Lorsque le Premier ministre par intérim du Mali a délivré à la tribune des Nations Unies son discours incendiaire dans lequel il qualifiait la France de « junte », tout en s’en prenant aux présidents ivoirien et nigérien, ainsi qu’à la CEDEAO, il s’est trouvé des centaines de Maliens vivant à New York pour l’acclamer et l’accompagner à son hôtel comme un héros. Il en fut de même à son retour à Bamako où une foule immense est sortie pour l’accueillir comme le guerrier qui revenait victorieux d’une grande bataille.
Au moment où il tentait d’évincer son prédécesseur du pouvoir à Ouagadougou, l’actuel homme fort du Burkina Faso eut la bonne idée de dire que son adversaire s’était réfugié sur la base militaire française. Une foule de jeunes gens, arborant des drapeaux russes sortis d’on ne sait où, envahit les rues et s’en prit aux intérêts français. Il y eut par la suite plusieurs manifestations qui demandaient le départ de la France et surtout de ses soldats. Le dirigeant de la junte militaire burkinabè vient d’accéder à cette exigence en demandant aux Français de retirer leurs forces armées du pays.
« Vox populi vox dei », dit un adage latin. La voix du peuple est la voix de Dieu. Mais voici la vraie histoire de cet adage. L’empereur des Francs, Charlemagne avait pour conseiller un savant anglo-saxon du nom de Alcuin. Vers 798, alors qu’il répondait à une série de questions que lui avait envoyées le souverain, Alcuin écrivit : « le peuple doit être dirigé selon les lois divines et non être obéi… Il ne faut pas écouter ceux qui ne cessent de dire : « la voix du peuple est la voix de Dieu » car la vocifération d’une foule est proche de la folie. » Le leader n’est pas celui qui suit le peuple, mais au contraire le précède pour lui monter la voie, pour le guider.
Après la Centrafrique et le Mali, c’est le Burkina Faso qui vient de prier les militaires français de rentrer chez eux. Au moment même où le groupe russe de mercenaires Wagner fait circuler sur les réseaux sociaux une vidéo de propagande indiquant clairement que leur prochaine cible est la Côte d’Ivoire. Gagnons-nous vraiment au change en nous séparant de la France pour nous jeter dans les bras des Russes ? Pour moi, la vraie libération de notre continent viendra le jour où nous ne serons plus dans ce dilemme. Nous devons travailler à être autonomes, capables d’assurer nous-mêmes notre quotidien et notre sécurité.
Personnellement je n’ai aucun complexe à m’afficher francophile, et l’alliance entre mon pays et la France ne me gêne nullement, malgré la colonisation et ses crimes. Je sais que depuis que la société internationale existe, un pays faible s’appuie toujours sur un plus fort que lui. Souvent celui qui l’a vaincu. L’Allemagne et le Japon ont bien été vaincus et même écrabouillés par les Américains pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cela n’empêche pas pour autant les Etats Unis d’être les meilleurs alliés de ces deux pays et d’y avoir des bases militaires. Qui mettra pour cela en doute la souveraineté de l’Allemagne et du Japon ? Lorsque le monde était divisé entre Ouest et Est, au moment de notre accession à l’indépendance, notre pays a choisi le camp de l’Ouest, avec comme principal allié la France. Nous avons été témoins de la chute du camp de l’Est et je me félicite que nous soyons restés dans celui de l’Ouest.
La France doit cependant comprendre que nos relations doivent évoluer, faute de quoi elle fera face à ce sentiment anti-français qui se diffuse dans tout l’espace francophone africain. Certes, la propagande russe qui convoite aussi nos pays y contribue grandement. Mais tant que la France ne comprendra pas que nous ne sommes plus des enfants, ses enfants, elle ne fera que paver la voie pour les Russes. Pourquoi n’y a-t-il pas de sentiment anti britannique dans les ex-colonies anglaises ? Peut-être parce que la Grande Bretagne a su se retirer de ces pays et ne se croit plus obligée de chercher à régler leurs problèmes à leur place, d’adouber ou excommunier tel ou tel chef selon qu’il plaît ou non. La France doit aussi sortir de certaines ambigüités dans la lutte contre le terrorisme. Je n’insulterai pas la France, ni mon intelligence, en insinuant que ce pays soutiendrait les terroristes qui sévissent dans la Sahel, comme l’ont fait les Maliens. Mais si j’étais un citoyen lambda de l’un de ces pays, je m’interrogerais sur la pertinence de la présence militaire française quand on voit comment le terrorisme s’est répandu dans tous ces pays depuis que les Français y sont arrivés avec leurs soldats et tous leurs moyens technologiques.
Si la France ne change pas de logiciel, de nombreux chefs africains n’auront pas d’autre choix que suivre la vox populi.
Par Venance Konan