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TRIBUNE : Décolonisation et symboles

Venance Konan
Venance Konan.

Dans son livre « Affaires africaines », le journaliste écrivain français Pierre Péan écrivait que Léon Mba, le premier président du Gabon, était si francophile qu’il avait plaidé pour que son pays devienne un département français, à l’instar de la Martinique ou de la Guadeloupe. Devant le refus des Français, il avait voulu que le drapeau français figure au moins dans un coin du drapeau du Gabon. Ce que les Français avaient également refusé. Qu’à cela ne tienne. Léon Mba dirigea son pays comme s’il était une colonie ou un département français. Il ne prenait aucune décision sans avoir consulté l’ambassadeur de France qui était en fait le vrai dirigeant du pays, et tous ses ministres étaient en quelque sorte doublés par des Français. Le Gabon, du temps de Léon Mba et du père Bongo était la parfaite illustration de ce que l’on appelait la néo-colonisation, ou la françafrique dans tout ce qu’elle avait de choquant.

C’était une autre époque, dirons-nous. Si l’on veut. Après nos indépendances, de nombreux pays africains ont choisi de coopérer avec la France. Personnellement je n’y vois pas d’inconvénient. Un pays qui se sait faible s’est toujours appuyé sur un autre plus fort, même si dans l’histoire, le pays faible avait été vaincu par le fort. La meilleure illustration est le Japon ou l’Allemagne dans leurs relations avec les Etats Unis. Ces deux pays avaient été vaincus par les Etats Unis durant la seconde Guerre Mondiale et, concernant le Japon, les Américains n’avaient pas hésité à le bombarder avec des armes nucléaires. De plus, ils avaient obligé les Japonais à renier le caractère divin de leur empereur. Cela n’empêche pas l’Allemagne et le Japon d’être les meilleurs alliés des Etats Unis et d’abriter des bases militaires américaines. Personne ne taxera le Japon et l’Allemagne d’être des colonies ou des vassaux des Etats Unis.

L’accusation qui est le plus souvent formulée à l’encontre des pays africains alliés de la France que certains qualifient de néo-colonies ou de sous-préfectures de la France, est d’abriter des bases militaires françaises, d’utiliser une monnaie contrôlée par la France et de se laisser tout dicter par l’ancienne puissance coloniale. Comme je l’ai dit plus haut, être allié, sur les plans militaires et économiques, à un pays plus puissant que soit ne fait pas de vous nécessairement son vassal. Mais la réalité est que de nombreux pays africains, anciennes colonies françaises, n’ont pas fait beaucoup d’effort pour apparaitre comme indépendants, ne serait-ce que sur le plan symbolique. 

Notre pays fait partie de ceux-là. Avons-nous vraiment besoin de garder les noms de tous ces anciens gouverneurs du temps de la colonie sur nos rues dans les quartiers les plus huppés de notre capitale économique ? Que représentent les Angoulevant, Chardy, Van Vollen Hoven, Clozel, Gourgas, Binger, Treich-Laplaine, Latrille et autres dans l’histoire de la France ? Juste des petits fonctionnaires ou soldats coloniaux. Dans la nôtre, bon nombre d’entre eux ont commis des crimes abominables sur nos populations, au nom de la « civilisation » ou de la « pacification. » Que gagnons-nous à les honorer à travers des rues ou des monuments ? Tirons-nous une fierté particulière d’avoir été colonisés par ces gens ? Je crois que nous pouvons continuer à avoir les meilleures relations avec la France sans que nos rues ne portent les noms des anciens colonisateurs. Au moment où aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et même dans certains départements de la France d’Outre-mer on fait tomber les statues d’anciens esclavagistes, que l’on débaptise des rues et des places, il parait totalement incongru qu’en Côte d’Ivoire, l’on garde les noms des anciens fonctionnaires coloniaux qui nous ont imposé les travaux forcés, c’est-à-dire l’esclavage, sur nos artères les plus prestigieux. Il y a de nombreux autres Français dont le comportement envers nous, avant ou après nos indépendances justifie beaucoup plus que nous leur rendions hommage. 

Dans la même veine, pourquoi nous entêtons-nous à conserver le nom CFA à notre monnaie, quand on sait qu’à l’origine, c’est-à-dire de 1945 à 1958, CFA voulait dire « Colonies françaises d’Afrique » ? De 1958 à 1960 cela a signifié « Communauté française d’Afrique », puis aujourd’hui, « Communauté financière africaine. ». Pourquoi vouloir à tout prix conserver l’acronyme CFA quand on sait ce qu’il signifiait au départ ? Qu’est-ce que cela coûterait de changer le nom de cette monnaie tout en la laissant techniquement telle qu’elle est ? Nostalgie des temps de la colonie ? Les jeunes Africains d’aujourd’hui ne voient pas ces temps de la même façon que leurs parents et grands-parents.

Aujourd’hui l’on se plaint d’un sentiment anti-français sur lequel des pays comme la Russie et d’autres surfent allègrement. Parfois l’on a le sentiment que la France et ses alliés africains donnent eux-mêmes à leurs adversaires les verges pour se faire fouetter.

Par Venance Konan

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