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TRIBUNE : Ma parole !

Dans l’évangile selon Saint Matthieu, il est rapporté ceci : « En ces temps-là, comme Jésus était entré à Capharnaüm, un centurion (un gradé de l’armée romaine qui occupait alors la Palestine, le pays de Jésus) s’approcha de lui et le supplia : « Seigneur, mon serviteur est couché à la maison, paralysé et il souffre terriblement. » Jésus lui dit : « je vais aller moi-même le guérir. » Le centurion reprit : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri. » Depuis lors, les chrétiens répètent tous les jours dans leurs prières cette phrase : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. » Et de nombreux chrétiens, surtout africains, croient tellement en la puissance de la parole et en ses vertus thérapeutiques, qu’ils dépensent des fortunes pour entendre des pasteurs leur dire « je te guéris au nom de Jésus. »

Ces jours-ci, le pape François, chef de l’église catholique, se trouvait en République démocratique du Congo (RDC) où sa parole était très attendue. Et le pape n’a pas déçu les Congolais. Il a dit exactement, et même plus, que ce qu’ils attendaient. Il a ainsi dénoncé le « colonialisme économique de l’Occident » et « le pillage systématique des minerais congolais », il a évoqué un génocide oublié, dénoncé des occupations des villages et des tentatives de partition de cet espace, interpellé l’élite congolaise sur le fléau de la corruption, et appelé à des élections « transparentes et crédibles. » Il était prévu qu’il se rende dans l’est du pays qui est en proie depuis plus de vingt ans à une guerre sanglante menée par des milices téléguidées de l’extérieur, dans le but de mettre la main sur les fabuleuses richesses de cette partie du pays, mais il a dû y renoncer pour des raisons sécuritaires. Il a cependant reçu des ressortissants de cette région meurtrie et leur a dit les paroles qu’ils attendaient et qui les ont sans doute guéris. Tous les observateurs disent que la visite du pape a été un très grand succès, puisqu’il a mobilisé des millions de personnes et, si j’en juge par les commentaires des Congolais que j’ai entendus ou lu dans les médias, ils sont très heureux des paroles prononcées par le souverain pontife. Ces paroles les ont-ils guéris ? Tout dépend de ce qu’on appelle guérison. Ce qui est sûr est que les Congolais catholiques sont très contents, et c’est le plus important.

Après la RDC, le pape s’est rendu au Sud-Soudan, le plus jeune pays du monde, puisqu’étant le dernier à avoir acquis son indépendance. Ce pays dispose, comme son voisin la RDC, d’immenses richesses, mais il est ensanglanté par une cruelle guerre depuis sa naissance. Là-bas aussi, le chef de l’église catholique prononcera des paroles que les populations attendent et il rentrera chez lui.

Que se passera-t-il par la suite en RDC et au Sud-Soudan ? Strictement rien. Les conflits continueront, les populations civiles continueront d’être massacrées et les ressources de ces pays seront toujours pillées, pendant que les chrétiens seront en train de prier, les yeux fermés, et bibles en main. Le pape ne peut pas ignorer pourquoi les femmes de ces deux pays sont quotidiennement violées et mutilées, pourquoi les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards de ces pays sont massacrés depuis plus de vingt ans dans le cas de RDC. C’est pour s’accaparer des richesses de ces pays. Et le pape n’ignore pas qui profite de ces richesses, et que l’on pourrait soupçonner à juste titre d’être le commanditaire de ces crimes. Il sait que les commanditaires sont du côté du monde où il vit. C’est là-bas qu’il doit essayer de remuer les consciences. Nous autres, on nous a appris depuis des siècles à nous contenter de la parole. Au nom de la « parole de Dieu » on nous a réduits en esclavage. Au nom de cette « parole de Dieu », on nous a colonisés. Et on continue de nous piller et de nous massacrer pendant que nous écoutons cette « parole ». Oh oui ! Nous croyons tellement en la force de la parole que dans notre pays, par exemple, certains d’entre nous préfèrent suivre aveuglément ceux qui n’ont que des paroles à leur proposer, plutôt que celui qui travaille concrètement à améliorer leurs vies et dont les œuvres sont très visibles. Ma parole ! De quoi sommes-nous donc faits ? « Au commencement était la parole » dit un livre sacré qui nous fut imposé. Et l’Africain prit la parole, cette parole dont il espère qu’elle le libèrera, le guérira, le conduira au paradis, laissant les biens matériels de la terre aux autres, qui, ma foi, en jouissent très bien et sans gêne. C’est bien Jomo Kenyatta qui avait dit cette phrase : « quand les Blancs sont arrivés, ils nous ont donné la bible et nous ont demandé de fermer les yeux et de prier. Ce que nous avons fait. Lorsque nous avons ouvert les yeux, ils avaient pris nos terres et il ne nous restait que la bible dans nos mains. » 

Par Venance Konan

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