monde. Y compris parmi les scientifiques qui veulent que les religieux acceptent de reconnaître l’inconsistance de certains fondements de leurs religions.
Il n’est point besoin d’avoir eu une révélation pour croire ou non en l’existence de Dieu. Il est salutaire pour l’homme cependant de douter de tout ce qui ne le convainc pas, de tout ce qui n’est pas limpide ou prouvé. Les dogmes religieux ont été créés pour répondre aux questions que les hommes se posaient sur leur monde à une certaine époque. Ils sont en fait comme d’antiques constitutions de sociétés plus ou moins dépassées par les preuves que la science nous a apportées aujourd’hui sur le monde. Si Dieu a existé tel que le conçoivent certaines religions, il y a bien des chances qu’il soit déjà mort depuis longtemps, à voir comment se comportent en ce bas monde les hommes qu’il a créés, ceux qui parlent en son nom et font en même temps le contraire de ce qu’il leur aurait certainement dit. Cela dit, nous ne sommes pas nés du néant, et l’on ne saurait nier l’existence d’un grand mystère. Le mystère du commencement. Est-ce être athée, agnostique, non-croyant, sceptique, ou humaniste ? C’est selon !
Autrefois, la religion était l’Etat et vice-versa. Elle édictait toutes les lois de la société. L’objectif était d’organiser et de contrôler la société. Mais la société moderne a remis en cause ce principe fondamental en séparant l’Etat de la religion, et elle a eu, soit dit en passant, raison de le faire. Point n’est besoin de revenir là-dessus. La croyance aveugle continue néanmoins à trouver son terreau le plus fertile sur la misère des peuples. Laquelle misère progresse inexorablement partout. Les religions, qu’elles soient réformées ou non, ont donc encore de beaux jours devant elles. L’Afrique est, et restera pour longtemps en cela, une terre promise.
Qu’on s’entende bien : la religion n’est pas une mauvaise chose en soi, loin s’en faut. Mais nul n’a le droit d’imposer sa religion l’autre. Beaucoup de religions sont restées très figées depuis très longtemps. Et, comme on peut s’en rendre compte, certaines n’ont pas su s’adapter à l’évolution du monde pour ne garder que des valeurs morales et sociales fondamentales ; et se départir de tout ce qui est légendaire, mythique, interprétation ou pure invention. Elles doivent par conséquent se moderniser si elles veulent encore conquérir les cœurs des Hommes sans se départir de l’Humanisme qui est censé fondé toute religion, quelle qu’elle soit. En tout cas, aucune religion au monde ne peut se prévaloir de détenir la vérité divine. Encore moins d’être la religion élue de Dieu. Le vrai problème, c’est que Dieu est tout simplement devenu un fonds de commerce inépuisable pour beaucoup aujourd’hui. Hélas !
Par Serge-Félix N'Piénikoua
A lire aussi :