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LIVRE : Théologie africaine : les grands courants de pensée de l’antiquité au 21ème siècle de Kalamba Nsapo

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Théologien reconnu et écrivain de renom, Kalamba Nsapo a publié, en 2016, un ouvrage majeur, toujours actuel, qui rend à l’Afrique sa place de pionnière dans le domaine de la réflexion théologique. Cet ouvrage en quatre chapitres, balaie comme le dit son titre, les grands courants de la pensée théologique africaine depuis l’antiquité. Dans ce livre, l’Afrique est présentée comme le berceau incontesté de la théologie, en plus d’être celui de la science en général, des mathématiques, de la musique, de l’architecture, de l’écriture et de la philosophie. 

Le premier chapitre parle du courant de pensée égypto-nubien dont la genèse se situe dans la partie du continent que l’auteur nomme Congo-Nubie ou Soudan-Ethiopie. Pour ancrer véritablement son propos dans cette partie capitale de l’histoire africaine, l’auteur en appelle à la cosmogonie luba - peuple d’Afrique centrale -, laquelle n’est pas différente des autres visions créatrices des peuples africains. Les initiés Luba parlent d’une société théologico-royale de Nkwembe dans laquelle Maweja Nangila, placé au centre, a trois manifestations, trois formes ou transformations : Mule-Mwedi (Sagesse-Science et Justice), Mvidi-Mukulu wa Cyame (Esprit-Aîné ls de Cyame) et Cyame wa Mvidi-Mukulu (Cyame Mère/Fille de l’Esprit-Aîné). Ceci rappelle les Makuka Matatu de la Société Kongo, autre peuple de l’Afrique centrale. Les sociétés Luba sont organisées selon cee théologie de Nkwembe, dont la royauté (Bumfumu) est au centre (p. 23). 

Maweja Nangila, le créateur, est Katena Diina (Le sans-Nom) par excellence, une autre caractéristique de la cosmogonie africaine en général. Ceci est à mettre en relation avec Imnw, K3-Mnw/K3-Imnw « Esprit-Invisible, Incognoscible, Indomptable, Caché, Sans-Nom d’où viennent Mwene, Imana, Amon etc. de la cosmogonie africaine bien connue et qui renvoient à la théologie négative pharaonique“(p. 28-29). Le postulat de la pensée négro-africaine est la création du « Tout », de tout ce qui existe au ciel et sur terre, ou mieux du ciel, de la terre, des eaux et de la douat (l’au-delà), par l’Unique-Créateur dont le nom varie dans le temps et l’espace (p. 31).

Après avoir décrit la pensée religieuse africaine en général et Luba en particulier, l’auteur montre leur parenté avec le monde égypto-nubien qui n’est pas différent du monde appelé africain actuellement. Le thème du mono-originisme du paradigme égypto-nubien est la meilleure illustration de cette parenté (p. 35). Il cite quelques figures anciennes de ce courant de pensée parmi les plus illustres : 

  • Imhotep, génie du 3ème millénaire BP, médecin, pharmacien, architecte, astronome, mathématicien, écrivain, philosophe, théologien (p. 35-37) ; 
  • Mérikaré, 2160 BP, pharaon et prêtre, théologien (p. 37-38) ; 
  • Akhénaton, pharaon-prêtre de la 18ème dynastie, auteur du célèbre hymne, Grand Hymne d’Akhénaton glorifant la grandeur de Dieu traduit par l’auteur dans sa langue Luba (p. 39-60) ; 
  • Plotin, né en Egypte en 204 avant l’ère actuelle, auteur des Ennéades (p.70-76).
  • De Plotin, l’auteur fait un grand saut, presque un saut quantique, qui aboutit à Cheik Anta Diop, le grand penseur africain, né à Theiytou en 1923 et mort à Dakar en 1986, historien, anthropologue, physicien, égyptologue, homme politique sénégalais. Il a restitué la vérité historique en rendant définitivement l’Égypte antique à son berceau authentique, l’Afrique noire (p. 77-84). 
  • Théophile Obenga, savant, historien, linguiste, égyptologue, spécialiste de la culture “Bantu‘, de la même lignée que Cheik Anta Diop (p. 89-90) ; 
  • Mubabinge Bilolo, philosophe, égyptologue, africanologue, chercheur de renom sur la transcendance et la multiplicité de l’Un dans la pensée pharaonique. 

Le troisième chapitre, l’une des merveilles de cet ouvrage, s’intitule “École théologique Arabo-nègre“. Il est une confirmation de la parole de Grégoire Biyogo concernant l’Afrique qui ne peut pas être étrangère aux Religions dites du Livre. Le cas de l’Islam est très illustratif à ce propos. Tout d’abord, il convient de rappeler que la péninsule arabique, l’Egypte et le Soudan appartiennent à un même ensemble. Les Arabes sont nègres, les Proto-Sémites étaient des Noirs, des Africains. Les premiers habitants de l’Arabie et du Sud de la Syrie descendaient de la Vallée du Nil. L’Arabie et la Palestine étaient considérées comme faisant partie du Soudan par les Syriens. Les Arabes du temps de Muhammad avaient un a priori négatif à l’égard de la peau blanche (p.131-133). 

La théologie islamique compte un nombre impressionnant de penseurs négro-arabes ou négro-musulmans. L’auteur cite quelques-uns parmi les plus illustres :

  • Abû’Adb Allâh Bilâl Ibn Rabâh Al-Habachî, l’un des premiers partisans du magistère du prophète Muhammad Ibn Abdallah qui en est son adjoint en tant que « muezzin », ayant à charge de faire l’« adhân » (l’appel à la prière) et d’administrer ses biens. Deuxième personnage le plus important après le prophète Muhammad, on lui attribue la mémorisation et la transmission de 44 hadiths authentiques (p. 135-138). 
  • L’Imam Ali ibn Abu Talib (600-661) est l’imam du prophète Muhammad. La doctrine chiite soutient que le Prophète Muhammad et l’Imam Ali émanent tous deux d’une même lumière divine ; toutes les écoles confrériques soues font remonter leur généalogie à l’Imam Ali (p. 138-139). 
  • L’Imam Ja’far As-Siddiq (702-765) fait l’unanimité au milieu de tous les savants musulmans, il est le modèle de tous les savants, formateur de grandes gures du cénacle intellectuel islamique (p. 139-141). 
  • Abou Hana (702-767), premier savant musulman de l’ère post-mohamedienne, il introduit une méthode spéculative d’interprétation des sources pour en faire un emploi plus complet (p. 143-146). 
  • Jâhiz (776-868), philosophe, théologien, homme de lettres, biologiste, naturaliste, il a dressé l’inventaire des qualités qui hissent la race noire au sommet de la hiérarchie d’une société multiraciale au 8 ème siècle (p. 149-150). 
  • Dhul Nûn al-Misr (796-859), Nubien né en Haute Egypte, considéré comme le père de la gnose et de l’ésotérisme musulman, il fut le premier à décrypter le CiKama, le Médou Neter (Hiéroglyphes) longtemps avant Champollion Le Jeune (p. 152-154). 
  • Fatima Al-Nîsâburiyya (+838), maîtresse spirituelle habitant la Mecque, c’est d’elle qu’émane cee dénition de la sincérité : “La sincérité est le sabre de Dieu sur la terre ; où qu’elle soit appliquée, elle ne peut que trancher“ (p. 154-155).
  • Ahmed Baba Es Sudane (1556-1627), auteur, intellectuel, universitaire et savant Songhaï dont l’influence fut immense dans tout l’islam de l’Afrique de l’Ouest et du Maghreb (p. 162-163). 
Kentey Pini-Pini Nsasay
Kentey Pini-Pini Nsasay

Le chapitre 4 est consacré au courant de pensée chrétien. L’apparition du christianisme aux 1er et 2ème siècles, qui est lui-même une secte, se déploie en terme de courants divers dont le gnosticisme, le manichéisme et bien d’autres. C’est dans ce cadre et aussi pour contrer ces courants, qu’ils estiment déviationnistes, qu’apparaissent certaines figures du christianisme primitif en terre africaine, Egypte et Afrique du Nord. Parmi ceux-ci, il y a Démétrios, Origène et Denys d’Alexandrie. L’Egypte est le lieu de naissance de la vie monastique qui s’est répandue ensuite en Europe. C’est donc de l’Egypte qu’est partie l’action missionnaire multiforme vers l’Italie, l’Espagne, la Grèce, l’Afrique de l’Ouest (Algérie, Maroc, Libye, etc.), le Soudan et l’Ethiopie. Le christianisme égyptien constitue un moment capital de la mémoire chrétienne qu’on ne saurait sous-estimer. Il n’y a pas de christianisme sans théologiens. 

Voici la liste de quelques théologiens afro-chrétiens des premiers siècles. Origène (185-254), né à Alexandrie, il a laissé une œuvre gigantesque, il a un enracinement africain incontestable (p. 176-192). Augustin d’Hippone (354-430), né à Thagaste (actuellement Souk-Ahras en Algérie et mort à Hippone (aujourd’hui Annaba, nord Algérie) est un grand intellectuel qui a produit une œuvre grandiose dans la perspective de sa foi ; il est le monument de la théologie de la Trinité, de la Rédemption, de la grâce, du Christ total, de l’espérance (197-198). A travers Origène et Augustin, on se rend compte que l’Église d’Afrique a été une des grandes éducatrices de la chrétienté latine (p. 193-205).

Comme avec la théologie ancestrale de la vallée du Nil, ici encore l’auteur fait un grand saut pour aboutir aux théologiens afro-chrétiens de l’ère “post-coloniale“. Avant toute chose il donne quelques repères historiques au lecteur en commençant par l’ouvrage collectif “Des prêtres noirs s’interrogent“ paru en 1956 et de nombreux colloques et symposiums jusqu’au fameux synode des évêques d’Afrique de 1994 et la création de l’Association des Théologiens africains (ATA) en 2007 (p. 205-209). Dans la foulée, l’auteur donne, en outre, quelques tendances de la théologie africaine naissante. Il y a d’abord la théologie de l’adaptation, de l’africanisation et des pierres d’attente, portée par Tharcisse Tshibangu Tshishiku et Vincent Mulago Gwa Cikala ; l’autre tendance est celle de l’inculturation qui veut d’une Église africaine et non d’une Église africanisée dont Oscar Bimwenyi Kweshi est le grand ténor. 

Deux pays retiennent le plus l’attention concernant la recherche théologique. Il s’agit du Cameroun et du Congo-Kinshasa. Au Cameroun, l’auteur cite Engelbert M’veng, Meinrad Pierre Hebga, Fabien Eboussi Boulaga, Jean-Marc Ela (p. 235-241). Au Congo-Kinshasa, il mentionne Vincent Mulago, Tharcisse Tshibangu, Oscar Bimwenyi Kweshi - l’auteur du « Discours théologique négro-africain » présenté comme le tournant de la théologie africaine contemporaine -, Alphonse Ngindu Mushete, Laurent Monsengwo Pasinya, Kä Mana, Ntumba Muena Muanza, Josée Ngalula Tshianda (p. 248-282).

La conclusion de l’ouvrage rend honneur aux théologiens afro-chrétiens et afro-islamiques d’avoir pris la mesure du background égyptien dans leurs études. Le moment est venu, écrit Kalamba, de restituer au paradigme égypto-nubien son antériorité historique et de lui reconnaître sa sublimité et son indépassabilité (p. 305-310).
Nous saluons de deux mains l’ouvrage de Kalamba Nsapo. Il a fait montre d’une rigueur et d’un sérieux qui honorent la recherche africaine. Certes, tout n’a pas été dit. Certainement que ceux, parmi les autres savants, qui pourraient se sentir lésés de ne pas voir apparaître leurs noms dans cet ouvrage, sauront comprendre la nature de l’exigence que s’est imposée Kalamba Nsapo. Le souci qui transparaît à travers cet ouvrage est celui de la restitution de la vérité historique concernant l’apport immense de l’Afrique aussi bien au christianisme qu’à l’islam, apport que ces deux religions aiment souvent ignorer. Cela est très grave. Car un héritage aussi important que celui-là ne peut pas être passé sous silence. 

L’auteur fait comprendre, en outre, que les Africains eux-mêmes, peut-être aveuglés par les idéologies exclusivistes de deux religions précitées, aiment également écarter de leur vision l’héritage ancestral originel qui est à la base de la connaissance elle-même. Cela est intolérable. C’est pour parer à cette tendance néfaste que l’auteur lance un appel retentissant à la jeune génération des intellectuels africains, de se ressaisir pour se remettre à l’école de leurs ancêtres de qui ils apprendront énormément et bien plus qu’ils ne pourraient le soupçonner. 

C’est le mérite de Kalamba Nsapo de l’avoir si bien relevé et sans la moindre ambiguïté. Comme l’a dit le professeur-émérite Prince Kum’a Ndumbe III, lors d’une émission télévisée à Douala en mai 2017, les élites africaines et du monde sont invitées à lire et à diffuser ce livre immense de Kalamba Nsapo. Pour nous, cet ouvrage majeur devra être enseigné dans les écoles et universités africaines. 

Par Evariste PINI-PINI NSASAY 
Assistant à la Faculté de droit 
Université de Bandundu-Ville (UNIBAND)
Compte-rendu publié dans les Cahiers des Religions Africaines, vol. 1, n° 2, décembre 2020, p. 143-149.

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