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LIBYE : Un pays à la dérive, faut-il regretter Kadhafi ?

L'ancien Président de la Libye, Mouammar Kadhafi

La relative stabilité qui prévaut en Libye depuis 2020 peut être menacée à tout moment par les différentes factions qui aspirent au contrôle de la capitale, Tripoli. Mais la Mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL) doit faire entendre raison aux protagonistes de la crise libyenne. Pour éviter le pire qui pourrait être encore à venir.

La Libye est aujourd’hui un pays à la dérive où les factions armées prolifèrent comme des champignons. Chacune faisant la loi dans son bastion. La confrontation entre les deux grandes tendances, en l’occurrence l’islamique et la laïque, a conduit finalement à la division du pays en deux blocs. Avec deux parlements et deux gouvernements en perspective. Bref, une anarchie à laquelle les Libyens eux-mêmes n’avaient jamais imaginé.

La situation de la Libye depuis le renversement du régime du président Mouammar Kadhafi en 2011 n’a jamais été stable. Au lendemain de la victoire des forces rebelles du Conseil national de transition (CNT) soutenu par l’ONU et les pays occidentaux, les dissensions internes n’ont pas tardé à se faire jour. Aux affrontements interethniques ou tribaux, se sont succédé ceux des différentes factions qui ont contribué à la chute de Mouammar Kadhafi, et qui ont refusé de désarmer. Depuis, la Libye est le théâtre permanent de violents combats entre milices islamistes et forces loyales aux autorités légales.

L’un des épisodes le plus sanglant a opposé les milices islamistes de Misrata à ce qui tient encore lieu de forces de sécurité et de défense à Tripoli. Cette opposition s’est soldée par la prise de l’aéroport de Tripoli par les islamistes. Alors que le Parlement issu des dernières élections de juin s’est déplacé à Tobrouk, au Nord-Est, les islamistes ont décidé d’ériger leur propre Parlement. Après avoir mis Benghazi, la deuxième ville du pays, sous leur coupe réglée, ces milices islamistes ont pris le contrôle de Tripoli. Connues sous le nom de Fajr Libya (l’aube libyenne), elles ont voulu asseoir leur autorité sur l’ensemble du territoire. 

Jusque-là, l’on se demande où sont passées les puissances occidentales qui s’étaient empressées de bombarder la Libye pour, soi-disant, la libérer de Kadhafi et l’aider à instaurer la démocratie. Seul le président français, François Hollande, a lancé un appel à la communauté internationale en vue d’un « soutien exceptionnel » à la Libye. « Si nous ne faisons rien de sérieux, rien de politique, rien d'international, le terrorisme se répandra dans toute la région », avait-t-il déclaré. Normal, dira-t-on, quand on sait que la France sous Nicolas Sarkozy fut la cheville ouvrière de la chute de Mouammar Kadhafi.

Tous les autres pays occidentaux qui avaient encore des ambassades à Tripoli s’étaient contentés d’évacuer leur personnel diplomatique. Et de laisser les Libyens à leur triste sort. Si le droit d’ingérence humanitaire les a contraints à intervenir en son temps en Lybie pour faire tomber le régime Kadhafi, il doit les obliger plus encore actuellement à contribuer à la sécurisation et la reconstruction du pays.

Les quelques rares pays à vraiment s’inquiéter de ce qui se passe à Tripoli et Benghazi sont les voisins de la Libye. L’Algérie et l’Egypte ne voient en effet pas d’un bon œil ce qui s’y passe. Au point que dans certaines chancelleries occidentales avaient attribué à ces deux pays des raids effectués sur le territoire libyen en vue de soutenir les autorités du Parlement anti-islamiste de Tobrouk. 

Quoi qu’il en soit, les Libyens doivent se rendre à l’évidence que ce ne sont pas des citoyens d’autres pays qui viendront reconstruire leur pays à leur place. Qu’ils le veuillent ou non, ils sont condamnés à vivre ensemble. Et s’ils le mettent à feu et à sang, ils finiront bien un jour par se rassembler autour de ses cendres pour dialoguer. Il n’y a de guerre qui ne s’achève par le dialogue et la paix. Autant donc chercher à résoudre les divergences intercommunautaires et confessionnelles par le dialogue. Pour faire l’économie des pertes en vies humaines déjà si nombreuses et des destructions d’infrastructures que les affrontements actuels ne feront qu’engendrer.

En attendant que les protagonistes de la crise libyenne ne se mettent autour d’une table de négociation, la communauté internationale, en l’occurrence l’ONU doit prendre ses responsabilités. En déployant des forces de maintien de la paix, de toute urgence. Plutôt que de se contenter de sanctions internationales dont on sait et peut constater que l’efficacité laisse à désirer sur le terrain. Du reste, les autorités légales du pays ont déjà réclamé un déploiement des forces de l’ONU à travers une requête. Reste à y répondre favorablement, et le plus rapidement. Car c’est la seule condition pour pouvoir sécuriser le pays, désarmer les milices et restaurer l’autorité de l’Etat.

Chaque fois qu’un dictateur sera déchu en Afrique, ce sera toujours une bonne nouvelle pour les Africains. En effet, ce n’est pas parce que la Libye traverse une période très difficile, voire critique qu’il faille regretter Kadhafi. Une façon ou une autre d’apporter de l’eau au moulin des dictateurs africains qui agitent le spectre du chaos dans leur pays pour se maintenir au pouvoir ad vitam aeternam. Le renversement de Kadhafi continuera certes d’entretenir la polémique pour plusieurs raisons. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, l’on reconnaîtra qu’il a quand même fait avancer l’Union africaine (UA). Même si c’est par erreur de calcul, car il se voyait en Président des Etats-Unis d’Afrique. Mais c’est moins pour cette raison que pour ses largesses envers les uns et les autres à travers le continent que l’ex-président libyen continue d’avoir des thuriféraires. Certains avaient d’ailleurs fait de l’axe entre leur pays et la Libye, leur fonds de commerce. Il faut surtout souligner que beaucoup d’Africains, et les jeunes pour la plupart, ne connaissent pas l’histoire contemporaine de l’Afrique et et encore moins les dessous de l’implication géopolitique de l’ex-Président Mouammar Kadhafi dans la quasi-totalité des crises sociopolitiques en Afrique Noire. Sans compter son racisme avéré non seulement à l’égard d’une partie de son peuple en l’occurrence les Toubou de son pays, mais aussi à l’égard de ses homologues d’Afrique Noire.

Toutes proportions gardées, s’il faut faire la part des choses entre son rôle dans la déstabilisation de plusieurs Etats d’Afrique de l’Ouest notamment et ses « bonnes œuvres », il n’y a pas pour les Africains de quoi regretter Kadhafi. Les guerres civiles du Liberia et par extension de la Sierra Leone qui ont fait des millions de morts suffisent à rappeler aux uns et aux autres qu’il ne fut pas un ange. Bien au contraire. Car si l’ex-président libérien, Charles Taylor, a été jugé et condamné par la Cour pénale internationale (CPI), force est de reconnaître que ses vrais complices, eux, n’ont jamais été inquiétés. Or sans leur participation indirecte, les drames pour lesquels il croupit en prison ne seraient jamais arrivés. Le Colonel Mouammar Kadhafi était au premier rang de ceux-là. Et, avant d’être déchu par ceux qui critiquent l’intervention de la France, il a été de collusion avec ce même pays pour déstabiliser et causer des drames en Afrique de l’Ouest.

Il appartient aux Libyens seuls de dire si Kadhafi mérite d’être regretté dans leur pays ou pas. Et s’il le mérite, ce serait pour eux en tant que Libyens et non pour tous les Africains qui ont tant de choses à reprocher à leur ancien Guide de la Révolution en Libye. En tout cas, les Africains ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes s’ils ont été incapables de se faire entendre par l’ONU et par les puissances occidentales. Faut-il le rappeler et le retenir, l’intervention occidentale en Libye, sous couvert de l’ONU, a été menée sans le consentement de l’Union africaine. La Chine et la Russie, qui ont tôt fait de se dédouaner, n’y avaient pas non plus opposé leur véto contre les Occidentaux à cette occasion. Mais pour autant, les pays africains ont-ils tiré les enseignements de cette gifle ? La réponse est non. Puisqu’ils en sont toujours à palabrer, à palabrer, et palabrer toujours au sujet de la réalisation des grands ensembles régionaux à fortiori des Etats-Unis d’Afrique. En renvoyant ainsi toujours aux calendes grecques – pour ne pas dire aux calendes africaines - le seul moyen pour eux de se faire entendre et respecter au monde.

Par Marcus Boni Teiga et Tcha Sakaro
 

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