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TRIBUNE : Perdre son âme

Il y a quelques jours, j’écoutais sur RFI madame Bénédicte Savoy, cette universitaire française qui avait été chargée, avec le Sénégalais Felwine Sarr, lui aussi universitaire et écrivain, de rédiger un rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain volé par les puissances européennes. Ce que j’ai retenu de ses propos est que ce sont des dizaines de milliers d’objets africains qui ont été volés à l’Afrique. Ces objets relèvent du patrimoine culturel, cultuel ou sont des attributs du pouvoir tels que des trônes, des sceptres, des cannes, des moyens de communication tels que des tambours, des flûtes, etc. Elle estime à environ 50 000, les objets qui se trouvent dans les musées publics en Europe. Sans compter ce qui se trouve dans les collections privées et aux Etats Unis. Parfois ce sont des corps d’hommes ou de femmes décédés, que l’on a emportés, parce que certains peuples leur vouaient un culte. Sa conclusion est qu’en fait on a vidé l’Afrique de toutes ses créations, de tous ses objets qui lui donnaient son identité, de tout ce qu’elle adorait, de toute sa substance, en un mot, de son âme. On a volé à l’Afrique son âme. Lorsque l’islam est arrivé sur le continent, lui, n’a rien emporté, mais il s’est attelé à brûler tout ce qui relevait des religions ancestrales africaines. Il a brûlé l’âme africaine pour lui substituer la sienne.

Tous ces objets qui se trouvent aujourd’hui dans les caves des musées européens et dans les domiciles privés ont été dans leur grande majorité volés, acquis par la force, la terreur, le meurtre. Et parmi les grands pilleurs de l’âme africaine, il y a bien entendu les puissances coloniales de l’époque, mais aussi le Vatican. Eh oui ! Le Vatican possède une des plus importantes collections d’objets culturels et cultuels africains. Ainsi, une bonne partie de tout ce qui permettait à l’Africain de se retrouver, de pratiquer ses cultes, de communiquer avec l’invisible se trouve dans les sous-sols du Saint-Siège qui sait, lui que cela a une valeur inestimable. On disait à nos parents, « cachez moi ces fétiches de sauvages » et on allait les entreposer au Vatican. Tout s’est en fait passé comme s’il s’était agi de faire perdre son âme à l’Afrique afin de lui en confectionner une nouvelle sur mesure.

Lorsque l’œuvre de diabolisation de nous-mêmes a abouti, nous nous sommes chargés de détruire ou de brader nous-mêmes tout ce que les autres n’avaient pas pu emporter ou détruire. Lorsque vous perdez votre âme, vous devenez une espèce de zombie qui ne peut plus réfléchir par lui-même et vous obéissez au doigt et à l’œil à celui qui a pris possession de votre substance. Les Européens savent pourquoi ils ne veulent pas nous restituer ces œuvres qui, pour l’essentiel sont juste entreposées dans des sous-sols de musées, loin des regards du grand public.

Alors, là où les Européens et leurs prêtres sont arrivés les premiers, on a rejeté sa religion ancestrale et l’on est devenu chrétien. Et l’on s’est totalement approprié cette nouvelle âme. Aujourd’hui les Africains chrétiens sont parmi les plus intégristes. Et là où les Arabes et leurs imams sont arrivés les premiers, l’on est devenu musulman, gardien jaloux de cette religion que l’on s’est totalement aussi appropriée. Et c’est surtout sur notre continent que l’on se massacre, au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Nigeria, en Somalie, au Mozambique, au Kenya, en Ouganda, au nom d’Allah.

Ceux qui rejettent avec le plus de véhémence les cultes traditionnels africains sont les Africains. Lorsque le débat sur la restitution des biens culturels africains avait été lancé, de nombreux Africains ne voyaient pas l’utilité de cette restitution puisqu’eux-mêmes les avaient rejetés comme étant démoniaques, ou tout au moins ne relevant pas de la civilisation, ainsi qu’on le leur avait dit. D’autres se sont demandés où ces œuvres allaient être entreposés, puisque la culture des musées n’est pas vraiment la nôtre.

Lorsque la France a daigné restituer 26 œuvres sur les milliers qu’elle avait volés au Bénin, ces œuvres ont été exposées au palais présidentiel à Cotonou où j’ai eu l’occasion d’aller les voir aussi. J’avais surtout remarqué la joie de milliers de Béninois, de tous âges, à l’idée de renouer avec leurs racines. Et j’ai compris qu’il y a effectivement un réel besoin chez de nombreux Africains de retrouver leur âme volée, pour être en paix avec eux-mêmes. Oui, on peut toujours espérer.

Par Venance Konan

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