Le mardi 9 novembre 2021, la France a officiellement restitué au Bénin quelque 26 œuvres des trésors royaux d’Abomey de son butin de guerre après la conquête du Royaume du Danxomè (Dahomey) par le Général Alfred Dodds en1892. C’est un premier pas, et il n’y a pas de raison que les autres objets estampillés « butin de guerre » ne soient pas restitués.
Ce premier pas n’a été possible que grâce à une loi d’exception votée en décembre 2020 et qui a permis une dérogation exceptionnelle au principe d’« inaliénabilité » des œuvres dans les collections publiques françaises, en e que celles-ci furent l’objet de pillages caractérisés. Toutefois, la restitution faite par l’Etat français des œuvres en question à l’Etat du Bénin n’est ni la première vis-à-vis d’un Etat africain. Quand bien même elle s’inscrit dans une dynamique favorisée par une volonté de décrispation de part et d’autre de l’Atlantique d’une douloureuse mais non moins ineffaçable Histoire inhérente à l’esclavage et à la colonisation des peuples d’Afrique Noire en particulier.
« L’Afrique a besoin de cette connaissance de soi. Elle doit se redéfinir autour de ce patrimoine qui ne lui est jusqu’à présent que trop peu accessible », déclarait l’homme d’affaires d’origine congolaise, Sindika Dokolo, et par ailleurs mari d’Isabelle dos Santos, la fille de l’ancien Président angolais José Eduardo dos Santos. La probité voudrait qu’on reconnaisse qu’il fut le premier en Afrique à œuvrer depuis 2015 à la restitution des œuvres volées à l’Afrique. Grâce à la Fondation Sindika Dokolo qu’il a créée, il a ainsi réussi au passage le jeudi 7 juin 2018 à Bruxelles à faire restituer officiellement des trésors au gouvernement angolais, représenté par son Ambassadeur en Belgique et par la directrice des Archives nationales. Lesquels étaient constitués de deux masques, une chaise, un tabouret, une pipe et une coupe de facture Chokwe ou Shinji qui ont retrouvé leurs places au sein des collections nationales du Musée de Dundo, d’où ils avaient été volés pendant la guerre civile angolaise, puis revendus en Europe.
Vers la fin février 2020, Sirak Asfaw, ancien réfugié éthiopien à Rotterdam au Pays-Bas, avait ainsi remis au Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed une couronne datant du 18e siècle qu’il avait caché pendant plus de 20 ans dans son appartement, après en avoir pris possession. Grâce à l’aide d’un expert d’art néerlandais, Arthus Brandla et à la mobilisation sans tambours ni trompettes du gouvernement néerlandais. Ladite couronne faite avec des gravures représentant Jésus-Christ et ses apôtres et ornée de cuivre doré, fut la propriété de Ras Welde Sellase, l'un des plus puissants chefs de guerre éthiopien du 18e siècle qui l’avait offert à une Eglise non loin de la ville de Mekele, dans le Nord du pays.
Le brillant et extraordinaire Royaume du Bénin, situé au Nigeria actuel, a vu des milliers de ses sculptures en métal et en ivoire pillées par les forces britanniques en 1897 lors du sac de Benin-City, la capitale dudit Royaume. Elles ont ensuite disparu certaines dans de nombreuses collections privées, après leur mise en vente aux enchères au Royaume-Uni. Ainsi l’une des sculptures représentant la tête en bronze d’un Oba (Roi) vendue en 1957 à l'Université d'Aberdeen a été restituée au Nigeria. « Il n'aurait pas été juste de conserver un objet d'une telle importance culturelle qui a été acquis dans des circonstances aussi répréhensibles. Nous avons donc décidé qu'un retour inconditionnel était la mesure la plus opportune », a déclaré le Professeur George Boyne, président de l'Université d'Aberdeen.
A en croire les spécialistes, près de 85 % à 90 % des œuvres d’art du patrimoine africain reste encore hors du continent et principalement dans les collections publiques des anciennes puissances colonisatrices. Une situation qui a créé un mouvement du retour à l’échelle du continent depuis 2019, et qui a déjà vu prendre le chemin du retour en Afrique plusieurs chefs-d’œuvre. C’est le cas du Nigeria. Hormis le Bénin, plusieurs autres pays du continent ont officiellement formulé des demandes de restitution à l’instar du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, de l’Ethiopie, du Tchad, du Mali, de Madagascar pour ne citer que ceux-là.
L’Afrique Noire doit regarder vers l’Avenir en s’évertuant, autant que faire se peut par le dialogue, a récupéré son patrimoine jadis volé par ceux qui, pourtant, n’avaient de cesse de toiser les cultures auxquelles appartenaient tous ces trésors, dont certains étaient parfois des chefs-d'œuvre de classe exceptionnelle. Il est certes fort louable de se battre afin de récupérer tous les trésors qui ont été volés au continent africain. Encore faudrait-il déjà sauvegarder ce qui est en péril et qui nécessite des efforts plus urgents pour le conserver pour les générations futures. C’est le cas par exemple - parmi tant d’autres en péril - du Site de Datawory, dernier témoin de l’une des plus longues résistances africaines menée par Kaba dans le département de l’Atacora, au Nord-Ouest du Bénin. Mis à part sa valeur historique exceptionnelle sur l’Histoire de la colonisation au Bénin et en Afrique de l’Ouest, le site aurait dû être un chantier de fouille archéologique depuis bien des années. Malheureusement, il n’en a rien été et la dégradation se perpétue.
Quand çà et là en Afrique de nombreux sites touristiques ou historiques sont exposés à longueur d’années aux intempéries et aux pillages du premier venu, on est en droit de se demander si l’objectif de ce mouvement de retour des trésors pillés à l’Afrique Noire n’a pas un caractère beaucoup plus symbolique et éminemment politique que celui d’une véritable prise de conscience de l’importance de son patrimoine et de l’urgence de s’en préoccuper, de le sauver, et surtout de le promouvoir.
On ne réécrit pas l’Histoire, elle s’écrit, une fois, et une bonne fois pour toutes. Et une fois qu’elle est écrite, on peut la falsifier, la corriger, l’occulter ou en tenir plus ou moins compte. C’est selon ! Mais quoi qu’il en soit, ce qui est passé s’est passé. Et le temps passé ne revient jamais, du moins pas exactement de la même façon dans le même cadre spatio-temporel. C’est le propre de toute existence. On ne peut rien n’y faire. Nul ne peut changer son passé. Seul sur l’avenir, on peut agir. Et c’est cela l’enjeu le plus important pour les protagonistes du passé ou du présent qui peuvent être potentiellement des artisans du futur. L’Afrique Noire doit savoir regarder à présent son Histoire en face : la dépoussiérer des contre-vérités et autres mésinterprétations datant de l’époque coloniale et non pas la réécrire en l’enjolivant complaisamment. Mais hélas, ils ne sont pas légion les Etats qui se sont déjà attelés à cette tâche qui en vaut manifestement la peine. C’est le moins que l’on puisse en dire.
By Marcus Boni Teiga