Les lendemains des putschs militaires au Mali – d’abord contre Ibrahim Boubacar Keita (IBK) puis contre le pouvoir de transition mis en place après son renversement – m’avaient conduit à me faire une promesse : trève d’indignation, motus et bouche cousue ! Que le déroulé des choses me donne raison ou tort. J’en étais venu à cette résolution après avoir longuement exposé, pour la énième fois, ma crainte que ce double coup d’État au Mali orchestré par le même soudard, soit mû par de sombres desseins. À présent, je crains d’avoir raison.
Assimi Goïta et sa bande n’ont pas déposé IBK et réédité leur coup contre le président de la transition par hasard. Ils étaient porteurs d’un projet qui est tout sauf un projet de souveraineté, qu’ils n’ont pas pu concevoir seuls dans leurs casernes et qu’évidemment, personne de bon sens, personne d’autre qu’eux, ne pouvait mettre en œuvre : ouvrir la voie à l’emprise de la Russie sur nos territoires et lui permettre, en ces lieux, de mener à l’Occident mais surtout à la France, la guerre qu’elle ne peut leur livrer directement en Europe. Le projet des soudards n’est pas de chasser quelque maître mais de nous changer de maître, puisqu’il semble entendu que nous Africains n’avons pas vocation à être libres. Nous serions condamnés à la servitude éternelle.
Pour baliser le terrain à la Russie, il faut donc chasser la France. Pour chasser la France, il faut détruire de l’intérieur les régimes jugés franco-compatibles et instrumentaliser le sentiment anti-français qui couve ou se renforce chez nous. Tout ceci est plus facile à concrétiser dans les pays de démocratie où, malgré les impedimenta, subsistent l’institution démocratique et une certaine pratique des libertés fondamentales. En démocratie, les régimes politiques sont civils et les peuples peuvent, instinctivement ou non, se révolter dans la rue contre les gouvernants. Ce contexte favorise la mission des ouvreurs de voie pour la Russie, bien introduits dans les bourses de Vladimir Poutine à travers celles de Wagner, sa milice de supremacistes blancs, de fascistes, de néonazis et autres racistes recrutés jusque dans les quartiers de haute sécurité des prisons russes. Ce sont ceux-là que la Russie, le nouvel ami qui veut traiter avec nous dans le respect et sur un pied d’égalité, nous envoie. Nous sommes en partenariat avec Moscou mais devons composer avec un gang de barbares qui nous offre ses services contre intéressements – du cash et/ou un large accès aux ressources de nos sous-sols – une armée de sauvages au service des plans obscurs de Poutine, une horde de mercenaires avec laquelle il a longtemps nié tout lien, jusqu’à ce que le seigneur des mercenaires, Evgueni Prigojine, tente de marcher sur son autorité. Et là, énorme révélation! Wagner reçoit ses financements du Kremlin et, sans doute, ses ordres aussi. L’aveu est signé de notre grand camarade lui-même, trahi par ses accès de colère contre son ancien cuisinier qu’il a propulsé patron de son armée de l’ombre.
Le pustch au Mali est une anarque. Le bilan de la junte Goïta est désastreux. Elle, non plus, n’a pas réussi là où IBK et ses prédécesseurs ont échoué. Elle a intériorisé et met en œuvre les méthodes et manœuvres kagébistes de manipulation et d’intoxication de la masse. Elle a viré les médias étrangers parce que, selon sa sentence, ils sont à la solde de l’impérialisme français et occidental. Elle a muselé la presse nationale, instauré un régime hyper présidentialisé à travers une nouvelle constitution alignée sur ses desiderata et un référendum pour l’adopter qui s’est soldé par 28% de taux de participation.
Les putschs au Mali ont inauguré une ère rance dans la sous-région ouest-africaine, une errance qui risque de durer. Car le projet est vaste.
C’est un projet de substitution des kakistocraties militaires aux cacocraties civiles. Les ouvreurs de voie condamnent l’ivoirien Alassane Ouattara pour son troisième mandat, sont vent debout contre le sénégalais Macky Sall dont on n’est pas encore certain du renoncement au troisième mandat mais ils portent en triomphe le centrafricain Faustin Archange Touadera qui manœuvre pour s’arroger un troisième bail, en le rallongeant de 5 à 7 ans et en supprimant la limitation du nombre de mandats dans la constitution. Ce qui fait la différence? Le troisième homme, à l’opposé des deux autres, est francophobe et russophile.
C’est un projet de recolonisation de nos terres par la Russie, un projet de militarisation de nos pays au profit de Vladimir Poutine. Le mode opératoire n’a plus de secret : une soldatesque prend le pouvoir par les armes sous prétexte d’insécurité grandissante et de mauvaise gouvernance. Des citoyens descendent dans la rue, brandissent le drapeau russe, s’attaquent violemment aux représentations diplomatiques françaises et parfois européennes. Un second putsch intervient à l’intérieur du premier putsch quand ce n’est pas l’élément proRusse pressenti pour diriger la junte qui est investi. Il n’y a alors plus qu’à établir formellement le contact avec le centre de commandement à Moscou.
Le renversement de Roch Kaboré suivi d’un second putsch intra-junte au Burkina Faso, dans la droite ligne du double coup d’État au Mali, nous en a donné une parfaite illustration. Qu’Assimi Goïta et Ibrahim Traoré considèrent qu’une intervention armée de la CEDEAO au Niger est une déclaration de guerre contre le Mali et le Burkina Faso en dit très long sur la nature de leur feuille de route.
Le projet en cours est une vaste initiative de démantèlement de la démocratie. Si la fumisterie de Touadera en vue d’une présidence à vie sous la protection de Wagner ne le crédite pas suffisamment à vos yeux, le coup d’État gratuit au Niger devrait achever de vous en convaincre. Autant au Mali, il y avait une révolte populaire contre IBK; autant en Guinée, Condé était prêt à tuer pour avoir son troisième mandat; autant au Burkina Faso, il n’y avait pas péril en la demeure. Le cas du Niger, lui, dépasse tout entendement. Voici un pays qui, politiquement, économiquement et socialement n’est pas en crise, qui fait même plus que ne pas être en crise. Il tient mieux que tous face au terrorisme. Il bat en brèche, à lui tout seul, tout ce que les suppôts de Moscou dans la sous-région ventilent comme discours fondateur de leurs aventures. Le Niger était un gros cailloux dans les rouages de l’expansion militaire et la propagande proKremlin. Le pustch est, ici plus qu’ailleurs, une entreprise personnelle. En janvier, les putschistes louaient les investissements en faveur de l’armée nigérienne et la politique sécuritaire du président Mohamed Bazoum. En juillet, ils le démettent arguant du contraire. Le putschiste en chef, le Général Tchiani, avait l’air bien dépareillé quand il avait fini par sortir de son trou pour enfin assumer son affaire. Bientôt, il ira à Moscou officialiser son allégeance ou Moscou viendra à lui. C’est l’étape qui suit le mouvement de foule favorable à la Russie et hostile à la France. Ce n’est pas qu’il n’y a aucune foule acquise à la cause de la démocratie et de Mohamed Bazoum dans le Niger sous bottes. Les partisans du président déposé étaient les premiers à prendre la rue dès l’annonce du putsch. Ils ont été matés et se terrent depuis. Ce n’est pas qu’il n’y a aucune foule anti-junte au Burkina Faso, au Mali ou en Guinée. Elles sont réduites au silence.
À toutes ces foules qui ne peuvent s’exprimer ou qu’on ne peut entendre au-delà des frontières embrigadées, je dédie ces lignes.
La Démocratie n’est pas le problème. Elle ne l’a jamais été. Le problème, ce sont les hommes, ce sont nos politiciens véreux et corrompus par le pouvoir, ce sont les officiers et sous-officiers de nos armées qui refusent le front pour se réfugier sous les ors de la République.
Le choix qui s’impose à nous est un choix décisif, entre la peste et le choléra. Tant qu’à ne pas être libre, je préfère de très loin l’influence de l’Occident à celle de l’Orient, la tutelle de la France à celle de la Russie, le joug européen à celui de la Chine.
L’avenir nous jugera!
Par Deo Gratias Kindoho