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BURKINA FASO : Deux investitures, un seul Président

Investiture en tant que Président du Burkina Faso du Lieutenant-Colonel Damiba.

La junte militaire qui a pris le pouvoir au Burkina Faso à la suite du coup d’Etat du 24 janvier 2022 contre le Président Roch Kaboré a dévoilé son calendrier de retour à un ordre constitutionnel normal. En concertation avec les différentes composantes nationales. Après une première investiture au pas de charge par le Conseil constitutionnel, une nouvelle investiture de son chef, le Lieutenant-Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a eu lieu le 2 mars dernier à la suite de l’adoption de la Charte qui prévoit une Transition de trois ans. Contrairement à deux ans et demi que la Commission mise en place à cet effet avait proposée.

Conformément aux textes des Etats membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’institution sous-régionale a suspendu le Burkina Faso au lendemain du coup d’Etat du 24 janvier 2022 qui a renversé le régime du Président Roch Marc Christian Kaboré. En attendant de savoir dans quelle direction les nouveaux maîtres du pays ont l’intention de le conduire.

Dans la foulée des décisions prises par la junte militaire dénommée Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), il ne s’est pas seulement agi de se faire investir au pas de charge le Lieutenant-Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba en tant que Président du Burkina Faso le 16 février 2022. Il y a eu également une série de mesures relatives au remplacement ou à l’installation de nouveaux chefs militaires tant au niveau régional que national.

Si beaucoup d’observateurs et d’analystes étrangers ont soupçonné l’ombre de Moscou derrière ce nouveau coup d’Etat après celui du Mali et de la Guinée, le Lieutenant-Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba s’est voulu rassurant dans son premier discours en ces termes : « En ces moments difficiles, notre pays n’a pas été abandonné par ses partenaires. C’est l’occasion pour moi de remercier la communauté internationale pour tous les efforts consentis pour accompagner le Burkina Faso. Je voudrais également saluer la présence à cette cérémonie des représentants des organisations sous régionales, régionales et internationales. Dans la logique de sa tradition d’ouverture, le Burkina Faso réitère sa disponibilité à travailler en toute souveraineté avec tous les partenaires dans le respect mutuel ». Sans que l’on sache pour autant si le message du nouveau locataire du Palais de Kosyam a vraiment convaincu.

Pour l’heure, le MPSR a voulu donner des gages non seulement à la CEDEAO mais aussi à ses partenaires étrangers. Fort de l’expérience du bras de fer qui a opposé l’organisation sous-régionale au Mali voisin sur la durée de la Transition voulue par la junte malienne et son avec les mercenaires russes de Wagner. Aussi, le MPSR a-t-il entamé des concertations avec les partis politiques et les partenaires sociaux au plan national et mis en place une Commission à charge de produire dans un délai de 15 jours une proposition de Charte de la Transition et d’une Charte des Valeurs. Objectifs fixés à ladite Commission : réfléchir sur la restauration de l'intégrité du territoire, la consolidation de la paix pour un retour des déplacés, la bonne gouvernance, le retour à un ordre constitutionnel nouveau.

Une Charte de la Transition très critiquée
Composée pour une large part de  civils, parmi lesquels l’on peut noter des juristes, des sociologues, des économistes, des officiers, ils ont remis leur rapport contenant leurs propositions au Président Paul Henri Sandaogo Damiba. La durée proposée pour la Transition vers un retour à un régime civil démocratiquement élu a été fixée à deux ans et demi, entre autres.

L’institut Free Afrik n’a pas manqué de réagir immédiatement à cette Charte de la Transition pour en souligner certains déséquilibres déjà pointés du doigt par des représentants des partis politiques conviés à l’adoption. Ainsi l’Institut Free Afrik a déclaré que ces déséquilibres la Charte de la Transition signée dans la nuit du 1er au 2 mars 2022 pourraient menacer le bon déroulement de la Transition politique qui commence au Burkina Faso. Et pour cause :

« 1. L’hyper-dominance militaire sur les institutions de la Transition, sans exception, crée un déséquilibre qui marginalise la participation de certains acteurs stratégiques de la société et affaiblit leur engagement dans la Transition. Ce déséquilibre de pouvoir est source de toutes les dérives. Il ne permettra pas un engagement de tous pour défendre les institutions de la Transition dans les secousses immanquables à venir. Si les acteurs sont de bonne foi, cela est rattrapable.

2. En particulier, la porte laissée ouverte au Premier ministre et aux membres du gouvernement pour participer aux élections de sortie de Transition, minera dangereusement la confiance. Le PM et son gouvernement n’auront pas dans ces conditions le grand soutien requis pour affronter le terrorisme et les défis de la gouvernance. Un PM et des ministres candidats putatifs seront combattus, surtout dans leurs meilleures actions, car leur succès évincera leurs concurrents aux élection ».

A la suite de sa deuxième investiture le 2 mars dernier et dont beaucoup n’y ont pas compris grand-chose tant à l’échelle nationale et internationale, le Lieutenant-Colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a été élevé au statut de Grand maître des ordres burkinabè en tant que Président de la République. Son équipe et lui ont donc trois ans à eux accordés par les Burkinabè pour conduire le pays au couronnement d’un régime civil démocratiquement élu. Mais pas seulement que cela. Le mobile de l’irruption de l’Armée sur la scène politique n’étant pas le manque de démocratie mais plutôt le manque de sécurité et surtout la lutte contre les actes terroristes et le Jihadisme. C’est précisément là que tous les Burkinabè attendent les militaires qui ont pris le pouvoir. Sans compter la gestion au quotidien de la vie sociopolitique inhérente à toute gouvernance.

Représentation déséquilibrée dans les Institutions de Transition
La Transition au Burkina Faso prévoit notamment le Président de la Transition, le Conseil d’orientation et de suivi de la Transition,  un gouvernement de 25 ministres au maximum avec un civil comme Premier ministre.  Une Assemblée législative de 71 membres issus des différentes sensibilités de la société, des hommes politiques, des organisations de la société civile, des militaires pour ne citer que ces composantes nationales. Beaucoup parlent déjà d’une surreprésentation des militaires et lui reprochent son manque flagrant d’équilibre dans la représentativité. Certaines organisations de la Société civile soutenant le MPSR avaient suggéré que des civils en soient exclus, arguant qu’ils sont responsables de l’état actuel du pays. Une façon partisane ou intéressée de voir les choses. D’autant que les civils - même au plus haut sommet de l’Etat - n’ont pas vocation à faire la guerre. Quels que soient leurs choix politiques ou stratégiques, les chefs des FDS pouvaient les revoir au lieu de préférer un coup d’Etat. Ils ne sauraient donc en aucune manière trouver des excuses pour exclure les civils de la Transition alors que les militaires sont ceux qui ont failli au premier chef à leur mission à faire face au terrorisme et à l’insécurité dans le pays. Une seule chose est claire, le mandat du Président de la Transition prend fin avec l’investiture du Président issu de l’élection présidentielle à laquelle il n’est pas éligible.

Tout compte fait, au nombre des attentes des Burkinabè, Luc Adolphe Tiao, ancien Premier ministre et l’un des 8 représentants des partis politiques a déclaré : « Nous attendons qu’il soit un homme qui soit au-dessus de tout. Qu’il soit un homme rassembleur et vertueux qui à travers sa vision permettra à ce pays de pouvoir aller de l’avant. Nous attendons de lui en tant qu’officier qu’il soit celui réellement qui puisse rassembler l’ensemble des forces de défense et de sécurité dans toute sa composante et aussi tous les civils sans exclusion pour travailler à la libération de notre pays et à la refondation de ce qui peut être fait dans cette phase transitoire dans laquelle nous sommes ».

Le Professeur Abdoulaye Soma, constitutionnaliste avait déjà déclaré au lendemain de sa prise de pouvoir et de sa prestation de serment le 16 février dernier que le Conseil constitutionnel tue la constitution, tue la démocratie et tue le droit constitutionnel. En estimant que la première décision rendue par le Conseil constitutionnel le 8 février 2022, portant « Constatation de la vacance de la présidence du Faso » est tout à fait correcte. Mais à l’opposé, la deuxième décision rendue le 8 février 2022 par le Conseil constitutionnel portant « dévolution des fonctions du Président du Faso » est une catastrophe constitutionnelle. « Le Conseil constitutionnel indique que le coup d’Etat est un autre mode constitutionnel et démocratique de dévolution des fonctions de Président du Faso. Comment peut-on faire ça !? Le montage de 2014 a été mal copié. Gageons d’éviter les erreurs techniques qui compromettent tout maintenant », a-t-il écrit dans sa déclaration rendue publique par voie de presse.

Le désormais Président du Faso à Paul-Henri Sandaogo Damiba aura eu au total à deux espèces d’investiture pour un seul et même Président. Même si l’on connaissait le Burkina Faso pour ses innovations qui font la fierté de l’Afrique dans bien des domaines, le pays de Thomas Sankara aura surpris plus d’un avec des inventions politiques sur lesquelles les Burkinabè ont laissé pantois toute la communauté africaine et internationale. Reste maintenant au Président Paul-Henri Sandaogo Damiba et à son gouvernement de pouvoir entamer des discussions avec la CEDEAO à la fois pour faire accepter le délai de la Transition de trois ans et se faire accompagner par les partenaires étrangers du Burkina Faso.

Par Jean Kebayo

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