Il y a deux ans, lorsque nos frères maliens décidèrent de s’acoquiner avec le groupe de mercenaires russes Wagner, je leur recommandai de bien lire ou relire le livre « le Prince » que l’italien Machiavel avait écrit en 1550, et qui me semblait plus que jamais d’actualité. Je leur recommandais de lire précisément cette partie du livre qui dit ceci : « je dis donc que les armes avec lesquelles un prince défend son pouvoir sont soit les siennes, soit mercenaires, soit auxiliaires, soit mixtes. Les mercenaires et auxiliaires sont inutiles et dangereuses ; si quelqu’un tient son pouvoir fondé sur les armes mercenaires, il ne sera jamais solide ni sûr. Car elles sont désunies, ambitieuses, sans discipline, déloyales ; vaillantes au milieu des amis, lâches au milieu des ennemis ; sans crainte de Dieu, sans foi avec les hommes ; et l’on ne diffère sa chute que tant que l’on diffère l’assaut ; durant la paix vous êtes dépouillés par elles, durant la guerre par les ennemis. La cause de ceci est qu’elles n’ont d’autre amour ni d’autre raison qui les maintienne en campagne qu’un peu de salaire, qui ne suffit pas à faire qu’elles veuillent mourir pour vous. Elles veulent être à votre solde pendant que vous ne faites pas la guerre, mais lorsque vient la guerre, ne veulent que s’enfuir ou s’en aller…Les capitaines mercenaires sont ou excellents dans les armes ou non. S’ils le sont, vous ne pouvez-vous y fier, parce qu’ils aspireront toujours à leur propre grandeur, ou en vous opprimant, vous qui êtes leur maître, ou en opprimant d’autres contre votre intention ; si le capitaine mercenaire n’est pas valeureux, il vous ruine ordinairement. »
Je pense que ce qui vient de se passer en Russie ces derniers jours devrait inciter les Maliens, Centrafricains et peut-être Burkinabè à bien réfléchir sur la question des mercenaires avec lesquels ils sont en affaire ou projettent de l’être. Parce que même Vladimir Poutine, celui qui a créé ou tout au moins favorisé la création de ce groupe de mercenaires est en train de se demander s’il n’a pas enfanté un monstre qui a cherché à le manger. Le patron du groupe Wagner qui, ces derniers temps, ne manquait aucune occasion de critiquer la manière dont la guerre était menée en Ukraine, a décidé de lancer ses troupes sur Moscou, faisant craindre un coup d’Etat. Vous vous imaginez un coup d’Etat dans la grande Russie de Vladimir Poutine pendant que ce pays est en pleine guerre avec l’Ukraine ou, si l’on veut, avec tout le monde occidental ? Pendant que les forces de Wagner étaient en train de foncer sur la capitale russe, le président biélorusse a mené une médiation et le patron de Wagner a ordonné à ses troupes de faire demi-tour. Lui-même devrait se réfugier en Biélorussie. Que s’est-il réellement passé ? On le saura peut-être un jour, ou peut-être jamais. Toujours est-il que les forces mercenaires s’étant vues trop puissantes, ont cru pouvoir se retourner contre celui qui les employait. Que disait Machiavel ? « Les capitaines mercenaires sont ou excellents dans les armes ou non. S’ils le sont, vous ne pouvez vous y fier, parce qu’ils aspireront toujours à leur propre grandeur, ou en vous opprimant, vous qui êtes leur maître, ou en opprimant d’autres contre votre intention. »
Si Evgueni Progojine, le patron de Wagner a osé faire ce genre de coup à Vladimir Poutine, l’on peut imaginer ce qu’il est capable de faire à des petits chefs d’Etats africains. Il est pour le moment mis au frais en Biélorussie, mais je ne crois pas que Wagner soit démantelée. Elle sert encore en Afrique où elle rapporte beaucoup d’argent et permet à la Russie de se positionner dans des zones riches en matières premières. Là où Wagner est devenu trop puissant, que les chefs d’Etats se disent qu’ils ont perdu leurs pouvoirs. Souvenez-vous du mercenaire Bob Denard qui faisait et défaisait les pouvoirs aux Comores. Maliens et Centrafricains, vous ne savez pas dans quoi vous vous êtes embarqués. Mais vous le saurez très vite.
Par Venance Konan