L’auteur de "Port-Soudan" a dû déménager sa bibliothèque, soit mettre plusieurs milliers de livres dans des cartons. Il sort de l’aventure avec "Vider les lieux", un texte émouvant et plein d’humour, regard mélancolique sur le temps qui passe.
C’était en 2020, au moment du premier confinement en France. Olivier Rolin était dans l’obligation de quitter l’appartement où il vivait depuis trente-sept ans, dans le quartier de l’Odéon à Paris. Trente-sept ans, c’est beaucoup, c’est même la moitié d’une vie en ce qui le concerne. Aussi les lieux étaient-ils encombrés de tout un "fatras" - dixit l’auteur - d’objets, de malles, de souvenirs. Et surtout, de livres.
Mettre près de 7000 livres dans des cartons en vue du déménagement, voilà la tâche qui attendait l’auteur de "Extérieur monde". Une opération qui s’est transformée en expérience littéraire. Car chaque livre fait surgir un souvenir, et entre les pages surgissent des annotations, des lettres, factures d’hôtel ou billets doux. Rolin a donc construit un texte en forme de puzzle, faits de digressions et de parenthèses, méandres qui nous conduisent dans les mille recoins du monde où il s’est rendu.
J’aime, et de plus en plus, la littérature digressive. Parce qu’elle est fantaisiste. Parce que la vie est digressive. C’est une convention très discutable, cette idée qu'un livre doive suivre une idée fixe, une intrigue. Non, la vie n’est pas comme ça.
Olivier Rolin
Littérature et voyage
Les voyages sont la matière même de l’œuvre de Rolin, qui refuse pourtant l’étiquette d’écrivain voyageur. Ses pérégrinations dans les coins les plus reculés de la planète, son obstination à retourner encore et encore dans des lieux où personne ne va tiennent de la philosophie plutôt que de la visite. A le lire, on mesure surtout à quel point tout est lié, car Rolin ne s’est jamais déplacé sans embarquer avec lui livres et carnets de notes, et nombreux sont les livres qui ont provoqué ses départs.
Sur la page de garde de Chalamov, il est écrit "Magadan-Khabarovsk-Petropavlovsk-Kamtchatski, novembre 2014". Sur celles des Annales, "Port-Soudan-Khartoum-Doha-Paris, décembre 2017". Je revois les lieux de mes lectures, et quelquefois c’était dans le ciel, avec le grand spectacle de la terre sous mes yeux. Des paysages sortent des pages - les deux mots se ressemblent.
Extrait de "Vider les lieux" d'Olivier Rolin
Travail autobiographique singulier
"Vider les lieux" est une dentelle subtile, où Olivier Rolin exhume des séjours lointains, dans le temps comme dans l’espace, des morts et des disparus. Ce nouveau texte, profondément mélancolique, est aussi un travail autobiographique singulier. D’abord parce qu’il peut être lu comme un retour sur le travail de l’écrivain, un voyage à travers la fabrication de ses propres livres. Mais également parce que, au milieu des souvenirs qui surgissent comme par inadvertance, un autoportrait se dessine, souvent teinté d’autodérision.
Ainsi quand il décrit le désordre de son appartement: "Cet entassement de livres, de papiers, photos, tableaux, d’objets (les meubles, il n’y en a pas tant que ça) qui formaient un environnement agréable, rassurant parce que fait sans doute à mon image (c’était un endroit magnifique, m’avait dit une ancienne compagne, mais il n’y avait que moi qui pouvait y vivre: aussi, et pour d’autres raisons encore, sûrement plus impérieuses, était-elle partie), mais que la perspective de la fin transforme en un immense casse-tête."
Par Sylvie Tanette/aq