En 2020, 2001 et 2022, l’organisation et surtout la proclamation des résultats des élections présidentielles ont donné lieu des contestations violentes. Dans certains pays francophones d’Afrique de l’Ouest, elles constituent une pierre d’achoppement pour une partie de la classe politique (l’opposition) et des organisations de la société civile. La mode de la révision constitutionnelle a aggravé la situation.
Les sociétés de ces pays ne sont pas les seules à affronter un tel problème politique et social. On l’observe aussi en Afrique de l’Est. En mai et août 2022, des élections présidentielles ont lieu respectivement en Somalie et au Kenya, qui ont soulevé des contestations politiques et sociales.
Ce sont deux pays au contexte politique et social opposé. Le Kenya est un pays considéré stable politiquement depuis son indépendance. Selon les institutions financières internationales, il a une des économies dynamiques du continent noir. Il n’a pas connu une guerre civile depuis son indépendance, même dans le conflit qui l’a opposé avec la Somalie indépendante, voulant intégrer le Nord-Est habité par une population somalie. Tandis que la Somalie est un pays, qui a sombré dans la guerre civile après ses défaites militaires avec l’Ethiopie dans les années 1970 et 1980. Le pays se reconstitue depuis quelques années, même si la violence terroriste est persistante.
Les deux pays ont des régimes présidentiels, même si le cas de la Somalie est un régime hybride. Le président kenyan est élu au suffrage universel direct ; l’autre figure du pouvoir exécutif est le vice-président alors que son homologue somali est élu au suffrage indirect par le parlement bicaméral. Il ne peut dissoudre le parlement, mais il peut désapprouver le Premier ministre et le démettre de ses fonctions politiques. C’est une situation, qui a eu lieu à deux reprises dans l’histoire politique récente de ce pays. Le processus électoral pour élire un président et des représentants du peuple au Parlement n’est pas nouveau dans ces deux pays. Elles ont connu sous l’époque coloniale et après l’indépendance en 1960 et 1962. C’est un processus marqué par la violence.
Processus électoral ou choix clanique et ethnique
Le tribalisme et le clanisme des sociétés africaines ont un impact sur le vote. Le citoyen d’Afrique Noire voterait en fonction de la tribu ou du clan. Mais il n’y a pas autant de partis ou de candidats qui représentent le nombre de tribus et clans du pays.
En Somalie, après une dictature, une guerre civile et plusieurs tentatives de réconciliation nationale, les nouveaux dirigeants politiques de l’ex-colonie italienne, sous la pression de ce qu’on appelle la communauté internationale, ont organisé d’abord des élections législatives et des élections présidentielles à l’étranger pour l’insécurité dans le pays.
En 2021, une crise politique a opposé l’ex-Président Mohamed Abdullahi, et le Premier ministre, Mohamed Hussein Robleh. Le président a suspendu ce dernier de ses pouvoirs exécutifs en septembre 2021 et de son portefeuille de Premier ministre en décembre 2021. Il est accusé par le président de corruption. De son côté, Mohamed Hussein Robleh accuse le président de préparer un coup d'État contre le gouvernement, la Constitution et les lois du pays. La fin du mandat présidentiel a été marquée par une crise politique.
Après un accord entre les différentes autorités régionales, les élections ont lieu le 15 mai 2022. Onze candidats se sont présentés se sont présentés à ces élections : Présidents de régions, anciens ambassadeurs, anciens ministres, anciens premiers ministres, anciens présidents du gouvernement fédéral. Il s'agit d'élections ouvertes à des personnalités qui n'ont pas le soutien d'un parti. Cependant, pour la première fois, une femme était candidate. C’est une ancienne vice-première ministre et ministre des Affaires étrangères (2012-2014), Fowsiyo Yusuf Haji Adan. Sa candidature est une manifestation d’un début de changement d’une société largement conservatrice.
Ce sont des candidats ayant une expérience de la gestion de l'État, dont beaucoup bénéficient du soutien des partis politiques et du vote régional.
Selon la loi électorale, le candidat qui obtient une majorité qualifiée des deux tiers du nombre total des membres du collège électoral, soit 219 voix au parlement, est élu président. Un troisième tour a donc été organisé pour les deux candidats ayant obtenu le plus de voix : le président sortant avec 83 voix (25,70 %) et l'ancien Président, Hassan Sheikh Mohamoud, avec 110 voix (34,06 %). Lors de ce tour, le candidat qui obtient au moins 50% des voix est proclamé président. Hassan Sheikh Mohamoud, avec 66,06% et 214 voix, a devancé son rival, qui a obtenu 39,95% et 110 voix.
Un processus électoral sous forte polarisation ethnique et de la violence
Comme d’autres pays africains, le Kenya est sorti d’un régime dictatorial en 1991 par l’instauration du multipartisme, sans la conviction politique de certains des dirigeants de l’installation d’un régime libéral où le facteur ethnique n’aurait pas son rôle dans les élections, surtout présidentielles. Cependant à la différence de certains d’Afrique de l’Ouest, il y a un respect du texte constitutionnel, les présidents kenyans n’ont pas révisé la loi fondamentale du pays pour se présenter à un troisième mandat.
Mais c’est un pays qui a une tradition de violence d’Etat et de violence privée. Elle aurait une origine coloniale, résultant de la politique coloniale de diviser pour régner. Il y a deux grands groupes qui s’opposent : les Kikuyu (20%) et les Luyia (14%). Le tribalisme est enraciné dans la société kenyane. Dans l’histoire politique récente du Kenya, la proclamation des élections est le plus souvent marquée par une vague de violence. En 2008, la contestation des résultats par le candidat de l’opposition, Raila Odinga ont entraîné des émeutes violentes dont environ 1.500 personnes sont mortes et des milliers de personnes sont déplacées par peur de la violence. Les élections opposaient le Président Mwai Kibaki et Raila Ondiga. Mwai Kibaki avait succédé à Daniel Arap Moi en 2002.
Les élections post-régime de parti unique constituent une épreuve difficile pour le gouvernement comme pour les candidats.es au Kenya. De l’extérieur, on s’intéresse beaucoup aux candidats au poste de Président de la République. Mais les élections présidentielles sont couplées avec des élections législatives, régionales et locales. Comme en Angola où la tête de liste du parti le plus voté devient président du pays. En termes économiques, c’est un système intéressant au moins cela allège le financement des élections. Au Kenya, derrière les candidats, celui du pouvoir et celui de l’opposition, ce sont des coalitions qui s’affrontent et une région occupe une place importante dans la stratégie des candidats et des coalitions : le Mont Kenya. C’est la terre sacrée des Kikuyu, l’ethnie la plus nombreuse en termes démographiques du pays. Une croyance dit que le Dieu réside dans le volcan au sommet enneigé. C’est une région fertile, mais un haut-lieu de l’héritage politique national. En effet, c’est ici qu’est né le mouvement de résistance des Mau Mau contre l’Empire colonial britannique. Il y a une forte conscience politique chez les habitants de cette région. Trois des quatre présidents du pays depuis son indépendance y sont originaires : Jomo Kenyatta, Mwai Kibaki, et Uhuru Kenyatta, fils de Jomo.
Le paysage politique kenyan est complexe. Les candidats à la présidence sont souvent accompagnés par des vice-présidents. Les partis et les coalitions sont d’abord des machines pour gagner des suffrages. Il y a toujours une recomposition des coalitions et au sein même d’une coalition. Le président sortant, Uhuru Kenyatta, supportait le candidat de l’opposition, Raila Odinga – qui se présentait pour la 5ème fois -. Il a été un concurrent de Kenyatta lors des dernières élections présidentielles. Les deux hommes se sont rapprochés pour apaiser le climat politique du pays. Sans doute, il y a eu un accord tacite entre eux pour les élections du 9 août dernier. Le Vice-président sortant, William Ruto était en fait un challenger dans ces élections.
A la différence de la Somalie, au Kenya, il y a un autre tour, celui de la contestation. Un tour où la violence s’exprime pleinement par la forte polarisation clanique de la société kenyane. Une violence attisée par les candidats. Mais la réaction de la proclamation des résultats de 2022 est différente de celles de 2017. Certes il y a eu la violence, des affrontements des groupes appuyant le candidat de l’opposition, il y a eu des morts, mais moins qu’en 2008.
Aussi contradictoire que cela puisse paraître, au Kenya la violence verbale et parfois physique précède le recours légal à la Cour Suprême pour un ou plusieurs candidats. En 2022, la violence a pu être contrôlée. Le candidat de l’opposition avait contesté les résultats des élections, proclamés par la Commission Electorale ; il a fait un recours à la Cour Suprême. Celle-ci a rejeté son recours. Raila Ondiga avait clairement dit ne pas partager l’opinion des juges de cette cour, mais accepte sa décision. Ses partisans, massés devant la Cour, n’ont pas réagi violemment à la décision de l’institution judiciaire suprême.
Le Kenya et la Somalie sont membres de l’organisation régionale Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD). Mais celle-ci n’a pas de compétence pour intervenir dans les crises politiques graves de ses membres comme le fait la CEDEAO. Cette dernière est plus qu’une organisation régionale d’intégration économique et commerciale. Au cours du temps, elle s’est dotée de mécanismes en matière de gouvernance et d’élection prévenant théoriquement les problèmes politiques de ses membres et d’aider les pays en crise.
Vers un changement de l’action politique et du vote
La Somalie, pays en reconstruction, après la fin brutale d’un régime militaire autoritaire et une période d’inexistence d’institutions étatiques et d’un pouvoir central, a donné un exemple quant au consensus sur la compétition électorale. Le président sortant n’a pas contesté les résultats. Il pourrait soulever la corruption des députés. La passation du pouvoir entre le président sortant et le président élu a eu lieu dans le respect constitutionnel. C’est une attitude qui renforce les institutions législative et présidentielle, les deux acteurs principaux de la compétition électorale. Par ailleurs cette marque l’esprit d’ouverture de l’espace politique somalien. Sans que le conservatisme de la société somalienne, les femmes peuvent se présenter aux élections présidentielles. L’organisation et la proclamation de ces élections reposent sur un climat qui offre une image apaisée de la lutte pour le pouvoir suprême.
Quant au Kenya, pour la première fois, un candidat à la présidence avait comme Vice-présidente une femme. C’est un pays où les femmes sont sous-représentées dans la politique. Par les élections d’aout, le pays a surmonté l’esprit conflictuel postélectoral. Là aussi le consensus d’une classe politique l’a emporté sur la violence comme expression politique. Le candidat de l’opposition a accepté la décision de la Cour Suprême, même s’il ne partage l’opinion émise par les juges de cette cour.
A la différence des pays d’Afrique francophone, les dirigeants Kenyans n’ont jamais révisé la constitution pour se présenter à un troisième.
Par Bahdon Abdillahi Mohamed