Un député de la République démocratique du Congo a déposé une proposition de loi à l’Assemblée nationale de son pays qui, si elle était adoptée, réserverait les postes de président de la république et de plusieurs autres hautes fonctions régaliennes aux seuls Congolais ayant les deux parents congolais. Cette proposition de loi a été déposée par un député du parti au pouvoir. Certains pensent qu’elle vise spécifiquement l’opposant Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Katanga et président de la mythique équipe de football « Tout-Puissant Mazembé », dont le père est grec. Ça ne vous rappelle rien ? Il y a une trentaine d’années, nous avions créé un concept appelé ivoirité et adopté un tel texte en Côte d’Ivoire qui réservait le poste de Président de la République aux seuls Ivoiriens nés de père et de mère eux-mêmes ivoiriens. Et nous avons vu où cela nous a conduit. Pour ceux qui auraient perdu la mémoire ou qui seraient trop jeunes pour s’en souvenir, cela a cassé notre unité nationale, divisé notre population, et a généré une rébellion qui a occupé une partie du pays pendant huit ans et nous à conduits à une guerre dont on dit qu’elle a fait plus de trois mille morts.
C’est dans une telle aventure que les Congolais veulent se lancer. La proposition de loi divise déjà actuellement la société congolaise. Ainsi, à l’occasion de la fête de Pâques, le cardinal Fridolin Ambongo a dénoncé cette proposition de loi en ces termes : « Nous avons déjà des conflits à l’Est, à l’Ouest et un peu partout à travers le pays. Je suis convaincu que cette loi sur la « congolité » viendra ajouter un grand conflit sur ce que nous connaissons déjà. Les conséquences : nous n’aurons peut-être que nos yeux pour pleurer. Au lieu de nous focaliser sur l’examen d’une telle loi qui nous divise, nous ferions plutôt mieux de nous resserrer les coudes pour déceler le jeu funeste des ennemis de notre patrie avec leurs velléités de balkanisation de notre pays. » Bien entendu, comme au bon vieux temps de notre ivoirité, le concept a ses supporters dans l’intelligentsia, dont M. Michel Lutumbwe, chercheur sur la gouvernance au centre de recherche sur la paix et la sécurité à Bruxelles, qui refuse d’établir un parallèle entre la « congolité » et l’« ivoirité » : « ce projet est inspiré en partie de l’histoire récente de la RDC surtout des relations de voisinage difficile avec certains pays limitrophes dans lesquels on a retrouvé des ressortissants congolais à double appartenance dans des rôles déstabilisateurs, disons, institutionnels. »
Le débat fait rage en ce moment en République Démocratique du Congo. Chaque pays a son histoire propre, ses spécificités et ses réalités. Mais l’histoire des peuples a ses constantes. Et il est bon de s’inspirer de temps en temps de l’histoire des autres. Celle de notre pays a montré que chaque fois que l’on cherche par des artifices à exclure un adversaire du jeu politique, on divise le pays, on stigmatise une partie de la population et l’on va vers la catastrophe. Il est bon de savoir que le patriotisme ne se mesure pas à la nationalité d’origine des parents, ni aux différents degrés de sang que l’on a dans le corps, si tant est que l’on peut distinguer un sang étranger d’un sang autochtone. On peut parfaitement avoir toute son ascendance originaire de son pays et en être un traître, tout comme l’on peut être simplement naturalisé et servir loyalement son nouveau pays. En Côte d’Ivoire, l’histoire est en train de nous montrer que la pierre que l’on avait voulu rejeter est devenue la pierre angulaire qui fait tenir tout l’édifice. Il nous a fallu une crise de plus de vingt ans et plusieurs milliers de morts pour que nous le comprenions. Que nos frères congolais réfléchissent par deux fois avant de voter leur nouvelle loi. Qu’ils s’inspirent de notre histoire. Aujourd’hui le Congo est meurtri par une longue guerre de plus de vingt ans qui a fait des millions de morts. Je crois qu’au-delà de la conquête ou de la conservation du pouvoir, mettre fin à cette guerre devrait être l’élément unificateur de tout le peuple congolais. Et pour y mettre fin, il faut l’union de tous les fils du pays. Celui qui a fait cette proposition de loi croit viser une seule personne. Il se rendra compte, peut-être trop tard, que ce sont des millions de ses compatriotes qu’il touche en réalité.
Par Venance Konan