Que peut bien faire un moucheron pour arrêter deux éléphants ou deux hippopotames qui se battent ? A première vue rien, sauf à se faire écraser. Que sont donc allés chercher des chefs d’Etats africains dans une galère comme celle de la guerre Russo-ukrainienne ? Ainsi, une délégation de quatre chefs d’Etat africains, composée des présidents Macky Sall du Sénégal, Hakainde Hichilema de Zambie, Cyril Ramaphosa d’Afrique du sud, et Azali Assoumani des Comores, ainsi que des représentants des présidents congolais, ougandais et égyptiens se trouvaient en Ukraine et en Russie il y a quelques jours, pour, disaient-ils, jouer les médiateurs entre ces deux pays qui se font la guerre depuis plus d’un an. Qu’est-ce que les Africains ont à voir dans une affaire pareille ? me demanderont peut-être certains. Un ministre africain a expliqué sur une radio internationale que depuis longtemps, les Européens jouant les rôles de médiateurs dans nos crises, il serait donc normal que des Africains jouent eux-aussi le même rôle aujourd’hui dans une crise européenne. J’ose croire que ce n’est pas seulement pour imiter les Européens que nos quatre chefs d’Etats africains se sont rendus dans ces pays. Cela dit, y sont-ils allés en croyant sérieusement qu’ils auraient une chance de peser sur l’issue de ce conflit ? Avec quels moyens auraient-ils pu imposer quoi que ce soit à l’une ou l’autre partie ? Ou, y sont-ils allés uniquement, ou surtout, parce que nous dépendons en grande partie de ces deux pays pour assurer une bonne partie de notre pitance ?
Nos quatre chefs d’Etats sont donc allés rencontrer les chefs d’Etats ukrainien et russe. Pour quel résultat ? Apparemment rien. Fallait-il s’attendre à autre chose ? En Ukraine, on a froidement rejeté la médiation africaine, parce que l’on estimait qu’elle constituait une tromperie de la Russie au moment de la contre-offensive ukrainienne. En Russie, on leur a dit poliment que leur plan de paix était difficile à mettre en œuvre. Tout cela pour leur dire qu’ils auraient mieux fait de s’occuper de leurs oignons.
Cela dit, nos chefs avaient-ils raison ou tort de se mêler de cette histoire ? Slimane Zéghidour, un éditorialiste de TV5 a dit ceci : « l’Amérique latine a proposé sa médiation, la Chine l’a entamée, les Turcs s’y étaient déjà engagés pour les céréales. C’eut été une anomalie que l’Afrique ne se présente pas, que les Africains n’entrent pas dans le bal pour intervenir et faire triompher la voie diplomatique. » De mon point de vue, ce n’est pas parce que des pays issus des autres continents ont tenté une médiation que l’Afrique doit se croire obligée de la faire aussi, même si elle n’a objectivement aucune chance d’obtenir des résultats. On ne s’érige pas en médiateur simplement parce qu’on est Africains, et parce que les Latinos américains, les Chinois et les Turcs l’ont essayé. De grands hommes politiques africains ont, par leur propre intelligence et habileté, leur charisme, leurs expériences, joué des rôles de médiateurs dans des crises qui se déroulaient loin de leurs pays. Ce fut le cas de quelqu’un comme Houphouët-Boigny dont on sait aujourd’hui qu’il avait joué un grand rôle dans les recherches de résolution du conflit israélo-palestinien. L’on sait qu’il s’en est fallu d’un cheveu pour que la première rencontre entre le leader palestinien Yasser Arafat et le Premier ministre israélien d’alors ne se tienne à Yamoussoukro. Mais mettre ensemble plusieurs chefs d’Etats issus des différentes parties du continent ne donne pas automatiquement la légitimité et la compétence nécessaires à l’Afrique pour prétendre jouer un rôle de médiateur dans une guerre comme celle qui oppose la Russie à l’Ukraine.
Je crois que nous devrions apprendre à être un peu plus modestes et savoir « où notre main peut arriver. » Vouloir à tout prix jouer un rôle là où nous savons que nous n’avons aucun moyen d’être pris au sérieux, et là où en vérité personne ne nous attend, nous expose au ridicule. Et j’ai bien peur que ce ne soit ce qui est arrivé à nos quatre chefs d’Etat et ceux qui les accompagnaient dans cette galère russo-ukrainienne.
Par Venance Konan