Il avait invoqué le privilège de l’âge pour justifier qu’il tienne son discours depuis son siège. Assurément un bon discours, très bien emmené, qui avait fait le parallèle entre la politique suivie en matière d’accueil des étrangers par l’initiateur du prix Félix Houphouët-Boigny et la dernière lauréate de ce prix, l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel. Elle avait accueilli plus d’un million de réfugiés dans son pays en 2015. Nous nous apprêtions tous à applaudir ce beau discours lorsque…Kpo ! On entendit ce qu’on appelle en Côte d’Ivoire un « kokota ». C’est un coup sec donné sur la tête de quelqu’un avec le majeur replié. Il fait généralement très mal. Il a dit : « J’ai aussi une pensée pour mon pays, la Côte d’Ivoire, qui peine encore à engager un dialogue franc et sincère entre tous ses fils et filles, pour construire une paix durable, au service du bonheur de ses populations et de celles de l’Afrique de l’ouest. » Et toc ! Evidemment, le groupe de ses militants qui étaient présents dans la salle l’a applaudi à tout rompre. D’aucuns auraient parlé de manque d’élégance. Parce que partout dans le monde, il y a des moments, comme ce 8 février, où toute la Côte d’Ivoire était rassemblée autour de la mémoire du « père fondateur », où l’on laisse de côté la politique politicienne. Surtout lorsqu’elle est totalement improductive. Mais Papi n’a pas pu s’en empêcher. Privilège de l’âge encore ou histoire de savourer le « kokota » qu’il venait de donner ? Il se mit à danser lors de la prestation de Magic System. Comme il l’avait fait lorsque Guillaume Soro lui rendit visite en sa principauté de Daoukro.
Dans toutes les régions de notre pays, les petits-enfants peuvent jouer avec le grand-père, discuter avec lui, le chahuter. Alors, privilège de l’âge, discutons avec lui. Papi, depuis la fin de la crise en 2011, passées les tentatives de déstabilisation du pouvoir orchestrées par des proches de l’ancien régime qui vivaient en exil, qu’est-ce qui a mis la paix en péril dans ce pays ? C’est ta tentative de coup d’Etat déguisée en désobéissance civile, avec la création d’un surréaliste Conseil national de transition que tu dirigeais. Toutes les chancelleries que tu avais contactées à l’époque t’avaient dit qu’elles ne pouvaient soutenir une chose aussi grotesque que ce CNT, qui dans tous les pays du monde, aurait conduit ses auteurs en prison. Mais, privilège de l’âge oblige, Papi, tu fus laissé en liberté. Qu’est-ce qui menace la paix dans ce pays aujourd’hui, qui demande l’instauration de ce dialogue franc et sincère dont tu parles ? Les prochaines élections ? En quoi les municipales et régionales menacent-elles notre quiétude retrouvée ? Pendant longtemps on nous a parlé du nécessaire dialogue, de la nécessaire libération de Simone Gbagbo, du nécessaire retour de Laurent Gbagbo, puis de Blé Goudé, pour qu’il y ait la nécessaire réconciliation dans ce pays. Tout cela a été réalisé. Akossi Bendjo, Mabri Toikeusse et tous ceux qui avaient quitté le pays sont rentrés. On a parlé de la rente qu’il fallait payer à Laurent Gbagbo. Il l’a empochée. Quoi d’autre maintenant ? Le retour de Guillaume Soro ? Le souhaite-t-il, lui-même ? A-t-il fait des démarches en ce sens, lui qui, selon certaines informations se serait récemment rendu en Russie ? Mon impression à moi est qu’il ne souhaite rentrer que triomphalement, en tant que nouveau calife à la place du calife. Quel est donc l’autre grand problème qui reste à être réglé, Papi ?
Que l’on arrête donc de nous faire le chantage du dialogue et de la réconciliation. Tout ce que certains cherchent en réalité, c’est qu’on aboutisse à un gouvernement d’union afin que tout le monde soit…au restaurant. Arrêtez de nous distraire et parlez fort pour qu’on vous entende. Sinon, puisque Papi veut son dialogue, qu’il utilise donc le privilège de son âge pour instaurer un dialogue entre son allié Laurent Gbagbo et Simone son épouse légitime, ainsi qu’entre lui et celui qui était considéré comme son fils, Blé Goudé, et aussi avec son ancien Premier ministre et président de son parti, Affi N’guessan. Si Papi veut redevenir président, qu’il le dise aussi et qu’il se prépare pour 2025. Mais qu’il s’attèle surtout à arrêter l’hémorragie qui est en train de vider son parti. A ses partisans qui parlent de pression subies par ceux qui quittent leur navire, expliquons-leur que personne, à part les migrants qui veulent coûte que coûte fuir leurs pays, personne n’a envie de naviguer sur un vieux rafiot qui prend de l’eau de toutes parts et qui visiblement va couler. Objectivement, qui croit encore dans les chances du PDCI conduit par Papi ou dans celles du PPA-CI de Laurent Gbagbo de gagner la présidentielle de 2025 ? Pour quelle raison un militant de base, ou un cadre d’un parti milite ? Parce qu’il espère en une possible victoire de son parti qui changerait la vie de la nation et la sienne. Pourquoi veut-on qu’il reste dans un parti qui ne lui offre plus cet espoir ? Quel espoir offrent aujourd’hui le PDCI et le PPA-CI, quand tout le monde voit ce qu’Alassane Ouattara est en train de réaliser ? Et l’on s’étonne que des hauts cadres de ces partis partent vers le parti d’Alassane Ouattara ? Vous aussi !
Par Venance Konan