Titulaire d’un doctorat de troisième cycle en Sociologie de développement de l’Institut d’études pour le développement économique et social (IEDS), Sanoussi Jackou est né en 1940 à à Kornaka, dans la région de Maradi. Emprisonné pendant 11 ans sous le régime de Feu Seyni Kountché, suite à une tentative manquée de coup d’Etat, il est libéré le 23 novembre 1987 et retourne à la fonction publique en mars 1988. Ancien cadre de la CDS-Rahama de Mahamane Ousmane, il est l’un des principaux acteurs de la vie politique nigérienne. Il a notamment assumé les fonctions de vice-président de l’Assemblée nationale du Niger de 1993 à 1994 et a été député de 2004 à 2010. Il fut également ministre sous le régime du défunt président Ibrahim Baré Maïnassara. Depuis le 2 février 1997, il préside aux destinées du Parti nigérien pour l’autogestion (PNA-Al’ouma).
Avec la disparition de cette personnalité politique singulière du Niger, Afrique Destinations lui rend hommage, en publiant à nouveau, un article que Serge Mathias Tomondji avait écrit et publié en 2010.
J’ai appris avec la tristesse le décès, ce 18 juillet 2022, de Sanoussi Tambara Jackou, un des principaux acteurs de la vie politique nigérienne, puisqu’il a été notamment vice-président de l’Assemblée nationale de son pays de 1993 à 1994 et député de 2004 à 2010. J’ai rencontré Sanoussi Jackou en 2010 dans le cadre d’une mission professionnelle, au moment où il présidait aux destinées du Parti nigérien pour l’autogestion (PNA-Al’ouma), et il m’a longuement entretenu sur la situation sociopolitique au Niger et en Afrique. À cette époque-là, le Niger, comme plusieurs pays africains, cherchait toujours ses marques, 50 années après son indépendance. Vaste territoire de 1 267 000 km² abritant 14,2 millions d’habitants, le pays a pourtant d’importantes ressources pour réussir. Les choses avaient même bien commencé au cours des premières années d’autonomie politique, mais le pays cherchait encore la bonne rime, entre stabilité et développement socioéconomique. C’est tout cela dont m’a parlé Sanoussi Jackou, un personnage assez vif, véritable bibliothèque, qui avait le sens du détail et de la narration. Une brève radioscopie que je publie ici, pour la mémoire et pour l’histoire…
… Et pourtant, le Niger n’était pas si mal parti que cela! «Le Niger a commencé à bien partir», soutient l’homme politique nigérien Sanoussi Tambara Jackou. Un homme à la mémoire vive, qui vous balade avec entrain dans l’histoire des différentes Républiques qui ont jalonné l’évolution politique et socioéconomique de son pays. Choqué au début des années 1960 par la célèbre sentence de René Dumont qui affirmait que «l’Afrique noire est mal partie», Sanoussi Jackou a bien vite fini par se demander si, au fond, l’homme n’avait pas simplement tort d’avoir eu raison trop tôt. Ainsi se rappelle-t-il notamment ce jour de 1960 où, alors qu’il était en classe de première en Côte d’Ivoire, le professeur annonçait qu’on avait découvert, dans la localité de Say, au sud-ouest du Niger, 11 milliards de tonnes de fer! Il y eut une grande émotion dans la salle. On voyait ce pays décoller. Mais aujourd’hui, 50 ans après, constate Sanoussi Jackou, «le bonheur annoncé n’est pas arrivé».
En fait, très tôt, les autorités de la Première République avaient à cœur de développer le pays en le dotant notamment d’un minimum d’équipement industriel. Une option guidée par le fait qu’à l’aube de son indépendance, «le Niger n’abritait sur son sol qu’à peine une dizaine d’unités industrielles significatives». Ainsi, l’adoption du plan triennal 1961-1963 (ou plan intérimaire), qui a permis de dresser «un inventaire systématique de toutes les potentialités économiques et sociales» du pays, participait de cette volonté de construction nationale. Les responsables politiques de l’époque ont donc inventorié les ressources minières, géologiques, hydrogéologiques, agronomiques, pastorales, démographiques, etc. du Niger, avant de se lancer, dès 1964, dans une planification décennale. Deux plans quadriennaux ont ainsi été mis en œuvre, suivis d’une période intérimaire de deux ans, pour faire de la période 1964-1973, une décennie de réalisations diverses sur le plan des infrastructures.
ET VINT LE PAS!
Selon temoust.org, le gouvernement de la Première République s’était attelé à «équiper le pays en infrastructures routières, en habitats et aussi en unités économiques dans plusieurs secteurs et branches d’activités»: banques et assurances, commerce, industrie, énergie, tourisme… Si bien qu’il affichait, au moment de son renversement par un coup d’État militaire, le 15 avril 1974, un bilan assez flatteur, avec à la clé une soixantaine d’unités modernes, notamment des établissements publics et offices, des sociétés d’État et d’économie mixte. Beaucoup de personnes considèrent ces premières années du Niger indépendant comme une période de véritable construction politique et économique, les tenants du pouvoir s’étant attachés à inscrire leurs actions en droite ligne de trois orientations principales: «l’unité nationale, le relèvement du niveau de vie des populations et l’indépendance économique dans l’interdépendance».
C’est sans doute ce qui fait redire à Sanoussi Jackou que le Niger, dont le budget est passé d’environ trois milliards de francs CFA en 1960 à plus de 15 milliards de francs CFA en 1974, «n’est pas mal parti». Mais, renchérit-il immédiatement, le pays a «mal continué». Notamment à partir des années 1980, avec l’introduction des Programmes d’ajustement structurels (PAS) un peu partout sur le continent. Une situation qui a conduit à la «liquidation des acquis de la Première République», cinq ans seulement après l’avènement de la Deuxième République. Au cours de la période 1974-1991, constate-t-on, les équipements industriels et commerciaux ont souffert du désengagement économique de l’État, qui a laissé place aux acteurs privés nationaux et internationaux.
Parallèlement, sur le plan politique, témoigne encore Sanoussi Jackou, s’est instauré un «régime autoritaire, sans liberté». L’ouverture démocratique n’a guère été paisible pour ce vaste pays aux ressources minières énormes. Divergences politiques, querelles de clocher et intrigues politiciennes ont fait le lit d’une instabilité que le Niger s’efforce encore de corriger. «L’année 1995 aura été la plus tumultueuse», note Sanoussi Jackou, qui évoque la grave crise institutionnelle dans laquelle le pays s’était embourbé à cette époque où «le Premier ministre et les ministres étaient opposés au président». Une situation inconfortable et invivable au sommet de l’Etat, qui fit voler en éclats la coalition au pouvoir.
SALUBRITÉ POLITIQUE
L’incursion récurrente des militaires dans la vie politique du Niger ne s’est donc pas arrêtée après qu’une nouvelle Constitution ait permis l’élection et l’investiture d’un président «démocratiquement» élu en 1993. Les coups d’État se sont succédé, mais curieusement, et même heureusement, toujours pour remettre le train démocratique sur les rails. Et chaque fois qu’il est venu à l’idée de l’un de ces «balayeurs» de faire son lit au palais présidentiel quand vient le moment de partir, de tordre le coup aux règles constitutionnelles pour changer la donne démocratique adoptée par tous, il a aussitôt brutalement été rappelé à l’ordre par un nouveau putsch! Mamadou Tandja en sait quelque chose, qui donne actuellement au Niger de connaître, par son entêtement, une énième transition militaire. Avant lui, Ibrahim Baré Maïnassara en a fait l’amère expérience, au prix fort de sa vie. Et c’est ce qui fonde la foi que les Nigériens accordent aux promesses des autorités actuelles du Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD).
Le putsch militaire intervenu le 18 février 2010 au Niger reste en effet, pour la grande majorité de la population, une véritable opération de salubrité politique et de restauration démocratique. Et les Nigériens approuvent, dans l’ensemble, les chantiers inaugurés depuis par la junte au pouvoir. Le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie, qui préside aux destinées du Niger depuis ce coup d’État salué et applaudi par tous (ou presque), s’est assigné trois missions principales. D’abord, assainir les finances publiques mises à mal par un long règne de malversations et d’impunité, à travers une vaste campagne de moralisation de la vie publique. Ensuite, réconcilier les Nigériens avec eux-mêmes. Et enfin, restaurer la démocratie en organisant des élections générales libres et transparentes, pour un retour à un ordre constitutionnel normal.
Au-delà des difficultés qui n’ont pas manqué de se faire jour dans l’accomplissement de ces chantiers, le CSRD semble avoir donné des gages de bonne foi et de détermination, aussi bien aux populations nigériennes qu’à la «communauté internationale», qui attendent toutefois que la tenue effective des élections vienne sublimer cette énième incursion de l’armée dans la vie politique du Niger.
SENTINELLES DE LA DÉMOCRATIE
En effet, ce n’est guère la première fois que face aux errements et dérives de la classe politique nigérienne, les militaires interviennent pour restaurer l’ordre et les institutions démocratiques. Ce rôle de sentinelle de la démocratie semble séduire les Nigériens, qui y voient la meilleure parade contre les éventuelles dérives des détenteurs du pouvoir, quels qu’ils soient.
En mettant ainsi un terme à la «VIe République» fabriquée de toutes pièces par Mamadou Tandja sur fond de «tazartché» (continuité), la junte au pouvoir au Niger s’inscrit dans une démarche pédagogique et compte réussir cette sorte de catharsis généralisée, destinée à rebattre les cartes pour une redistribution des atouts. Et si d’aucuns s’inquiètent de devoir à nouveau composer avec la vieille garde politique, dont les sempiternelles querelles politiciennes entretiennent la flamme des dérives, la réalité est là, têtue, qui montre bien que «c’est au bout de l’ancienne corde qu’on tresse la nouvelle». C’est pour tenir compte de cette réalité, tout en restant à l’écoute du peuple largement divisé sur la question, que le CSRD a délicatement supprimé certaines mesures jugées «discriminatoires» — comme la limitation de l’âge et le niveau d’instruction des potentiels candidats à la présidence — de l’avant-projet de Constitution qui fondera bientôt la VIIe République.
Un bémol cependant, dans le concert d’éloges adressés à la junte au pouvoir. De l’avis général, la conduite du chantier de l’assainissement financier laisse à désirer et s’apparente à une chasse aux sorcières. Une pierre dans le jardin du CSRD, qui poursuit toutefois la mission de «restauration de la démocratie» qu’il s’est assignée. Pour l’heure en tout cas, il ne vient à l’esprit de personne que les militaires ne passeront pas la main, au terme de leur transition et l’on attend de pied ferme, sur les bords du fleuve Niger, ces élections de la réconciliation et de la restauration démocratique.
DERNIÈRE TRANSITION?
Reste que l’opinion nigérienne souhaite que cette transition soit la dernière et que désormais, les détenteurs du pouvoir comprennent qu’il ne sert à rien de ruser avec les institutions, ni avec la Constitution. En cette veillée d’armes électorales, avec un agenda des plus chargés, les Nigériens tiennent à écrire une nouvelle page de leur histoire, et à montrer au monde qu’ils sont maîtres de leur destin. Pour ce faire, ils n’aspirent qu’à trois choses fondamentales. Primo, une conclusion heureuse de la transition. Secundo, des élections générales apaisées, libres et transparentes. Tertio, le respect du nouvel ordre constitutionnel, dans une VIIe République qui mettra l’homme, et tout l’homme, au cœur des stratégies de développement…
© Serge Mathias Tomondji
(in Notre Afrik N°4, octobre 2010)