Membre de l'Union nationale des jeunes du Mali, un mouvement de jeunes proches du Général Moussa Traoré, le dictateur qui a fait massacrer des centaines de jeunes maliens au début des années 1990, Choguel Kokalla Maïga ne s’en cache pas. Pas plus qu’il ne cache pas son inclination pour la Russie où il a fait ses études universitaires face aux nouveaux enjeux géopolitiques auxquels l’Afrique doit dorénavant faire face.
Au début des années 1990, plusieurs mouvements, en l’occurrence l’Alliance pour la démocratie au Mali (ADEMA), le Comité national d’initiatives démocratiques (CNID), l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM), l’Association des diplômés initiateurs et demandeurs d’emplois (ADIDE) ont marché dans les rues de Bamako et de plusieurs villes du pays pour réclamer le multipartisme et la démocratie. A cette occasion, on pouvait lire dans l’un des documents de l’ADEMA : « divers dans ses opinions et croyances, multiples dans ses inspirations politiques et idéologiques, mais unifiés dans ses revendications de libertés publiques et individuelles, le mouvement en cours proclame les vertus de la démocratie pluraliste et réclame l’instauration du multipartisme au Mali ». Sans chercher à entamer un dialogue, le régime du Général Moussa Traoré sort des blindés contre les manifestants. Les militants et sympathisants de l’opposition s’en sont alors pris aux magasins d’Etat ainsi qu’aux propriétés des barons et proches de l’épouse du Président de la République, la très influente Mariam Traoré.
Les manifestations des 22, 23 et 24 mars auxquelles l’armée réplique en tirant à vue sur les manifestants constituent des événements sans précédent dans l’histoire de toute l’Afrique de l’Ouest. Pendant la seule journée du 22 mars, plus d’une centaine de personnes furent tuées. Le 24 mars, les Africains de France signent une pétition contre cette boucherie humaine. Ainsi, écrivent-ils dans un « Manifeste africain pour le Mali » : « Africains résidant en Europe, venus de tous les horizons de notre continent, solidaires dans la diversité de nos cultures, nous tenons à exprimer de la manière la plus vigoureuse notre horreur mais aussi notre honte devant une telle infamie délibérée, sans précédent ».
L’Afrique entière se souvient des conditions dans lesquelles le dictateur Moussa Traoré a été renversé. Par un coup d’Etat mené alors sous la houlette du Colonel Amadou Toumani Touré, dit ATT. A la suite des marches et des grèves en faveur de la démocratie lancées par l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM) et bien d’autres mouvements associatifs entamées en décembre 1990, le régime a fini par tomber. A cette époque, l’actuel Premier ministre de la Transition au Mali, Choguel Maïga, était déjà aux côtés du Général Moussa Traoré et de son Union démocratique du peuple malien (UDPM), parti au pouvoir, en tant que membre de la jeunesse du parti.
De son vrai nom Chouaïbou Issoufi Souleymane, Dr. Choguel Kokalla Maïga est né en 1958 à Tabango dans le Cercle d'Ansongo et dans la Région de Gao au Nord du Mali. Il est décrit comme ayant toujours été un brillant élève à son époque. Il débute ses études de 1963 à 1974, en fréquentant respectivement les Ecoles fondamentales de Tabango et de Bara (Cercle d’Ansongo) comme un brillant élève. Et de 1974 à 1977, il intègre le Lycée Technique de Bamako, dans la capitale du pays. Il en sort major de sa promotion en série «Mathématiques Techniques et Industrielles (MTI). Dans les années qui suivent les indépendances de 1960 en Afrique francophone, la plupart des pays africains dirigés par des militaires sont plutôt proches de l’ex-Union des républiques socialistes soviétiques (URSS). C’est ainsi qu’il se retrouve parmi ceux que ces différents pays envoient comme boursiers au pays de Lénine. Il fait partie des plus prometteurs de son pays. Nanti d’un BAC technique, il poursuit de ses études 1977 à 1988 à l’Université d’Etat de Biélorussie et à l’Institut des Télécommunications de Moscou en ex-URSS. Il obtient d’abord le diplôme d’Ingénieur des Télécommunications, avec la mention « Excellent » et les « Félicitations » du jury. A la fin des années 1980, quand il revient au Mali, il est titulaire d’un diplôme d'Ingénieur en Télécommunications. Mais en 1987, il fait une thèse de Doctorat d’Etat en Télécommunications dans le cadre de ses études postuniversitaires.
Nous sommes encore à l’époque, dans la plupart des pays anciennement colonies de la France, dans des systèmes de partis uniques. Il rejoint la mouvance au pouvoir de Moussa Traoré qui dirige le pays de 1968-1991. Jusqu’au moment où il sera déposé par le Colonel Amadou Toumani Touré alias ATT. Et la Transition qui s’ensuivra verra le couronnement à la présidence de la République du Professeur Alpha Oumar Konaré (1992-2002). En 2002, à l’avènement du Président Amadou Toumani Touré, dit ATT, qui revient au pouvoir cette fois-ci par les urnes, Choguel Maïga est encore à ses côtés. Et il devient son ministre de l'Industrie et du Commerce. Quand il a été renversé par le coup d’Etat du Capitaine Amadou Haya Sanogo en 2012, le même Choguel Maïga va se repositionner à la suite de la Transition menée par le Président par intérim Diouncounda Traoré (2012-2013). Il rejoint alors en 2015 Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) qui est élu démocratiquement Président du Mali après l’intermède des putschistes et la Transition dirigée par le Président par intérim. Il devient le ministre de l'Économie numérique, de l’Information et de la Communication du Président IBK. A la chute de ce dernier, il ira s’atteler au Mouvement du 5-Juin/Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), une coalition hétéroclite d'opposants politiques, de chefs religieux et de membres de la Société civile. Laquelle a fini par avoir raison du régime du Président Ibrahim Boubacar Keïta. Tant elle a conduit le Colonel Asimi Goita, avec certains de ses frères d’armes, à renverser ledit régime le 18 août 2020.
Choguel Kokalla Maïga n’est donc pas un nom inconnu des Maliens. Loin s’en faut. Il est le président du Mouvement patriotique pour le Renouveau (MPR). Considéré comme un grand opportuniste ou un mangeur à tous les râteliers par les uns et un grand tacticien politique par les autres, il a été candidat aux élections présidentielles de 2002, de 2013 et de 2018. Mais à chaque élection si son score n’a jamais frôlé les 4% de l’électorat, l’homme que l’on qualifie d’animal politique sait toujours retomber sur ses pattes, pour ainsi dire.
Communément appelé Choguel, sa biographie officielle indique ceci : « issu d’une famille qui s’occupe de politique depuis plusieurs générations. En effet, le tarikh de cette famille, pieusement conservé et régulièrement mis à jour ainsi que les témoignages vivants attestent qu’il descend du fondateur de l’empire songhoï, Soni Ali Ber et qu’il appartient à la seizième génération descendant de cet homme d’Etat exceptionnel. Du XVè siècle à ce jour, sa famille a constamment joué un rôle majeur à toutes les phases de l’histoire politique du peuple malien. C’est ainsi que la résistance contre la pénétration coloniale a créé des liens particuliers très forts entre Firhoun, l’amenokal des Touaregs Oulliminden et Hamida Lély, l’un de ses ancêtres et fondateur de Tabango, son village natal. Ces liens tissés dans l’épreuve sont, encore de nos jours, entretenus par les familles des descendants des deux hommes qui se considèrent comme des frères de sang. Pendant la lutte de libération nationale menée par les partis politiques dans les années quarante du siècle dernier, les membres de sa famille, de Tabango à Gao en passant par Tacharane, Gargouna et Bara, ont milité activement, qui dans le PSP qui dans l’US-RDA ».
Ce n’est pas seulement avec l’avènement au pouvoir des Colonels au Mali dirigés par le Colonel Assimi Goïta que « Choguel » s’illustre sur la scène nationale mais bien avant. Car, qu’on l’aime ou qu’on l’aime pas, « Choguel » a l’expérience politique et le verbe toujours tranché. Surtout quand il a des objectifs. Quitte même à trop tirer sur la corde du populisme pour atteindre ses objectifs. Comme lorsqu’en tant que Premier ministre de la Transition la résurgence de son penchant russophone et notamment au profit des mercenaires de Wagner lui fait déverser des diatribes à l’égard de la France. À la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies, le samedi 25 septembre 2021, le Premier ministre Choguel Maïga a accusé sans ambages la France d’avoir abandonné le Mali en déclarant : « La nouvelle situation née de la fin de Barkhane plaçant le Mali devant le fait accompli et l'exposant à une espèce d'abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome avec d'autres partenaires de manière à combler le vide que ne manquera pas de créer la fermeture certaines emprises de Barkhane dans le Nord du Mali ».
Face aux tergiversations de la junte militaire au pouvoir à Bamako à observer les mutations politiques nécessaires et à proposer un calendrier raisonnable d’un retour à l’ordre constitutionnel normal au Mali, le Premier ministre et les partisans du Colonel Assimi Goïta qui préside la Transition ont la propension à ne pas respecter les injonctions de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Quitte à verser dans la surenchère souverainiste et panafricaniste. Au prix de moult économies de vérités ou de demi-vérités.
Et Madiambal Diagne, journaliste et chroniqueur sénégalais d’écrire dans un article intitulé « Ce que Macky Sall a fait pour Assimi Goïta » Les bombes ne tomberont pas sur Bamako… »: « Il reste que c’est le lieu de se demander quelle est la cohérence d’accuser la Cedeao, dirigée par Nana Akufo Addo (Ghana), d’être à la solde de la France, quand on sait que le Ghana et le Nigeria avaient eu tous les «mérites» pour avoir été les porte-étendards d’un refus d’une prétendue domination française en Afrique de l’Ouest, par le truchement du franc Cfa ou de l’Eco ? Quel respect exprime-t-on à soi-même et à l’Afrique quand on voudrait considérer que le Nigeria, le Ghana, le Cap-Vert, la Sierre Leone, le Liberia, la Gambie, la Guinée-Bissau, seraient tous «des moutons de Paris», comme le seraient déjà les anciennes colonies françaises (Sénégal, Côte d’Ivoire, Niger, Burkina Faso, Bénin et Togo) ?
D’ailleurs anti-impérialisme pour anti-impérialisme, quelle est la logique de déclarer refuser une certaine influence de la France et accepter une autre influence, celle de la Russie ? Si la Cedeao agissait sous l’influence d’une puissance étrangère, il est devenu manifeste que le régime des putschistes maliens suit la feuille de route fixée par Moscou. La Russie a pris ses quartiers à Bamako et Assimi Goïta agit sous la dictée de l’ambassadeur Igor Gromyko, qui a fini de prendre ses aises. A leur corps défendant, les autorités de la Cedeao ont tout tenté auprès de la junte, pour éviter d’en arriver à la situation de devoir renforcer les sanctions contre le Mali. L’ancien Président nigérian, Goodluck Jonathan, a été envoyé plusieurs fois auprès de la junte, et de nombreux autres contacts parallèles ont été entrepris avec les militaires de Bamako ».
Au Mali, l’appel des mercenaires russes de Wagner n’a été, en définitive, mue par rien d’autre qu’une stratégie des dirigeants de la Transition à vouloir se maintenir et durer au pouvoir. Et cela n’est possible qu’en se détournant de la France sous le fallacieux prétexte de sa collusion avec les Jihadistes ou encore les rebelles Touareg et tutti quanti... Il y a quelque chose d’illogique pour ne pas dire d’ubuesque à parler de Panafricanisme et de Souveraineté en demandant à la France de quitter son territoire pour des raisons de souveraineté, tout en invitant une autre puissance étrangère à s’y installer. En faisant s’emboucher cette trompette à une opinion publique largement alimentée de « Fake News » de réseaux sociaux et de manipulations. Les partisans de la junte militaire au pouvoir peuvent toujours gloser ou répandre leur logorrhée hérissée de critiques acerbes et irréfléchies contre la France, voire de haine pure et simple, n’eût été son intervention in extremis tous les dirigeants actuels du Mali seraient soit en fuite soit sous le coup de la Charia de la Police islamique des groupes terroristes.
Choguel Maïga, le Premier ministre de la Transition que dirige le Président Assimi Goïta après son double coup d’Etat au Mali a fait ses études d’Ingénieur à l’Institut des télécommunications de Moscou. Cela n’est pas un secret mais en dit long aussi peut-être sur son attachement à Wagner et à la Russie. Mais cet ancien proche du Général Moussa Traoré déchu en 1991 qui n’a de cesse de vouer la France aux gémonies est, comme dirait Tiébilé Dramé, le président du Parti pour la renaissance nationale (PARENA), un « partisan de la dictature ». On est bien tenté de croire que son rapprochement ou son alliance avec la Russie s’inscrit dans la grande tactique politique dont on le crédite et cela dans la seule optique de garantir une assurance-vie au régime actuel au-delà de la Transition. Et cette réalité sous-jacente ne saurait donc être occultée, tout compte fait.
Par Abdul Yazid