Tour à tour président du Dahomey, de la République populaire du Bénin, puis de la République du Bénin, Mathieu Kérékou a tiré sa révérence le 14 octobre 2015. Il y a donc aujourd’hui cinq ans que celui qui détient jusque-là le record de longévité à la tête de ce pays d’Afrique de l’Ouest n’est plus. Occasion pour revenir sur ses «mille et une vies» politiques, à travers cet article que lui ai consacré en décembre 2015, au lendemain de sa disparition…
Il se nommait Mathieu Kérékou, mais tout le monde l’appelait «le caméléon». Un surnom qui est apparu dans l’univers politique béninois le 26 octobre 1972, au moment où ce chef de bataillon — devenu plus tard général — prenait le pouvoir dans l’ancien Dahomey. «La branche ne se cassera pas dans les bras du caméléon», avait-il alors martelé. Une profession de foi qui guidera toute sa vie politique et qui forgera la personnalité de cet homme, resté énigmatique jusque dans la mort!
Tout le monde en convient, Mathieu Kérékou aura démontré une grande capacité d’adaptation dans le marigot politique béninois qu’il a dominé de la tête aux pieds. On apprendra récemment qu’en fait, «le caméléon» (tchaa, en langue waama) est la signification exacte de son prénom indigène. Tout un symbole qui traduit aussi le destin totémique du natif de Kouarfa ! «Ni ange ni démon. Juste un homme, pas comme les autres. Capable, bien avant tout le monde, de sentir la direction du vent et d’élaborer un bulletin météo politique, dont les prévisions sont rarement démenties», témoigne d’ailleurs fort justement feu Maurice Chabi, ancien directeur de publication du quotidien pro-gouvernemental «Ehuzu» — au temps fort de la révolution —, dans son livre «Il était une fois un caméléon nommé Kérékou», paru en novembre 2013.
IMPÉNÉTRABLE
Lorsque, le 14 octobre 2015, Mathieu Kérékou fait ses adieux à ce monde qui l’a vu naître (officiellement) le 2 septembre 1933 à Kouarfa, petite localité située à quelques encablures de Natitingou, dans le nord du pays, l’hommage est unanime pour saluer les actions d’un grand homme, artisan de l’unité nationale et du processus démocratique du Bénin. Et l’on essaie toujours de décrypter les nombreuses vies de l’ancien «grand camarade de lutte», qui s’est éteint à 82 ans.
Insaisissable et impénétrable, Mathieu Kérékou «était aussi et surtout un homme de silences et de discrétion», dira Célestine Zanou, qui fut sa directrice de cabinet de 1997 à 2001. Et si chacun y est allé de son antienne pour saluer la mémoire de l’illustrissime disparu, c’est notamment en raison du rôle éminent qu’il a joué avant, pendant et après la conférence nationale des forces vives de février 1990, forum fondateur du renouveau démocratique béninois. Rien que pour cela, et au regard des soubresauts actuels de la vie sociopolitique africaine, le caméléon mérite amplement ses lauriers.
Certes, personne n’a oublié la tumultueuse période révolutionnaire, avec ses dérives et ses privations des libertés fondamentales. Les stigmates de cette période sombre sont toujours là, vivaces dans les esprits. Mais rétrospectivement, l’entrée en scène politique de Mathieu Kérékou, le 26 octobre 1972, aura au moins eu le mérite de signer le dernier putsch en date de l’ancien «enfant malade de l’Afrique», qui végétait dans une instabilité criarde depuis son accession à l’indépendance, le 1er août 1960.
EN TROIS TEMPS…
Finalement, celui que l’on appelait «Zorro» dans l’armée avant sa prise de pouvoir, en raison de son âme de justicier, aura dirigé son pays en trois temps, pendant une trentaine d’années. En effet, après 17 ans de socialisme à la sauce du marxisme-léninisme (1972-1989), la conférence nationale conduit tout naturellement le pays dans une transition démocratique d’une année (1990-1991), au cours de laquelle le «caméléon» se tint au-dessus de la mêlée, jouant tant bien que mal son nouveau rôle de père refondateur.
Et lorsque, contraint par les urnes, il dut remettre le pouvoir à un Nicéphore Soglo démocratiquement élu mais malade, c’est avec l’élégance du devoir accompli et les honneurs du peuple reconnaissant que cet homme à l’humour caustique se retira, la tête haute, tout de blanc vêtu, dans sa résidence des Filaos, à Cotonou.
La retraite de Mathieu Kérékou fut toutefois de courte durée. Juste le temps d’un quinquennat assuré par Nicéphore Soglo, et revoici Kérékou à la tête de l’Etat béninois, porté au palais de la Marina par les urnes. Il y restera dix années, soit le tarif plein de deux mandats de cinq ans consécutifs prescrits par la Constitution, et rendra définitivement le tablier présidentiel en 2006.
En tirant sa révérence le 14 octobre 2015, Mathieu Kérékou laisse à tous le testament d’une icône incontournable du référentiel politique et démocratique du Bénin.
© Serge Mathias Tomondji
(in Fasozine N°60, Novembre-Décembre 2015)