Le roman l'Orgasme douloureux est une satire politique qui peint, sous le déguisement d’un propos grivois, la décrépitude de l'Afrique sous le règne des dictatures. C’est un roman qui fait également une critique de nos sociétés, où généralement la recherche effrénée des plaisirs sexuels semble parfois primer sur la promotion d’un mieux-être des populations. Le roman fait donc cette critique sociale d’une Afrique obnubilée par l’orgasme au lieu de chercher plutôt à demander des comptes, parfois, à certains dirigeants qui en font un peu trop, qui exagèrent sur un point ou un autre.
L’histoire se déroule dans un pays imaginaire, la Pomorie, où règne en souverain absolu un dirigeant dénommé Président-Roi. Sa doctrine politique, le socialisme orgasmique, lui permet de soumettre son peuple, en s’assurant que chaque pomorienne et chaque pomorien ont des orgasmes réguliers. Lui-même donne l’exemple, puisqu’il est à la tête d’un harem de plus de 100 épouses. Il considère que les opposants politiques sont simplement des gens incapables d’avoir des orgasmes, et s’assure qu’ils puissent désormais en avoir, en les « redressant », allez-y comprendre quelque chose…
Le sous-sol de la Pomorie est riche en diamant. Alors, au lieu de veiller à l’exploitation judicieuse de cette manne, le Président-Roi exporte les pierres brutes, et le profit de ce commerce revient uniquement à lui, ses proches du pouvoir, sa famille politique, pendant que la situation économique n’arrête pas de se dégrader dans le pays. La situation de la Pomorie devient dramatique lorsque le Président-Roi, étant devenu paranoïaque, commence une purge au sein même de l’appareil d’Etat, passant aux armes toutes les personnes qu’il soupçonne de comploter contre lui, avec ou sans preuves, souvent sans preuves d’ailleurs.
Voilà pour la fable. Maintenant, je vais vous dire quelques choses qui m’ont frappée à la lecture de cette œuvre. D’abord, il y a l’ironie. Je pense qu’il fallait à l’autrice de L'orgasme douloureux un langage humoristique et détourné pour dénoncer ce qui pourrait être appelé la somme de toutes les dictatures africaines. Ainsi, quand le narrateur glorifie le Président-Roi et fustige les opposants, quand il acclame la dictature et condamne la démocratie, ce n’est que le contraire qu’il veut exprimer. Quand il dit : « Et ce pauvre président roi si innocent qui ne veut pas se pérenniser au pouvoir, et que le peuple force à rester. », ce n’est pas ce qu’il pense. J’ai perçu une recherche constante du sourire, voire du rire du lecteur. Je n’ai pas arrêté de pouffer tout le long de ma lecture. En fait, l’autrice semble dire : « ces faits qui se sont produits, qui se produisent en Afrique sont si tristes et si burlesques, qu’il vaut mieux en rire, plutôt que d’en pleurer. »
Ce qui frappe encore dans le récit, c’est le réalisme avec lequel le cadre spatiotemporel et les personnages clés sont décrits. Il ne s'agit pas de décrire pour décrire. Les dialogues aussi évoluent dans des contextes bien choisis et décrits qui permettent au lecteur de bien visualiser les personnages et de vivre leurs aventures. Les détails qui parsèment le roman créent un effet de réel qui donne l'impression que l'histoire racontée a vraiment eu lieu et qu'elle a été vécue par l'autrice.
Enfin, je veux mentionner l’emploi de néologismes qui donnent l’impression que le narrateur s’amuse du lecteur : on sent qu’on connait ces pays, ces noms, ces lieux qui sont mentionnés, mais il y a des substitutions de lettres : La France devient Frane, Paris devient Karis, Bintou est Blintou dans le roman… Aussi, l’autrice use beaucoup de l’euphémisme. Elle parle ainsi d’hommes « mous de là où il ne fallait pas » ou de femmes « sèches où il ne faut pas ». C’est à se demander pourquoi le narrateur qui n’hésite pas à dire « orgasme douloureux » n’arrive plus à appeler un chat un chat… La réponse est pourtant simple : le mot « orgasme » est utilisé « symboliquement ».
En réalité, je l’ai dit, lorsqu’on entame un roman intitulé L’orgasme douloureux, on entreprend forcément une quête qui est de savoir comment un orgasme peut être douloureux. Certes, il y a dans le roman un passage très illustratif de cet oxymore, mais, ce qu’il faut comprendre surtout est que le mot "orgasme" est utilisé symboliquement : c’est le symbole de la soumission à la dictature ; avoir un orgasme, c’est jeter l’éponge. Résister à l'orgasme, c'est résister à la dictature. Voilà pourquoi pour redresser les opposants, la stratégie du Président-Roi est de s’assurer de leur orgasme. Alors, dans ce contexte, imaginez un opposant déterminé qui résiste à l’orgasme et qui est torturé jusqu’à obtenir cet orgasme. Évidemment, on ne peut que parler d’orgasme douloureux dans ce cas. Mais l’orgasme symbolise aussi la diversion du peuple pour qu’il ne s’intéresse pas à la chose politique. C’est la même chose que les combats de gladiateurs que les empereurs romains offraient au peuple pour le divertir et l'éloigner de la gestion de l’État.
En dépit de son titre, qui fait penser à un roman érotique, L’orgasme douloureux est une satire politique qui tient en éveil la nuit la personne qui l’ouvre ; c'est un roman politique qui tient en haleine le lecteur ou la lectrice du début à la fin. L’autrice avait prévenu dès le début : « Il faut pénétrer avant d’entrer plus en profondeur dans cette histoire ». Symboliquement déjà, on voit que l’histoire elle-même, si elle est pénétrée et parcourue en profondeur, ne pouvait que procurer un plaisir orgasmique de nature textuelle.
Ainsi, pendant que les Pomoriens et les Pomoriennes s’adonnent au plaisir du sexe, l’autrice, de son côté, offre au lecteur et à la lectrice un plaisir du texte que je n'hésite pas à recommander, et que je garantis, « sans douleur ».
Par Serge-Félix N’Piénikoua
Carmen Fifamè Toudonou est née le 22 juillet 1981. Elle est titulaire d’un doctorat et d’un Diplôme d’études approfondies en sciences du langage et de la communication obtenus respectivement en 2023 et 2015. En 2012, elle soutient un Master of art en Communication option Journalisme et Médias à Madison International Research Learning Institute. En 2007, elle a soutenu une licence en journalisme à l’Ecole Supérieure Internationale d’Enseignement Technique de Cotonou. Également titulaire d’un diplôme de Technicien Supérieur en gestion des entreprises obtenu à l’Institut pour l’Enseignement du Développement de Porto-Novo, elle a effectué au préalable des études scientifiques, ayant abouti à l’obtention en 1999 d’un Baccalauréat Série C.
Elle est administratrice parlementaire, en service à l’Assemblée nationale du Bénin. Actuellement au poste de directrice adjointe de l’Institut parlementaire du Bénin, elle est en outre le point focal genre de l’Assemblée nationale, et à ce titre, Chef du secrétariat technique de la Cellule focale genre de l’Assemblée nationale.
Ancienne journaliste à la radio nationale du Bénin, présentatrice du journal télévisé, toujours à l’ORTB, elle a dirigé entre autres l’antenne régionale de l’ORTB à Porto-Novo. Elle a été aussi chef service communication à l’Assemblée nationale, puis Chef du projet de création de la télévision parlementaire et chef service télévision.
Elle est autrice de sept articles scientifiques et de dix ouvrages édités dans différents genres littéraires. Elle a coordonné d’importants ouvrages collectifs dont deux recueils collectifs de femmes du monde. Elle a participé à de nombreux colloques scientifiques. En dehors de la littérature, elle se passionne pour le cinéma (elle a réalisé un court métrage et en a écrit deux autres).
Membre de la commission permanente « Communication, art et culture » de l’Académie nationale des sciences, arts et lettres du Bénin, Carmen Fifamè Toudonou dirige les éditions Vénus d’Ébène à Cotonou. Elle organise depuis 2016 un concours destiné à encourager les jeunes filles à lire et écrire en Afrique, qui s’intitule Miss Littérature. Elle anime le Blog « lebloglitterairedecarmen » sur Wordpress, et est chargée de cours dans les universités.
Publications littéraires
- Presqu’une vie, roman, Editions Plume soleil, Cotonou, 2014, 205p.
- Noire Vénus, poésie, Editions Flamboyant, Cotonou, 2015, 95p.
- Le vert, le rouge et le noir, essai, Editions Vénus d’Ébène, Cotonou, 2017, 130p.
- Des grades et des couleurs, essai, Editions Universitaires Européennes, Paris, 2018, 92p.
- Le lionceau et le papillon, jeunesse, Editions Vénus d’Ébène, Cotonou, 2018, 50p.
- Carmen Fifonsi Aboki (CFA), nouvelles, Editions Vénus d’Ébène et BOD, Cotonou & Paris, 2018, 252p.
- Tant de gens espèrent être aimés et beaucoup ne sont que mariés, roman, Editions Vénus d’Ébène, Cotonou, 2020, 130p.
- L’odyssée vodou, roman, Editions Afridic, Paris, 2020, 240p.
- D’une œuvre à l’autre, essai, Editions Vénus d’Ébène, Cotonou, 2022, 250p.
- L’orgasme douloureux, roman, Editions Lakalita, Burkina Faso, 2022, 222p.