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TRIBUNE/AFRIQUE : La capacité opérationnelle des armées d’Afrique de l’Ouest / Les armées ouest-africaines face aux nouveaux défis sécuritaires

En prenant l’exemple des crises sociopolitiques que des pays comme la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Mali et bien d’autres encore ont connues en Afrique de l’Ouest, Arthur Banga, le chercheur ivoirien et spécialiste de la présence militaire française en Afrique esquisse un état des armées de la sous-région face au terrorisme et autres défis sécuritaires.

Depuis le début de la décennie 2010, la question de la sécurité de l’ensemble sous-régional ouest-africain se pose avec acuité. Certes, les tensions interétatiques de la période de la guerre froide (Ghana- Côte d’Ivoire, Guinée-Côte d’Ivoire, Burkina Faso-Mali), la guerre de sécession du Biafra et les nombreuses guerres civiles depuis 1990 (Libéria, Sierra Léone, Côte d’Ivoire) ont montré la fragilité de notre espace ; mais la situation ne semble jamais avoir été si préoccupante. En effet, aux problèmes classiques tels que la circulation d’armes légères, le trafic de drogues, le commerce illicite de richesses naturelles, les conflits ethno-religieux se sont ajoutés le terrorisme et la piraterie. 

En fait, la fin du régime Kadhafi s’est avérée préjudiciable pour la sécurité de l’Afrique de l’Ouest. Sans vouloir faire l’apologie de la dictature ou du népotisme, force est de constater que le guide suprême parvenait à contrôler ses frontières sud, à freiner l’influence des groupes djihadistes et à maintenir un équilibre au sahel. Hélas, sa chute et plus tard sa mort ouvrent la boite de Pandore. La déliquescence de l’Etat libyen favorise l’apparition d’un véritable "sanctuaire djiahadiste" aux frontières sud de la Libye. Profitant des faiblesses structurelles de nos Etats et des problèmes de cohésion nationale, les groupes terroristes islamistes agissant dans le Sahara décident d’élargir leur théâtre d’opérations en Afrique de l’Ouest et d’y fonder un califat. Le Mali devient leur première cible. Au même moment, dans le nord du Nigéria – géant de l’Afrique de l’Ouest –  Boko Haram fait voir de toutes les couleurs aux populations et aux autorités. La secte terroriste a tellement le vent en poupe qu’elle opère jusqu’au  sud du Niger et au nord-ouest du Cameroun. Sur les côtes du golfe de Guinée, la situation n’est guère plus reluisante. Les pirates sont tellement actifs que cette partie de l’Atlantique est jugée par les experts en sécurité maritime comme l’une des plus dangereuses de la planète.

Face à ces défis sécuritaires, quelle réponse militaire apportent les Etats ouest-africains ? En d’autres termes, les armées d’Afrique occidentale ont-elles la capacité opérationnelle nécessaire à la sécurisation de la sous-région dans ce nouvel environnement stratégique ? 

Pour une réflexion plus pertinente, nous tenterons de mener une analyse à partir des cas burkinabé et ivoirien. Ces 2 pays ayant connu depuis 2011, des situations internes délicates. L’un tourne tant bien que mal la page d’une décennie de crise politico-militaire quand l’autre vit les remous d’un lendemain de révolution. 
Les attentats perpétrés à Bassam le 13 mars 2016  ou à Ouagadougou le  15 janvier 2017 et le recours à l’armée française pour freiner l’avancée des djihadistes au Mali révèlent clairement les difficultés qu’ont les armées d’Afrique occidentale à remplir leurs missions. Sous équipées, peu entraînées ou rongées par des problèmes de cohésion et de discipline, elles ont bien du mal à répondre aux défis du terrorisme et de la piraterie maritime. Plusieurs facteurs l’expliquent. 

D’abord, la place de l’armée dans les conceptions stratégiques des leaders africains depuis l’indépendance. En Côte d’Ivoire par exemple, l’armée n’a jamais été pensée comme un véritable outil de défense avant la guerre de septembre 2002. Pour Houphouët-Boigny, les dépenses de l’Etat devaient se consacrer aux questions sociales d’où la faible part du budget national alloué à la défense. En outre, les forces militaires devraient être un outil de développement plutôt qu’un rempart sécuritaire. Dans cette optique, on privilégie  les unités de génie à celles de l’infanterie ;  on utilise l’armée pour la construction d’infrastructures, pour des campagnes de sensibilisation contre des fléaux sociaux plus que dans une optique de défense et de sécurité du territoire. Cette conception, reprise par tous ses successeurs, est de loin la vision la plus partagée par les anciens chefs africains. L’ouvrage fondateur  de Dominique Bangoura intitulé Les armées africaines 1960-1990 confirme cette assertion.

Ensuite, le fait que l’Afrique de l’Ouest ne soit pas un théâtre de guerres interétatiques. En réalité, seul le Mali et le Burkina sont allés jusqu’à en découdre lors de la guerre de la bande d’agacher en fin 1985. Les hommes envoyés aux trousses des terroristes sont, en général, à leur première guerre. En conséquence, la plupart des armées d’Afrique de l’Ouest n’ont pas ce vécu de la bataille, cette expérience du feu ou cette mémoire de guerre. Ces éléments font partie du socle commun de toutes les grandes armées du monde. Il ne faut pas s’y méprendre, ils sont fondamentaux au moment de s’engager dans la guerre. 

Enfin, les quelques fois où l’armée attire les investissements publics, c’est au profit d’une unité à la solde totale du président. Le Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) du temps de Blaise Compaoré en est la parfaite illustration. Cette unité dont le fonctionnement n’est pas loin d’une milice présidentielle détenait un équipement largement supérieur à celui des autres corps de l’armée Burkinabé. Elle s’est même permise de réprimer une mutinerie et plus tard de défier toute la révolution populaire. Cette flagrante différence de traitements entre les composantes d’une même institution ne fait que la fragiliser.

En somme, les armées d’Afrique de l’Ouest, cinquième roue du carrosse,  malades de leur équipement – une défaillance de matériels est à l’origine de la mort des soldats ivoiriens lors des attentats de Bassam – avec des problèmes de cohésion – la question des anciens du RSP au Burkina ou les mutineries du début de l’année en Côte d’Ivoire – ne paraissent pas aptes à répondre aux nouveaux défis sécuritaires.

Fort heureusement, les dirigeants semblent avoir mesuré la gravité de la situation. Les questions de sécurité et de défense sont revenues au cœur de leurs préoccupations. L’analyse de la nomenclature des différents gouvernements le montre. Durant la première année de son mandat, le président détenait lui-même le portefeuille de la défense ce qui est encore le cas en Côte d’Ivoire. Quant à ceux de l’intérieur et de la sécurité ils sont détenus par des proches des présidents. En Côte d’Ivoire, Ahmed Bakayoko est à ce jour le seul ministre d’état du gouvernement.  Plus proches des questions militaires, les responsables africains vont prendre une série de mesures dans l’objectif de rendre plus perforants nos armées. On pourrait les regrouper en deux types : les mesures prises à l’échelle nationale et celles prises dans un cadre sous-régional.

Au plan national, la priorité est au renforcement des capacités opérationnelles des armées par l’acquisition de nouveaux matériels. Par exemple, entre 2012 et 2015, la Côte d’Ivoire a acquis chez ACMAT plus de 300 véhicules. Au fil des années, on arrive à une véritable programmation de l’effort en faveur des armées. Ainsi, la Côte d’Ivoire s’est dotée d’une loi de programmation militaire qui couvre la période 2016-2020. Elle se résume en une réduction des effectifs et un effort budgétaire de 80 milliards de CFA pour parvenir à une armée de très bon niveau. Le Burkina Faso n’est pas en reste. En janvier 2016 le président Roch annonçait des acquisitions d’un coût global de 76 milliards de CFA. Le PNDS Burkinabé intègre les aspirations de la défense. En outre, les autorités du Burkina Fao ont mis en place un Plan Stratégique pour la réforme des Forces Armées nationales allant de 2017 à 2021 dont l’objectif est de moderniser l’armée du Burkina.

A côté de cet effort budgétaire relativement structuré, il y a une modification des structures des forces ouest-africaines pour les adapter au nouvel environnement. Depuis les derniers mois de la transition, le RSP est dissout et son équipement redistribué vers d’autres unités. En Côte d’Ivoire, chacune des composantes des forces de défense et de sécurité a des corps consacrés à la lutte conte le terrorisme. Dans l’armée, c’est l’affaire des Forces spéciales, la Gendarmerie a l’UIGN (L’Unité d’Intervention de la Gendarmerie Nationale)  et la police la FRAP (Force de Réaction Rapide de la Police). Dans le même ordre d’idée, le renseignement s’est étoffé dans les deux pays. Les services de renseignement se sont réformés et renforcés en effectif et mis sous la direction du chef de l’Etat.
Dernier angle de la lutte anti-terroriste, les textes juridiques. En effet, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire tout comme la Guinée, le Togo, le Niger voire le Cameroun se sont dotés de lois anti-terroristes. Ces lois définissent le cadre juridique dans lequel doit agir les forces de défense et de sécurité en protégeant au maximum contre les excès qui peuvent s’avérer contre-productifs.

Au plan régional, l’accent est mis sur la coopération entre les différentes armées des pays d’Afrique de l’Ouest voire au-delà. C’est une exigence pour parvenir à éradiquer le terrorisme et la piraterie sur notre ensemble sous-régional. En effet, les groupes djihadistes dans le sahel et les pirates dans le golfe de Guinée ciblent l’Afrique occidentale en faisant complètement fi des frontières nationales. En outre, ils n’hésitent pas à partager leurs expériences et s’accorder un soutien mutuel. Dans ce contexte,  une coordination en amont au niveau du renseignement et en aval à travers des opérations militaires conjointes ou tout au moins harmonisées  ne peut être que salutaire. Les résultats probants obtenus dans la lutte contre Boko Haram dès lors que  les forces nigérianes, tchadiennes, nigériennes et camerounaises ont résolument emprunté la voie de l’action coordonnée en sont la preuve.  On doit donc se réjouir des mécanismes régionaux au sein du G5 Sahel, de la CEDEAO, de l’Union Africaine et tout récemment du CEN-SAD. En effet, lors du dernier sommet de cette organisation africaine tenu à Abidjan au début du mois de mai, les 23 pays participants ont convenu de la création d’un Centre de Lutte Contre le Terrorisme.

Cette batterie de mesures entraîne une nette amélioration des armées nationales. Le fait que les forces spéciales ivoiriennes mènent la riposte contre les éléments de AQMI lors de l’attaque de Bassam et le nombre d’attaques terroristes déjouées dans toute l’Afrique occidentale le montrent bien. Cela dit, le nivellement doit s’accentuer considérablement afin de rendre les armées africaines plus efficaces dans la lutte contre le terrorisme et la piraterie.
Pour ce faire, il faut intensifier davantage les efforts budgétaires en faveur de nos armées. Les mouvements terroristes s’équipent en matériel de plus en plus sophistiqués. En guise d’exemple, c’est au mortier qu’une base de la MINUSMA s’est faite attaquer le mois dernier au Mali. Pour répondre à ces défis nos forces doivent être dotées de matériels plus modernes. Au-delà des montants prévus, il serait louable de sacraliser une part fixe du PIB aux investissements dans la défense et la sécurité. Concrètement si la Côte d’Ivoire consacrait 2% de son budget à l’investissement militaire on aurait eu environ 100 milliards de FCFA affecté à ce type de dépenses pour l’année 2016.

Il faut ensuite mettre l’accent sur la formation de nos hommes. Les écoles militaires doivent accroître le volume horaire et les modules consacrés à la contre-guérilla et à la lutte contre le terrorisme. Le modus operandi de l’ennemi se muant rapidement, il est indispensable de faire évoluer la formation de nos soldats.
Enfin, il est indispensable de renforcer le lien entre l’armée et la nation. En effet, la lutte contre le terrorisme et la piraterie ne peut aboutir sans une implication active de toutes les composantes de nos nations. Comment peut-il en être autrement face à un ennemi peu identifiable et qui se fond dans la masse ? Seule la population, par une veille permanente et des renseignements fiables et précis peut faciliter l’action de nos forces armées. Ce lien doit être raffermi par une attitude républicaine et responsable de nos soldats. Trop souvent, ils ont été le canal de répression de régimes impopulaires creusant de fait un fossé entre le peuple et ses soldats. De tels agissements sont définitivement à bannir afin que l’armée se mette réellement au service de la sécurité et de la défense de son peuple. Il faudrait, par ailleurs, que la grande muette s’ouvre aux analyses des experts, journalistes et chercheurs africains qui se consacrent à son étude. Ceci lui permettra de tirer profit de toutes les ressources africaines.

A côté de ces chantiers à l’échelle nationale, des mesures doivent être prises à l’échelle africaine. En clair, il faut joindre les actes aux textes et aux multiples schémas croupissant dans les bureaux de nos organisations internationales. La coordination des renseignements doit être intensifiée par la mise en place effective d’un organe fonctionnel chargé de collecter et d’harmoniser les renseignements sur notre espace sous-régional. De même, la création d’un fichier commun à tous les pays d’Afrique occidentale doit être, enfin, une réalité. Les patrouilles mixtes aux frontières, toujours évoquées, doivent être désormais actives. Il serait intéressant de programmer plusieurs manœuvres conjointes  afin de permettre à nos armées de pouvoir opérer facilement ensemble et se tenir prête à répondre sans trop de temps à des situations précises.   

En s’engageant sur cette voie-là, nul doute que nos armées seront plus compétitives. A défaut d’éradiquer le terrorisme, elles pourront considérablement l’affaiblir.

Par Arthur Banga

Arthur Banga est docteur en histoire des Relations internationales de l’université Houphouët-Boigny et en histoire militaire de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes de la Sorbonne.
Chercheur à l’IRSEM, il est aussi vacataire à l’académie de Créteil. Sa thèse de doctorat, soutenue en 2014, est intitulée “l’aide militaire française dans la politique de défense de la Côte d’Ivoire de 1960 à 2002”.
Ses objets de recherches sont la présence militaire française en Afrique, les armées africaines, les conflits et la vie politique en Côte d’Ivoire comme l’illustre ses publications.


 

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