Il est difficile en ce moment d’échapper aux images de la guerre en Ukraine. On voit tous les jours des immeubles éventrés, des voitures et des chars calcinés, des hommes, des femmes, des enfants qui fuient leur pays par millions vers les pays voisins, d’autres qui tentent tant bien que mal de survivre dans les métros, les caves, partout où ils peuvent. Et, même si les télévisions ne les montrent pas souvent, on sait qu’il y a des milliers de morts, des fosses communes où les cadavres sont jetés. Presque toutes les villes de l’Ukraine sont pilonnées tous les jours, toutes les nuits par l’armée russe. Et pendant ce temps, de nombreux Africains, ceux qui se sont baptisés les panafricanistes applaudissent. Ils exultent. Parce que leur nouveau champion, Vladimir Poutine, est en train de mettre une raclée à l’Ukraine.
Ont-ils quelque chose à reprocher à ce pays, nos frères panafricanistes ? Non, absolument rien. Sauf peut-être d’être soutenu par le camp occidental. Sinon l’Ukraine n’était absolument pas sur leurs tablettes avant le déclenchement de cette guerre. Le pays qu’ils ont dans leur collimateur depuis quelques années est la France. Et la France se trouve dans le camp occidental qui soutient l’Ukraine. Dès lors, ils ont tous pris position pour Vladimir Poutine, sans se demander s’il a raison ou tort. De toutes les façons très peu d’Africains comprennent vraiment les raisons profondes de la guerre qui oppose la Russie à l’Ukraine. Ce qu’ils ont retenu est que Vladimir Poutine est opposé à un pays soutenu par le camp occidental, parmi lesquels la France honnie. Alors, la presse est-elle muselée en Russie, l’opposition traquée, les manifestations interdites, le mot guerre banni du langage des médias ? Ce que l’on retient est que la France et ses complices européens ont eux aussi fermé deux médias russes. Le match est donc nul. Et puis, dès lors que ces informations sont données par la presse occidentale, elles ne sauraient donc être crédibles, puisque cette presse elle-même n’est pas libre. Mais ne l’oublions jamais : les premières libertés que les dictatures tuent sont celles de s’exprimer de manière autonome. Puis suit celle de penser autrement. Il y a quelques années, la Russie avait « pacifié » la Tchétchénie. Ceux qui ont bien suivi cette affaire parlent de massacres de centaines de milliers de personnes, hommes, femmes, enfants, vieillards. Nous sommes au début de la « pacification » de l’Ukraine. La différence avec la Tchétchénie est que cette fois-ci, cela se passe en mondovision et le monde occidental n’a pas l’intention de laisser les choses se faire aussi facilement. C’est peut-être parce que les Ukrainiens sont beaucoup plus blonds que les Tchétchènes et prient dans des églises plutôt que dans des mosquées, mais peu importe.
Le paradoxe est que la plupart de ces panafricanistes vivent souvent en France, et beaucoup moins en Russie. Et croyez-moi, personne ne les y a contraint. Ceux d’entre eux qui vivent en Afrique font rarement la queue devant les ambassades russes pour chercher des visas. Leurs rêves sont d’aller vivre en France ou dans n’importe quel pays d’Europe, de préférence en Europe occidentale, au Canada ou aux Etats-Unis. Ceux qui vivent dans cette France qu’ils détestent tant préfèreraient mourir plutôt que de se laisser expulser de ce pays. Mais, laissons. L’Afrique n’est pas à un paradoxe près.
Autant nos panafricanistes sont heureux de ce qui se passe en Ukraine, autant ils jouissent littéralement de ce qui advient au Mali. Parce que là-bas aussi, les Russes, mercenaires ou instructeurs on ne sait trop, peut-être les deux à la fois, sont arrivés, et les autorités du pays ont fait partir les forces françaises. Ces nouvelles forces, pour ne pas dire ces forces nouvelles, remportent-elles des victoires dans la lutte contre le terrorisme ? Peu importe. Est-il vrai qu’en complicité avec certains éléments de l’armée malienne elles commettent des massacres et des pillages ? La presse dans ce pays est-elle vraiment en train d’être muselée et l’opposition traquée ? Nos panafricanistes s’en moquent. L’important pour eux est que les Maliens ont fermé deux médias français et chassé le journaliste de Jeune Afrique. La première chose que les dictatures tuent est la liberté d’expression. Il ne faut surtout pas que quelqu’un d’indépendant relate les autres crimes qui vont être commis. N’oublions jamais cela. La « pacification » du Mali à la mode russe a commencé et ce ne seront pas les djihadistes qui trinqueront. Disons les choses crûment. Le Mali risque d’être pillé et les pauvres Maliens massacrés s’ils osent lever la tête pour protester. Et ceux qui applaudissent aujourd’hui de bonne foi n’auront demain que leurs yeux pour pleurer.
Tout comme le monde occidental joue actuellement les trouble-fête dans la volonté russe d’écraser l’Ukraine, la CEDEAO doit, elle aussi, empêcher la dictature que nous voyons tous poindre à l’horizon du Mali s’installer. Parce que si le Mali tombe dans l’escarcelle des pillards, il n’y aura pas de raison qu’ils s’arrêtent en si bon chemin. Ce ne sont pas les pays fragiles autour du Mali qui manquent.
Par Venance Konan