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TRIBUNE/TCHAD : Lever les équivoques, malentendus et agendas cachés ou s’affronter ?

Enoch DJONDANG

Nous voici arrivés au carrefour prévisible de la confusion générale pour la situation de notre pays ! Des lectures totalement différentes des mêmes réalités vécues, comme si chacun cherche les faveurs de gourous et parrains extérieurs pour valider sa copie ?

1)    le DNIS peut valablement se tenir le 10 mai prochain au Tchad :

C'est la thèse du CMT/MPS. Elle est soutenable dans la mesure où la logique de départ visée au préambule de la charte actuelle de transition reconnaît la victoire du MIDI aux dernières élections. Donc, ce qu'on appelle transition est juste un passage nécessaire pour un retour à ce sixième mandat, avec un "héritier légitime" en rodage pour bien s'approprier les méthodes connues de gouvernance et préserver les acquis. Pour le décor et la consommation de l'UA, l'UE et des nations unies, les organes classiques de la transition sont en place. Il reste juste à les renforcer en débauchant quelques opposants civils et politico-militaires pour démontrer que le pouvoir est vraiment le seul garant de l'unité et de la stabilité du pays. Les pré dialogues, y compris Doha et le DNI, sont conçus et orientés dans ce sens! Le format du DNI ne pose pas de problème, puisque la CODNI s'est déjà chargé de "consulter" tout le monde, faire ses synthèses et rapports. Comme un grand séminaire, les participants au DNI n'auront juste qu'à valider ces documents et s'entendre sur un calendrier électoral ! La multitude des coalitions créés pour la circonstance, par acclamations, mettront en minorité les téméraires qui tenteront de poser les problèmes autrement. L'expertise en la matière est parfaitement maîtrisée et chacun sait son rôle à l'avance et les profits à tirer au final. Que quelques têtes brûlées refusent de jouer le jeu, ils seront écrasés sans trop de difficultés, comme d'habitude par les moyens de pression y compris répressives et militaires. Quoi de plus normal que les promesses se multiplient déjà en pré campagne, puisque tout baigne pour le système en place !

2)    À l'opposé les récalcitrants de tous bords qui demandent un report du DNIS :

Certains politico-militaires et forces vives radicales de l'intérieur voient les choses autrement. D'abord le manque de légitimité du CMT considéré comme une junte putschistes : pour arranger les choses, ils exigent une modification de la charte de transition qui devrait mentionner clairement les verrous de non-participation des tenants du pouvoir aux futures élections, ainsi que le caractère souverain et exécutoire du DNIS. Certains vont plus loin en liant étroitement la réforme des FDS concomitamment avec la dissolution des groupes armés rebelles. Bien plus encore, les menaces croissantes sur le vivre ensemble des tchadiens a développé la mouvance fédéraliste qui s'affirme ouvertement même parmi les élites du grand Nord ! Une charte de transition, sur le modèle soudanais, avait été proposée à Genève par une coalition hybride des oppositions intérieures et extérieures, civils et militaro-politiques, laissant entrevoir la possibilité de renverser violemment le CMT si nécessaire, au nom du salut public. Pour ceux-là, la transition n'a pas encore réellement commencée ! Certains politico-militaires se contenteraient bien de butins alléchants en faisant les alliances de circonstances, tandis que d'autres ne s'en contenteront pas tant que le pouvoir serait à portée de leurs canons. Tout ceci est bien touffu et confus !

3)    Sur le front social et communautaire, la dislocation des bases du vivre ensemble des tchadiens fait son chemin.

Les frustrations des couches pauvres spoliées de leurs domaines et biens vitaux, augmentent les proportions de l'électorat hostile au pouvoir. La dénaturation de la Territoriale se compense par la montée du communautarisme, en prélude à la refondation d'un État qui ne sera plus unitaire de toute évidence ! Les contentieux liés aux contrats de travail et aux licenciements massifs voire abusifs, plongent de nombreuses familles dans la précarité et sources d'insécurité et de violences pour la survie quotidienne. Quant à la jeunesse, no comment ! Face à ce tableau, l'offre officielle semble trop faible et illusoire, retardant tout juste le moment de la grande explosion sociale incontrôlable. Cependant, comme le MIDI avait réussi à l'éviter pendant 30 ans de règne, d'aucuns croient y parvenir avec les mêmes méthodes dans des temps différents !

4)    La perception et la capacité des parrains pour éviter le chaos 

Apparemment, les parrains extérieurs continuent d'apprécier la situation globale du Tchad avec des prismes périmés. Croyant plus à leurs poulains tchadiens que faisant l'effort d'une lecture plus approfondie vers ce qu'ils ont souvent ignorés, ils risquent de se faire prendre eux-mêmes dans l'emballement de cet engrenage à tout moment, même si les tchadiens en paieront chèrement les factures amères et sanglants ! Comment, sans changer de vision et méthodes, les intérêts français pourraient être préservés durablement dans un contexte de précarité persistante où l'on croit tout garantir par la seule force des armes ? Comment exploiter les richesses d'un pays menacé d'implosion et situé de telle sorte de faire déborder son instabilité sur le voisinage également menacé et vice versa ? Comment continuer de soutenir une gouvernance qui ne serait pas inclusive, représentative et répondant pas aux besoins minimum de la population en termes de justice, d'égalité et de dynamiques productrices ? Si un minimum de réformes et de rééquilibrages FONDAMENTAUX ne sont pas encouragées et soutenues par les partenaires et les parrains extérieurs, sur quoi déboucherait cette transition insolite après les soutiens apportés à l'aveuglette ? 

5)    Le nouveau contexte géopolitique du Tchad, à tenir compte :

Il est temps de comprendre ceci :

  • malgré les faiblesses récurrentes et le manque de patriotisme de ses élites, le Tchad a une position géostratégique et une destinée unique qui devrait l'assimiler à une sorte de Suisse au coeur du continent ;
  • qu'aucune puissance ne peut prétendre en faire sa chasse-gardée ou son porte-char, malgré le contrôle d'une partie des élites car c'est l'un des rares pays francophones où, ironie des guerres chroniques, les élites ont été formées sur tous les plateaux mondiaux ! La preuve : pendant que le gouvernement vote contre la Russie, les cadres russophones vont ouvertement soutenir la Russie à son ambassade locale !
  • Le Tchad n'a aucun intérêt à soutenir directement ou indirectement des velléités de déstabilisation de pays voisins car il sera perdant, à cause de son enclavement et de la porosité des frontières. 
  • C'est au Tchad qu'on doit accepter l'émergence d'un vrai État de droit démocratique, stable et économiquement prospère, ce qui n'est possible que par une diversification des partenariats gagnants-gagnants! Ceci est plus difficile à comprendre par les puissances étrangères concurrentes que par les tchadiens eux-mêmes qui n'ont aucun projet ou rêve commun officiel connus à nos jours !
  • Il faut apprécier alors le caractère atypique de notre pays qui est le seul à faire du business de la lutte armée depuis plus de 50 ans, offrant eux-mêmes leur patrimoine national au pillage et à l'appauvrissement cycliques !
  • Les élites tchadiennes devront se désintoxiquer de l'apologie de la violence qu'elles traînent encore comme une tare collective les empêchant d'user des multiples vertus du dialogue franc et direct. Car le dialogue n'est pas un objectif mais un état d'esprit, et un moyen de gestion des relations sociales et de règlement des conflits !

Par Enoch DJONDANG 
Alumni de Clingendael International Institut de La Haye
Ancien coordonnateur point focal du G5 Sahel Tchad 
Ancien Membre du Gouvernement 
Administrateur-Juriste

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