En mai 2018, pendant que Yasmine Chouaki (En Sol Majeur), m'interviewait dans le studio RFI sur Western Tchoukoutou, mon dernier roman d'alors, il y eut une brusque rupture des échanges. J'entendis aussitôt la voix d'un journaliste relater en direct la finale de la Coupe du Monde de 1970 à Mexico. En Portugais, le reporter, comme savent bien le faire les Latinos avec leur goût prononcé pour la dramaturgie, scanda le nom de Pelé, traîna sur les deux syllabes, puis explosa dans un souffle interminable. "Goal! Goal! Goal! Goal! Goal" ! Pendant près de trente secondes, il s'extasiait devant la performance du n°10 brésilien, éleva une montagne de superlatifs, accompagnant ainsi le délire qui agitait le stade Aztec. C'était le sacre d'un onze d'exception avec, comme atout incontestable, Edson Arantes do Nascimento dit Pelé qui venait d'éclabousser, par son talent, la dernière finale d'une Coupe du Monde qu'il gagnait pour la troisième fois.
En studio à RFI, ce jour de mai 2018, Yasmine Chouaki voulait illustrer, par cet audio, un souvenir de mes vertes années à Pobé où en 1970, j'avais suivi, aux côtes de mes soeurs et frères, ce match inoubliable avec ce football samba fait de créateurs et d'artistes du cuir rond. Né d'une mère da Costa, donc d'origine afro brésilienne, je ne pouvais qu'être supporter du Brésil et surtout, fanatique de Pelé. Certes, nous ne l'avions jamais vu jouer - à cette époque, la télévision n'existait pas -, mais nous le créditions d'un jeu extraordinaire, comme par exemple, dribbler les dix joueurs de champ de l'équipe adverse et marquer des buts. Ou comme, faire des talonnades, exécuter des ciseaux, lober les gardiens, tenter de marquer depuis le rond central. Des gestes techniques devenus aujourd'hui banaux, mais à l'époque révolutionnaires parce qu'ils n'existaient pas et qu'en les inventant, Pelé les avait habillés d'une élégance, d'une classe naturelle. Les vidéos, en nous les montrant après, n'étaient pas loin de notre imaginaire.
Ce qui était extraordinaire chez cet homme, c'est qu'il avait évolué à l'époque des grands bouchers. Les actes d'anti-jeu étaient légion et les joueurs rugueux, surtout les défenseurs rigides, organisaient contre le prodige brésilien un marquage à la culotte. Il réussissait souvent à les dribbler et à leur échapper, même si ces bouffeurs de tibias se mettaient parfois à plusieurs pour le mettre en difficulté. Car, Pelé, ce n'était pas seulement de beaux gestes, c'était de l'efficacité, un millier de buts, des tournées européennes, africaines et mondiales avec son club de toujours, le Santos Club. Il avait un charme fou, un sourire solaire, la beauté, du charisme. Au sommet de la gloire, le gouvernement de son pays l'avait même déclaré "trésor national vivant"!
Aujourd'hui, alors qu'il s'est transformé en étoile pour aller rejoindre au ciel Maradona, Cruft et Eusebio, le roi, qui n'appartenait plus à son Brésil, est devenu plus qu'un trésor: le patrimoine éternel de l'humanité.
Merci, Edson Arantes do Nascimento!
Merci, O roy!
Par Florent Raoul Couao-Zotti