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LE FEUILLETON/Le faiseur de pluie de Tanguiéta (Episode 3)

Bien des années plus tard, Boulgou Kouana s’apprêtait à quitter sa maison pour sa traditionnelle tournée nocturne quand il reçut la visite du maire de la commune de Tanguiéta. Il était mandé d’urgence chez le Père Joseph pour affaire le concernant. Remettant à plus tard ses plaisirs personnels, il rejoignit le presbytère. Quelle ne fut sa stupéfaction quand on l’eut introduit dans le grand salon d’y voir le prêtre en grande conversation avec le Président, lui-même ! Ils se levèrent tous deux et immédiatement les salutations d’usage échangées, le Père Joseph les laissa seul à seul. Boulgou Kouana avait déjà rencontré le président une première fois, sur recommandation du Père Joseph, alors que le Saint-Père Pierre II y était en visite officielle. La rencontre s’était bien déroulée mais il savait qu’avec « Demi-dieu », chacun pouvait s’attendre au meilleur comme au pire.

Le Président Koutchokou, pressé par le temps, lui brossa un tableau rapide de la situation à Cotonou et l’implora presque de venir incontinent les débarrasser du fantôme. Mais Boulgou Kouana n’était pas de ceux à s’en laisser conter et il ne prenait jamais une décision sans en connaître tous les tenants et les aboutissants. Aussi mit-il sur la sellette le président qui, peut-être pour la première fois de sa vie d’homme, obtempéra et répondit sans rechigner à toutes les questions du vieil homme…fallait-il qu’il fût aux abois ! Ils passèrent ainsi plus d’une heure d’un entretien qui finalement sembla satisfaire Boulgou Kouana puisque celui-ci cessa de parler et se mit à scruter intensément son interlocuteur.

  • Monsieur le Président, lui dit-il en reprenant la parole, j’ai bien écouté et entendu tout ce que vous m’avez dit et je vais vous livrer le fond de ma pensée. N’avez-vous jamais réfléchi sur les motivations qui poussent votre fantôme à commettre de tels actes ?  
  • Heu ! balbutia « Demi-dieu », c’est juste une vendetta personnelle !
  • Croyez-vous vraiment ? Moi pas. Je connais bien le monde de l’au-delà et personne n’y ait jamais revenu sans une mission particulière.
  • Mais quel genre de mission est-ce là, où l’on ne fait qu’assassiner de pauvres ministres ? répliqua vertement le président qui commençait à sentir la moutarde lui monter au nez.
  • Non, pas de pauvres ministres ; des gens qui, comme des chancres, vivent sur le dos du peuple…
  • Comment osez-vous ? s’écria le président outragé.
  • Vous voulez que je vous aide ? Alors pour pouvoir le faire, il est nécessaire que je vous dise des vérités devant lesquelles vous n’avez fait que vous boucher les oreilles et mettre des œillères. Vous avez le choix, on a toujours le choix !

À cet instant, « demi-dieu », bouillonnant de rage contenue n’eut qu’une envie : appeler sa garde personnelle qui se trouvait à l’extérieur et faire enfermer cet outrecuidant féticheur à la con dans les geôles les plus infâmes de Cotonou, afin qu’il y pourrisse.
« Pour qui se prend-il de me traiter ainsi, moi, Koutchokou, Grand devant les Grands, président de la République du Bénin ? ! », cracha-t-il en son for intérieur. Il se retint à temps, songeant à sa vie et à son cher fauteuil.

  • Bon… mais où voulez-vous en venir ? Que réclamez-vous, que revendiquez-vous ?
  • Ah ! Mais pour moi rien, Monsieur le Président. Mais pour renvoyer ce fantôme-là où il devrait être il faut que j’ai la puissance de la Lumière et cette Lumière, Monsieur le Président c’est vous qui devez l’incarner. Vous êtes comme le berger d’un troupeau : si celui-ci se jette dans le ravin, ses moutons le suivront. Vous devez laver vôtre âme de toute noirceur, montrer l’exemple et vous entourer d’hommes fidèles et intègres. Alors à cette condition et seulement à cette condition, je pourrai vous dépêtrer de la situation dans laquelle vous vous trouvez et déboulonner à jamais votre fantôme.
  • Mais si ce n’est que cela, il n’y a pas de problèmes, répliqua « Demi-dieu » qui aurait vendu son âme au Diable pour conserver sa position et ses prérogatives.
  • Très bien, sachez pourtant que si vous ne vous en tenez pas à ce que je viens de vous demander, rien ne vous protégera plus de quoi que ce soit et vous y perdrez la vie !
  •  Oh !

Dans ce « oh », éructé du fin fond de la gorge, tenait un monde de haine.

  • Allons donc, partons immédiatement. La situation urge.. 

C’était le deuxième voyage de Boulgou Kouana dans la plus grande métropole du pays. Un hélicoptère les attendait non loin de la résidence du maire. Il prit quelques longues minutes à se préparer dans une chambre du presbytère. Quand il eut fini, il en ressortit et suivit le président qu’accompagnaient le Père Joseph et le maire.

Le baptême de l’air de Boulgou Kouana faillit mal tourner. S’il était un grand spécialiste du monde de l’au-delà, le pauvre homme n’avait jamais été préparé à subir les affres d’un voyage en hélicoptère. Une fois assis dans l’appareil et la ceinture de sécurité mise, il chercha désespérément à s’en défaire lorsque les hélices se mirent à tourner et que l’engin prit de l’altitude. La promptitude du pilote et de son copilote pour le contraindre à garder la ceinture et le rassurer qu’il ne lui arriverait rien dans les airs, évita de justesse un accident qui aurait pu se révéler mortel. Une fois calmé, il profita du voyage pour se remémorer son premier séjour dans la capitale béninoise. 

Il se souvint y être arrivé alors que le monde affluait au Stade de l’Amitié et que de gros nuages s’amoncelaient dans un ciel gris anthracite, et qui gonflés à bloc, semblaient prêts à exploser à tout moment pour déverser des trombes d’eau sur la ville. L’inquiétude grandissait aussi bien du côté des fidèles que des religieux et des autorités béninoises qui organisaient ce meeting du Pape Pierre II. Le ciel grondait, mugissait ; des éclairs fendillaient l’espace ; le ciel s’assombrissait minute après minute. Quand Boulgou Kouana arriva dans l’enceinte du palais de la présidence de la République, il fut accueilli par le Père Joseph accompagné d’un traducteur. Alors il comprit pourquoi il était là.

Son entrevue avec le chef de l’État ne dura que quelques minutes, le temps qu’il fallut pour lui expliquer ce qu’on attendait de lui : retenir la pluie qui menaçait de tomber, risquant d’empêcher le Pape Pierre II de pouvoir s’adresser à ses fidèles. Boulgou Kouana demanda un bureau où il se retira seul. Les nuages continuaient à envahir le ciel qui s’était obscurci, au point de le rendre crépusculaire en plein après-midi. Le Saint-Père et le chef de l’État étaient attendus au Stade de l’Amitié dans moins d’une heure. Assis sur des tribunes en plein air, les fidèles et autres curieux lorgnaient le ciel et se demandaient s’il fallait attendre le représentant de Dieu sur terre ou quitter les lieux avant que le déluge ne se déclenchât.

Dans l’un des bureaux de la présidence de la République, Boulgou Kouana s’activait. Il marchait de long en large, en récitant des incantations, s’arrêtant pour cracher sur la queue de bœuf qu’il tenait et l’attacher d’un tour de main à la corde qu’il avait liée autour de son autre poignet, pour ensuite reprendre sa marche et ses incantations.

Dehors, retentirent une succession de coups de tonnerre ; le vent beuglait, rugissait, sifflait comme un fauve en colère ; des éclairs qui zébraient le ciel traçaient de rapides losanges de feu. Le désespoir commença à s’emparer des fidèles, persuadés que la rencontre avec le Pape allait être gâchée par ce déchaînement des éléments. Certains se mirent à descendre des tribunes pour chercher à gagner les portes du stade.

Toujours enfermé dans le bureau de la présidence de la République, le féticheur continuait sans relâche à marcher et à prononcer ses incantations. Il lui restait un tour de corde pour attacher le dernier nœud. Quand il eut terminé cet étrange cérémonial, les gens des environs entendirent comme un grand écho se répercuter alentours : « Tanguiétaaaaa » Quelques instants plus tard, il sortit du bureau et les gens qui le virent s’aperçurent qu’il transpirait à profusion ; il s’avança vers le traducteur et lui dit : « Ça y est, le président peut sortir ».

Dans l’instant, le ciel redevint d’un blanc laiteux ; les nuages pourtant si nombreux quelques secondes auparavant disparurent mystérieusement ; le soleil reparut, brillant de tout son éclat. Tous ceux qui étaient rassemblés au stade furent persuadés que cette brusque embellie était due à un miracle et que Dieu, avec toute la mansuétude dont Il faisait toujours preuve pour Ses enfants, n’avait pas voulu qu’ils fussent privés du discours du Saint-Père.

Les sirènes des motards précédèrent le cortège du Pape et du chef de l’État à l’intérieur du Stade de l’Amitié. La foule redoubla de ferveur, chantant des psaumes à gorge déployée pour accueillir dignement le représentant de Dieu sur terre. Pierre II et le président de la République, debout côte à côte dans une limousine décapotable, firent plusieurs tours de stade en saluant les gens qui avaient littéralement pris d’assaut le moindre espace.

Boulgou Kouana avait accompli sa mission et il commençait à s’ennuyer ferme dans l’enceinte de la présidence de la République. Malgré la sollicitude dont on l’entourait, il ne désirait plus qu’une seule chose : retrouver sa maison de Yarka à Tanguiéta. Les services de la présidence avaient reçu pour instruction de le faire attendre jusqu’à la fin du meeting car le chef de l’État tenant à le remercier de vive voix pour sa disponibilité et son exploit. Mais il ne voulut rien attendre et rien entendre de cela, pressé qu’il était de rentrer. Il demanda au Père Joseph et aux agents de la présidence de la République de l’enfermer à clé dans le bureau qui lui avait été affecté et de ne l’ouvrir qu’après trente minutes. Une demi-heure plus tard, Boulgou Kouana ne se trouvait nulle part dans le bureau lorsqu’on ouvrit la porte. « Inutile de le chercher, dit le Père Joseph, il est déjà reparti à Tanguiéta. » Les agents de la présidence de la République restèrent cois, la surprise prenant le pas sur la crainte des foudres du président. En l’espace de quelques heures seulement, le féticheur de Tanguiéta avait accompli des miracles qui dépassaient l’entendement humain.

La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre dans tout Cotonou, peu après le meeting du Pape. D’aucuns se dirent que si Dieu avait choisi de consacrer comme premier Pape noir, quelqu’un originaire du pays, berceau du vaudou, ça n’était certainement pas le fait du hasard. Il l’avait fait à dessein, pour montrer que même les peuples les plus attachés aux pratiques traditionnelles pouvaient trouver leur vocation ailleurs, dans l’église chrétienne notamment.

L’épisode extraordinaire dont le Saint-Père venait d’être témoin prouvait que toutes les religions avaient en elles quelque chose de positif à apporter à l’humanité, en dépit de leurs dogmes et de leurs contradictions. Pierre II chercha à rencontrer le fameux Boulgou Kouana et, ce dernier, avec l’un des dons qui le caractérisait, le comprit et revint comme il était parti de la présidence, dans le même bureau. Quand la porte s’ouvrit, des ovations nourries l’accueillirent.

Des gens venaient désormais de toutes les régions louer ses services quand ils avaient des manifestations importantes et qu’ils redoutaient des intempéries. Mais jamais, il ne passait la nuit en dehors de sa maison, aussi éloigné que fût l’endroit où il allait faire la démonstration de son savoir traditionnel.

Fin. Extraits de Dieu n’est pas tyran (Recueil de Nouvelles)

Par Marcus Boni Teiga

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