Depuis quelque temps, je suivais avec beaucoup d’intérêt, et, pour être tout à fait honnête, avec beaucoup d’inquiétude, l’évolution de la situation en Tunisie avec son président Kais Saied. J’avoue avoir une affection particulière pour ce pays si beau, si chaleureux, avec une si riche histoire, où je compte au moins deux grands amis que je considère comme des frères, Riadh et Khaldoun, deux amis qui se disputent le droit de m’héberger chez eux chaque fois que je me rends dans leur pays. Mais depuis les dernières déclarations du président tunisien, c’est avec sidération que je suis désormais l’actualité de ce pays. Le chef de l’Etat tunisien a récemment tenu un discours très violent sur l’arrivée de « hordes de migrants clandestins » dont la présence en Tunisie est, selon lui, source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables. » Il a en outre soutenu que cette immigration relevait d’une « entreprise criminelle ourdie à l’orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie afin de la transformer en un pays africain seulement, et estomper son caractère arabo-musulman. » Il a appelé les autorités de son pays à agir « à tous les niveaux, diplomatiques, sécuritaires et militaires » pour faire face à cette immigration. Et selon les témoignages de plusieurs ONG tunisiennes et de subsahariens vivant en Tunisie, ces derniers feraient l’objet de discrimination, de harcèlement, d’agressions physiques, de contrôle de police au faciès, d’arrestations arbitraires et d’expulsion de leurs domiciles, voire du pays sans raison.
Qu’un Eric Zemmour en France agite la théorie du grand remplacement pour se faire un peu de place sur l’échiquier politique français pourrait passer. Mais que le chef d’un Etat membre de l’Union africaine utilise cet argument-là, pour provoquer des pogroms contre des Africains vivant dans son pays, ne saurait plus être toléré par les Africains. L’Union africaine a réagi. Nous attendons maintenant les réactions de nos dirigeants à nous, Africains subsahariens. Nous voulons bien comprendre que certaines populations, peu éduquées d’Afrique du nord ou formatées par des siècles d’une certaine éducation, aient du mal à s’accepter en tant qu’Africains, ce mot renvoyant dans leur esprit à nous, Noirs africains, qu’ils considèrent comme des sous-hommes. Mais que de tels propos viennent d’un chef d’Etat pose de sérieuses questions sur les relations entre l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du nord et généralement les pays arabes. C’est régulièrement que des subsahariens sont victimes de racisme dans les pays arabo-musulmans, que ce soit en Afrique ou au Moyen-Orient. Sans que les chefs d’Etats d’Afrique noire n’interpellent leurs homologues de ces pays. En Mauritanie, les populations noires sont réduites en esclavage. Il en est de même en Libye. Même du temps de Kadhafi qui se posait en chantre de l’unité africaine, les Noirs étaient discriminés, martyrisés dans son pays. Récemment, c’était l’Algérie qui expulsait les Noirs dans des conditions inhumaines. Ne parlons pas du Liban et des pays du Golfe. Pendant combien de temps va-t-on nous servir du « mon frère » lorsqu’il s’agit de profiter de nous, alors que le vrai sentiment que l’on éprouve est du mépris, voire de la haine ? Pendant combien de temps allons-nous, nous, accepter cela ? Si nos dirigeants ne réagissent pas par les canaux diplomatiques ou politiques dont ils disposent, un jour c’est la rue qui réagira, avec les conséquences que l’on peut imaginer et que personne ne saurait souhaiter.
M. Kais Saied sait très bien que la population subsaharienne dans son pays est essentiellement composée d’étudiants et de candidats à l’émigration en Europe qui utilisent son pays seulement comme zone de passage. En quoi peuvent-ils menacer la composition démographique de la Tunisie ? A-t-il compté le nombre de Tunisiens qui vivent ailleurs que dans leur propre pays ? Connait-il le nombre de ses concitoyens qui cherchent à fuir son pays à cause de sa mauvaise gouvernance ? Partout dans le monde, lorsqu’un dirigeant échoue à répondre aux aspirations de son peuple, il se cherche un bouc-émissaire. Nous ne pouvons pas, et ne devons pas accepter d’être les bouc-émissaires de M. Kais Saied, ni d’aucun autre dirigeant. Les pays d’Afrique subsaharienne sont généralement très accueillants envers les étrangers des autres pays non subsahariens. Nos haines sont toujours dirigées contre ceux qui ont la même couleur de peau que nous. Nos leaders doivent exiger de tous les pays du monde, mais surtout de ceux avec qui nous siégeons à l’Union africaine, et tous ces pays dont nous accueillons les citoyens et entreprises à bras et cœurs ouverts, un minimum de respect envers nous.
Par Venance Konan