Il y a quelques jours, M. Jean Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères a accordé une interview à Radio France Internationale que l’on peut retrouver dans son intégralité sur le site de cette radio. Une des questions qui lui avait été posée est celle-ci : « Est-ce qu’il y a un risque de famine dans certains pays du sud, avec la perturbation très grave du marché des céréales ? Et que peut faire la France pour empêcher la famine ? » La réponse du ministre français a été la suivante : « il y a une crainte majeure sur la sécurité alimentaire dans certains pays, je pense aux pays du Moyen Orient, et de l’Afrique en particulier, d’où l’initiative qu’a prise le Président de la République lors de la réunion du G7 à Bruxelles qui s’appelle « opération Farm » qui consiste à prendre des initiatives dans trois domaines différents. » Et M. Le Drian détailla par la suite « l’opération Farm » concoctée par son président.
En principe on devrait féliciter le président français pour avoir pensé aux pays africains qui risquent effectivement de souffrir dans leurs approvisionnements en céréales à la suite de la guerre en Ukraine. Cela part d’un bon sentiment qui honore la France. Dès qu’elle a compris que la guerre en Ukraine aurait des conséquences désastreuses pour les pays africains qui sont pour la plupart ses amis, elle s’est dite qu’il fallait faire quelque chose pour les aider. Mais je crois malheureusement que c’est ce genre d’initiatives qui crée des malentendus entre certaines autorités françaises et une partie de l’opinion africaine. Aujourd’hui la guerre entre la Russie et l’Ukraine impacte tous les pays du monde à des degrés divers, notamment pour ce qui concerne les approvisionnements en pétrole, en gaz et en céréales. Oui, il y a effectivement des risques de famine dans plusieurs pays africains, surtout ceux qui se sont rendus totalement dépendants pour leur alimentation des céréales russes ou ukrainiennes. Chaque pays, ou chaque groupe de pays cherche les solutions là où il peut les trouver. Et la France vient de proposer des solutions aux pays africains. A-t-elle été mandatée par les pays africains pour leur trouver des solutions ? L’a-t-elle fait en concertation avec eux ? Les pays africains ne sont-ils pas capables de réfléchir par eux-mêmes pour trouver des solutions à cette crise alimentaire qui s’annonce ?
Je crois que la France a estimé tout simplement, et tout naturellement, que c’est encore une fois de son devoir d’ancienne puissance colonisatrice, de porter le fardeau des pays africains. C’est elle, la France, qui doit trouver solution aux problèmes des pays africains, comme elle l’a toujours fait, et pour cela, elle ne songe pas une seule seconde à demander leur avis. Les autorités françaises ne réalisent pas que cette façon de déresponsabiliser les pays africains irrite de plus en plus une partie de l’opinion africaine qui estime qu’elle est majeure maintenant, et cela contribue à agrandir le fossé qui commence à se creuser entre la France et une partie de l’Afrique. Chers amis Français, si les pays africains doivent affronter des pénuries du fait de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, laissez les responsables des pays africains chercher les solutions comme des personnes matures. Si ces pays doivent mendier ou s’endetter auprès de vous, vendre une partie de leurs patrimoines, demander à leurs populations de sauter des repas, de se serrer la ceinture, laissez-les se débrouiller, laissez-les décider eux-mêmes. Arrêtez de vouloir porter notre fardeau à notre place. Si les Africains ne sont pas capables de se tenir debout, laissez-les tomber. S’ils n’arrivent vraiment pas à se relever, alors, aidez-les, mais ne vous inquiétez pas avant eux de leur éventuelle chute. Seulement, ne les empêchez pas de se tenir debout. Français, parce que vous êtes nos amis, vous pouvez nous aider. Mais s’il vous plait, laissez-nous décider nous-mêmes si nous avons besoin de votre aide ou non.
Les pays africains de leur côté devraient faire l’effort de refuser désormais d’être infantilisés, et d’attendre que ce soit toujours à d’autres de résoudre leurs problèmes. Ça ne vous fatigue pas d’être éternellement traités comme des enfants, incapables de se prendre en charge et à qui on doit toujours venir en aide, même quand vous ne demandez rien ? Ayant confiance en mon intelligence et en celles de mes semblables Africains, je reste persuadé que le jour où nous chercherons nous-mêmes des solutions pour affronter les défis auxquels nous devons faire face, nous les trouverons. L’Afrique peut se nourrir sans le blé ukrainien ou russe ou français ou américain. Ses terres sont suffisamment fertiles pour produire tout ce qu’il faut pour nourrir toute sa population. C’est à cette population de choisir maintenant entre se nourrir ou produire uniquement ce dont les autres ont besoin. Les peuples africains n’existent pas seulement depuis les années soixante, ils ne sont pas non plus des créations des colons européens. Ils existent depuis que l’homme est sur cette terre et ils ont réussi à faire face à tous les défis de l’humanité. Il n’y a pas de raison qu’aujourd’hui ils en soient réduits à être biberonnés comme des bébés, ou à attendre qu’on leur donne la becquée comme à des oisillons. Africain, lève-toi et porte toi-même ton fardeau. Et si tu tombes, bats-toi pour te relever. Tu y arriveras. Les autres peuples auprès de qui tu mendies sont tombés mille fois et mille fois ils se sont relevés en ayant tiré les leçons de leur chute.
Par Venance Konan