L’invasion de l’Ukraine par la Russie de Vladimir Poutine et la guerre qui s’ensuit ne saurait laisser indifférents les Africains, ne fût-ce que par les implications géopolitiques que cela pourrait supposer directement ou indirectement au cas où l’un ou l’autre des pays du continent venait à être concerné. En voici quatre grandes leçons que l’Afrique devrait tirer.
1 – Exiger des sièges au Conseil de sécurité de l’ONU
Cela fait longtemps déjà que l’Afrique réclame des sièges au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU). Et, curieusement, ce continent que des puissances européennes ont jadis conquis et subjugué parce que ses populations étaient en retard d’un point de vue de la technologie militaire, n’a toujours pas eu gain de cause à ce jour. L’Afrique, à travers l'Union africaine, ne réclame que deux sièges permanents au Conseil de sécurité de l’ONU. Et cela, par euphémisme, au nom d'un rééquilibrage démographique. Hormis la Chine ou l'Allemagne notamment, les pays qui en sont déjà membres ne sont pas pressés de le lui accorder. Or, à titre d’exemple, si l’Afrique siégeait déjà dans cette institution, l’intervention occidentale en Libye, sous couvert de l’ONU, n’aurais jamais pu être menée. Tant les pays africains, dans leur ensemble, s’y étaient catégoriquement opposés. Mais les Occidentaux n’y ont pas tenu compte. Et la Chine et la Russie qui pouvaient opposer leur véto contre les Occidentaux ont laissé faire…Pour autant, les pays africains en ont-ils vraiment tiré les enseignements nécessaires ?
2 – Se protéger des grandes puissances militaires et nucléaires
Sous le régime de l’Apartheid, l’Afrique du Sud avait entrepris un début de programme nucléaire. Avec le concours de l’Etat d’Israël. Plusieurs journaux et institutions l’avaient révélé en son temps. Le 25 juillet 1997 avait alors écrit : « Dans l'hypothèse d'une collaboration nucléaire, des experts considèrent que l'Afrique du Sud aurait reçu du tritium (1) entre 1977 et 1978, mais également des renseignements scientifiques. Renoncement. Jusqu'à présent, dans l'histoire du régime de non-prolifération, l'Afrique du Sud occupait déjà une position singulière pour avoir été le seul Etat doté d'armes de ce type à décider de son propre chef à renoncer à tout programme d'armement nucléaire par son adhésion au traité de non-prolifération le 10 juillet 1991 (TNP). En rendant publique, le 24 mars 1993, devant son Parlement, l'étendue du programme nucléaire sud-africain, le président De Klerk faisait état de l'existence de six à sept bombes atomiques produites entre 1980 et 1989. Avant de donner ordre de détruire tous les documents portant mention de la fabrication de la bombe, De Klerk démentait «la participation d'un pays étranger au développement de l'arme nucléaire de l'Afrique du Sud, (...) la participation de cette dernière aux essais d'un autre pays». A la suite de quoi le gouvernement Mandela s'engagea, dès le 31 août 1994, à promouvoir en la matière une politique de transparence et de non-prolifération ».
Dans un contexte où des Etats font étalage de leurs armes nucléaires et menacent la sécurité et la paix dans le monde, il y a tout lieu que le grand continent qu’est l’Afrique commence aussi à réfléchir autrement à sa sécurité en tant qu’entité continentale. Il n’est pas normal que certains jouent sur la menace de l’arme nucléaire pour dominer ou influencer les autres. A défaut de se lancer dans des programmes, les plus grands Etats d’Afrique devraient exiger de l’ONU des mesures concrètes pour la limitation ou la répartition géographique à travers le monde des zones d’équilibres. Surtout quand on sait dorénavant avec la guerre en Ukraine que de nombreux pays ont décidé de développer ensemble des armes hypersoniques comme ce que font la Chine et la Russie. L’Afrique ne saurait se contenter d’attendre le parapluie des autres. Elle doit assumer pleinement ses responsabilités vis-à-vis des Africains. Sans rien n’attendre d’aucun pays étranger.
3 – Développer une industrie autonome de l’armement et de la défense
L’Afrique du Sud, encore une fois, a déjà une longueur d’avance sur l’ensemble des pays africains pour avoir commencé à développer et fabriquer ses propres armes depuis quelques années. Ces dernières années, d’autres pays africains à l’instar du Nigeria s’y sont mis aussi. Mais cela ne reste qu’un épiphénomène. La plu part des pays achètent leurs armes ainsi que les pièces détachées aux grandes puissances militaires étrangères : les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, etc. Si l’Afrique est la plus dépendante d’une chose, c’est surtout sur son armement. Ce qui revient à dire que, dans un scénario de fiction, ces grandes puissances pourraient bel et bien s’entendre pour partager l’Afrique comme cela fut fait au Congrès de Berlin entre 1884-1885. Il suffit seulement qu’elles le décident et rien ne pourrait les y empêcher. Surtout pas les armements dont disposent les Armées africaines.
Quand les Etats-Unis ont refusé de vendre des armes au Nigeria au motif que ses soldats ont commis des violations des droits de l’homme face aux terroristes de Boko Haram, le Président Muhammadu Buhari a été choqué. Et s’exprimant devant de nouveaux officiers de l’armée nigériane, il a déclaré que l’armée du Nigeria ne doit plus dépendre de l’étranger quand il s’agit d’acquérir des équipements militaires. Et de le signifier à l’Administration américaine lors d’une visite à Washington en 2015 en ajoutant que les Etats-Unis ont « aidé et encouragé » Boko Haram en refusant de vendre des armes au Nigeria. Aujourd’hui, la NAVMC fabrique déjà des véhicules militaires alors qu’en 2015, il n’existait qu’une seule usine de fabrication de fusils à usage civil à Kaduna, dans le Nord du Nigeria. Le pays est même classé dans le top 5 africain et le top 50 mondial des Etats qui accordent qui les plus gros budgets à leur défense, à en croire le Global «Firepower 2017». Les Etats africains ont grand intérêt à être interdépendants que d’être dépendants de l’étranger en matière d’armement.
Au-delà des armements en tant que tels, les Etats africains devraient se pencher sur la construction des abris de sécurité dans les grandes villes, des abris anti-bombes, voire des abris anti-atomiques. En cas de bombardements aériens de l’ampleur de ceux que l’on a vus en Ukraine. Mieux, tout en encadrant la construction, il faudrait aller jusqu’à permettre aux particuliers de se construire des abris de sécurité en mettant probablement les services du Génie militaire à la disposition de ceux qui souhaiteraient pour ce faire.
4 – Inventer des mécanismes de Solidarités africaines
Face à la situation en Ukraine, les Sociétés civiles en Afrique commettent une erreur en s’alignant derrière les politiques de neutralité ou de parti pris de leurs gouvernements. Les peuples africains n’ont pas à se déterminer devant l’abomination de la guerre et la souffrance du peuple ukrainien en fonction de ces considérations politico-diplomatiques. Dans le cas d’espèce, c’est le peuple ukrainien qui est en souffrance, parce qu’il est agressé par la Russie. Quel qu’en soit la position des dirigeants ukrainiens, la souffrance du peuple ukrainien ne saurait leur être imputable. D’autant plus que c’est la Russie l’agresseur. Et la Russie s’entend son Président Vladimir Poutine et les Apparatchiks. Le peuple russe en tant que tel étant lui-même victime des décisions de ces derniers, quoi que l’on puisse en penser.
Pour cette raison, les peuples africains ont un devoir de solidarité envers le peuple ukrainien. A défaut de pouvoir leur apporter quelque soutien matériel ou financier, le devoir moral doit aller de soi. Mais cette situation illustre aussi l’inorganisation des sociétés africaines à créer des chaînes de solidarités efficaces. Ce qui fait que même en cas de crise alimentaire, l’Afrique a souvent tendance à se tourner vers l’extérieur pour attendre de l’aide.
En l’absence de gestes manifestes de solidarité des peuples africains envers l’Ukraine, les Artistes africains qui constituent l’une des composantes les mieux organisées des Sociétés civiles africaines auraient certainement manqué une occasion de marquer l’Histoire en n’organisant pas un Spectacle au bénéfice de l’Ukraine. Et que ce dernier résonne comme un point de départ de quelque chose comme une manifestation annuelle en Afrique en faveur d’une nouvelle forme de Solidarité africaine à l’intérieur même du continent et au bénéfice des situations de crise auxquelles l’Afrique est hélas le plus souvent confronté.
Que certains Africains trouvent grâce aux yeux de Poutine et qu’ils le considèrent comme le « libérateur » de l’Afrique ou leur libérateur face aux puissances occidentales, ils en ont le droit. Mais il n’est pas partagé par tous les Africains. Et ce n’est que pure imposture de faire l’apologie du monolithisme ou l’autocratie que porte leur champion sans daigner s’y soumettre soi-même. La rengaine de l’Occident qui pille l’Afrique et en particulier la France qui pille l’Afrique francophone et que la Russie ou la Chine veulent sauver n’est que leurre. Il n’est destiné que pour les esprits naïfs et faciles à manipuler des Africains. C’est à proprement parler se moquer de leur intelligence. On peut même lire sur les réseaux sociaux des inanités attribuées à Vladimir Poutine du genre : « Je n’ai pas besoin de faire la guerre à la France. Il suffit de libérer l’Afrique Noire francophone et elle tombera d’elle-même ». Si tant est que ces inanités sont vraiment de lui. Cette fois-ci ce serait donc la Russie ou ses valets locaux qui prendraient l’Afrique pour une terre de gens à qui l’on peut faire prendre des vessies pour des lanternes. Voire ! L’Afrique Noire francophone n’attend pas d’être libérée par une quelconque puissance étrangère. Comme l’écrivait si bien et fort joliment Venance Konan en tite de l’une de ses œuvres : « Si le Noir n'est pas capable de tenir debout, laissez-le tomber ». Dans quel intérêt serait-ce cette libération donc de l’Afrique par Vladimir Poutine? L’Afrique Noire francophone doit se libérer d’elle-même, si tant est qu’elle est occupée, et non par des mercenaires de Wagner. Elle doit, bien au contraire, interdire des activités de mercenariat dans tout le continent. Car l’Afrique a déjà suffisamment de conflits difficiles à régler pour en rajouter d’autres. D’autant plus que si chaque grande puissance devrait lui envoyer ses mercenaires ou supplétifs non déclarés, l’instabilité sociopolitique serait un fléau plus dangereux pour le continent tel qu’il ne serait jamais capable de s’autosuffire alimentairement. A plus forte raison se développer dans bien d’autres domaines.
En somme, Poutine a perdu la Guerre en Ukraine le jour même où il l’a déclarée. Et quelle que soit l’issue des combats sur le terrain, rien ne redonnera à Valdimir Poutine une once d’aura de plus ni à l’échelle nationale ni à l’échelle internationale. Au demeurant, Poutine, ce n’est ni la Russie et encore moins les Russes. Mais, malheureusement, il piétine sans sourciller l’image de toute la Russie au regard de l’opinion publique internationale. Face à cette tragédie des temps modernes qui se joue certes loin du continent mais dont les répercussions sont perceptibles au quotidien dans chaque pays, il appartient à l’Afrique, de tirer les leçons qui s’imposent pour son avenir.
Par Jean Kébayo