L’Empire du Mali ou l’Empire Mandingue fut l’un des plus célèbres empires d’Afrique. Fondé par Soundjata Keita, il l’est l’une des grandes fiertés de l’Afrique Noire. Il a notamment produit la fameuse Charte du Manden ou Charte de Kouroukan Fouga.
La naissance, la décadence et ensuite la chute de l’Empire du Ghana au XIIe siècle et autres Empires qui lui succéderont - Royaume Sosso (XIIe -XIIIe siècle), Empire du Mali ou Empire Mandingue (X e - XVe siècle) et Empire Songhai (XV e -XVI e siècle), marque une époque charnière dans la recomposition sociopolitique, voire ethnique dans la Boucle du Niger.
Le Royaume Sosso fondé par l’Aristocratie des forgerons et farouchement hostile à l’Islam, ne parvient pas à résister très longtemps. Le légendaire Soundiata Keita aura raison de sa résistance face à Soumaoro Kanté ou Soumaworo Kanté lors de la célèbre bataille de Kirinia en 1235.
L’émergence de nouvelles puissances, notamment de puissants royaumes, et les différents métissages entraînent une dispersion du grand groupe sociolinguistique Soninké à travers l’Afrique de l’Ouest (Sénégal, Niger, Guinée, Gambie) et font apparaître des sous-groupes parmi lesquels les Bozo et les Songhai actuels du Niger. «
L’ethnie la plus importante – celle des Maures (les Biçān) –, à la fin du XIXe siècle, est arabophone, dans son immense majorité. Il existe encore quelques milliers de berbérophones (surtout dans la partie occidentale du Trarza), mais c’est la dernière génération où l’on compte encore des Berbères ne parlant pas le dialecte arabe ḥassaniyya. L’installation au Sahara occidental (milieu XIVe -XVIIe siècle) des tribus Maquil-Hassane et la prééminence guerrière et politique qu’ils conquirent sur les Berbères est à l’origine de l’adoption de la langue des vainqueurs (le ḥassaniyya) par les Berbères, défaits militairement. Cette arabisation rapide n’est cependant pas étrangère, probablement, au fait que les Berbères (appelés Sanhadja en arabe, par déformation de Zénaga) avaient été islamisés profondément par les Almoravides, dès le XIe siècle, et avaient déjà subi une importante arabisation culturelle qui faisait d’eux les véritables représentants de la langue et de la culture arabes, face aux vainqueurs arabes, beaucoup plus incultes et mécréants1 ».
Charles Monteil et Maurice Delafosse ont déjà fait le débat sur la question de savoir si ce sont les Soninké que les chroniqueurs arabes identifiaient aux Zenaga ou Sanhadja. Si le premier était tenté d’y voir une probabilité, le second était catégorique pour dire qu’il était impossible de confondre les deux. « Quoi qu’il en soit, c’est sous le règne de ces Sissé, que Massoudi et les autres auteurs arabes disent formellement avoir été des Noirs, que l’État de Ghâna atteignit son apogée. Au témoignage de Bekri, de Yakout et d’Ibn-Khaldoun, son pouvoir se faisait sentir dès le IXe siècle sur les Berbères Zenaga ou Sanhadja (Lemtouna, Goddala ou Djeddala, Messoufa, Lemta, etc.) qui avaient depuis peu poussé leurs avant-gardes méridionales jusque vers le Hodh et dans la Mauritanie actuelle ; Aoudaghost, capitale de ces Berbères, située sans doute au Sud-Ouest et non loin de Tichit, était vassale du roi noir de Ghâna et lui payait tribut ; une tentative d’indépendance de la part du chef des Lemtouna motiva, vers 990, une expédition du roi de Ghâna, qui s’empara d’Aoudaghost et raffermit son autorité sur les Berbères sédentaires et sur les « Zenaga voilés » du désert, ainsi que s’expriment plusieurs auteurs arabes2 »
Arguant du fait que les Maures ne pouvaient pas avoir conservé la forme Zenaga pour désigner les Berbères vivant à côté d’eux et adopté une autre forme, Assouanik, pour désigner les Soninké ; il faisait une nette différence phonétiquement parlant entre les deux noms. A savoir que, particulièrement en ce qui concerne la première voyelle, laquelle a toujours été écrite « a » et prononcée « a » ou « é » par les Arabes dans le nom de Zenaga (Sanhadja, Sanaga, Zenaga), tandis qu’elle est nettement « o » ou « ou » dans Soninké.
À son époque encore, et ce malgré l’islamisation, Maurice Delafosse trouvait que les peuples d’Afrique Noire n’avaient pas connu de profonds changements dans leurs us et coutumes, avec leur paganisme et leur recours aux gris-gris, qui rappelaient à bien des égards des peuples des temps anciens : « La civilisation des Noirs elle-même ne paraît pas avoir subi, dans son ensemble, de modifications bien profondes depuis des milliers d’années. Tout au moins existe-t-il encore de nos jours de nombreuses peuplades nègres dont le développement matériel semble être demeuré au même stade où il se trouvait du temps des Pharaons et dont les vêtements, les armes et les outils sont exactement identiques aux vêtements, aux armes et aux outils que portent les Nègres représentés sur les peintures et les bas-reliefs de l’ancienne Égypte3 ».
L’apparentement des Soninké – non pas forcément biologique mais surtout socio-ethnique – aux Sao peut se faire par diverses sources ou informations croisées ainsi qu’il en est possible avec n’importe quel autre peuple en Afrique Noire. En la matière, il y a les noms – on ne peut plus importants –, hormis les rituels qui sont aussi, entre autres, des éléments d’identification qui trompent rarement. Certains historiens y associent à ces caractères fondamentaux d’autres plus pour ce qui est des Soninké, en l’occurrence leur érudition islamique ou le fait d’occuper souvent les fonctions d’Imam, leur propension à voyager loin pour des raisons commerciales ou confessionnelles encore. Toutefois, ces trois éléments ne sont pas déterminants à les relier à leurs lointains ancêtres Sao qui, eux, étaient farouchement attachés à leurs divinités traditionnelles et leurs traditions.
On sait que lorsqu’un groupe émigre, il transporte souvent avec lui une portion de la terre d’origine. Il donne parfois aussi au lieu où il s’installe le nom de l’agglomération d’où il vient ; un lieu de culte ou un autel peut également porter ce nom. Un patronyme ou un toponyme est donc parfois révélateur de l’origine des occupants.
Wéréwéré Suleymane Konaté n’a pas voulu se convertir à l’islamisme à l’époque où Soundiata accédait au pouvoir. Ce dernier l’avait envoyé au Sénégal acheter des chevaux. Après son retour, il a quitté le Mandé avec sa famille, ses biens, ses autels et ses « secrets », gundo ou gyindo. Il a dirigé l’exode, et ses descendants se sont fixés dans les falaises de Bandiagara. Gyindo est le terme malinké ancien pour « secret, mystère, connaissance secrète » ; or, c’est la devise que portent encore actuellement tous les Dogon4 . »
Il va falloir réexaminer ou réinterpréter certaines informations ou sources dont on disposait déjà au sujet des Soninké et autres peuples et dont le sens ou la traduction avaient été sacrifiées au profit de leurs nouveaux usages ou fonctions. En l’occurrence, il faut se poser la question de savoir si les figures divinatoires appelées Saw ou Sao des abris sous roche de Koulouba signifient vraiment « lecture rapide » ou ce terme ne désigne tout simplement ce à quoi elles servent sans lien direct avec la signification de Saw ou Sao. À savoir lire rapidement à travers les seize figures géomantiques peintes (Huit génies et huit personnes) l’avenir ou de deviner les messages secrets des divinités ou des Ancêtres. Au demeurant, pourquoi le premier des seize codes de l’art divinatoire est baptisé Sao.
De l’offrande dite Sarakabaga par le médiateur entre les Hommes et Dieu à l’acceptation de l’offrande par Dieu dite Sarakaminèbaga, il y a tout un monde à connaître. Ne peut y entrer que si l’on est initié. Et c’est ce décryptage qui fait le plus que défaut aux Africains pour reprendre connaissance de leur Histoire passée. L’Islam et le Christianisme étant, entretemps passé par là, le fossé s’est creusé davantage. Au point qu’il n’y ait plus grand-monde pour connaître et expliquer les traditions anciennes et leurs origines.
Même altérés, les noms trompent rarement en Afrique Noire quand il s’agit de retrouver l’origine lointaine d’une personne. Si les lignées Sokhona, Cissé, Touré, Diané, Khouma, Sakho, parmi les Soninké, se considèrent comme les lointaines et anciennes lignées rattachées à la personne de l’Ancêtre Dinga ou Dhinga, il y en a qui sont plus faciles à rattacher aux récentes migrations. C’est le cas des Kamara, Kamissoko, Doumbia (ou Sissoko), Bagayogo (ou Sinayogo) et Danyogo pour ne citer que ceux-là qui sont propres à la lignée des Kagoro de l’ancien Empire du Ghana. « Du fait de leur rôle politique, ces familles furent intégrées et figurent dans la liste des 34 « familles » du Mandé, cette liste, que nous avons publiée en 1955 (Dieterlen 1955:41 et 1959), groupant parents et alliés des Keita, fut établie lors de la fondation de l’empire de Soundiata. Des représentants de chacune d’elles assistent aux cérémonies septennales de la réfection du sanctuaire, durant lesquelles leur nom et leur origine sont mentionnés.
La devise des cinq familles Blaw est blaw mãsa so loolu « les cinq maisons des chefs blaw ». Chacune d’elles est responsable encore actuellement d’un ou plusieurs cultes particuliers dont l’origine est antérieure à l’occupation du Mandé et qui furent donc importés du Ghana, soit par exemple :
- kɔnɔ à Krina pour les Kamissoko,
- bɛmba à Dankassa pour les Kamara,
- sɔda à Niengéma pour les Kamara et à Karatabougou pour les Doumbia,
- kuranle à Balandougou pour les Sinayogo.
Ce dernier culte, celui de l’enclume, apanage des Sinayogo dits aussi Togora, a une valeur particulière, car il est lié à un territoire sacré, celui de Dakadyalan, lieu de naissance et capitale de Soundiata (Cissé et Kamissoko 1973-I : 79 et 1973-II : 112)5 ».
Les Kangaba à travers le Sanctuaire de Kangaba ou Kaba, même sans le savoir, ont continué de véhiculer une culture et un lexique propre à la liturgie ancienne de la Vallée du Nil. À l’instar du Kama bolon, ces deux vocables Kangaba de Kaba n’étant aucunement d’un usage récent. Il faut aller plus loin et chercher les raisons pour lesquelles le Kama bolon ou Kamabulon (Toiture de la case sacrée) se renouvelle tous les sept (07) ans.
« Plusieurs contributions ont été écrites sur les fameuses cérémonies septennales du Kamabolon à Kangaba, village situé à quatre-vingt-quinze kilomètres au sud de Bamako (Mali) et, probablement, une ancienne capitale de l’empire de Mali. Les rapports de G. Dieterlen (1955, 1959), suivis des publications de C. Meillassoux (1968) et G. Dieterlen (1968), sont devenus des classiques dans les études mandingues. Ces deux auteurs ont admis l’impossibilité d’enregistrer les paroles récitées dans le sanctuaire Kamabolon. Ces paroles sont considérées partout comme les plus grands secrets du Manden, conservés par la fameuse famille Diabaté de Kéla, griots-clients des anciens rois de Kangaba, les propriétaires du sanctuaire6. »
Les traditions orales indiquent que la naissance de l’Empire du Mali est consécutive à la fuite de Dankaran Toumani Konaté. Aîné et demifrère de Diata Konaté que l’on connaîtra plus tard sous le nom de Soundiata Keita ou Soundjata Keita, Dankaran Toumani Konaté ou Dankaran Touman Konaté fut Roi du Manden. Un usurpateur selon les traditions puisque leur souverain de père Naré Maghann Konaté avait destiné le trône après sa mort à Diata Konaté. C’était avant que l’aîné ne s’en empare une fois rendu le dernier souffle du souverain des Mandingues. Mais durant son règne, ce dernier fut attaqué par Soumaoro Kanté du Royaume Sosso. L’usurpateur s’enfuit tout simplement pour sauver sa tête en abandonnant son trône et ses sujets. Et c’est là que les Mandingues font appel à l’héritier désigné du vivant de leur père qui s’était éloigné de son demi-frère pour vivre en exil à Mema où il était désormais un grand et redoutable chasseur. L’armée de chasseurs de Soundjata Keita ralliée de plus par Fakoli Doumbia, le propre neveu de Soumaoro Kanté à qui il avait volé sa femme, s’en trouva renforcée. La coalition de ces deux forces permit de vaincre Soumaoro Kanté lors des batailles de Kirina et de Narena, lequel envahisseur prit la fuite à son tour pour se réfugier dans les montagnes de Koulikoro. Ce qui permet à Soundjata Keita de devenir le nouveau Mansa, et par la suite de construire l’unité de l’Empire du Mali, en le subdivisant en provinces à la tête desquelles se trouva une branche des différents clans de la coalition, à savoir les Keita, les Konaté, les Camara et les Condé. Le nom royal Keita que prit alors Soundjata Keita dériverait ainsi de cette reprise du trône qui lui était dû en héritage, en ce sens que Kien voudrait dire « Héritage » et Ta pour signifier « Prendre », ce qui aurait donné Kienta, autrement dit « Prends ton héritage » et par altération progressive Keïta. Mais il pourrait ne s’agir là que d’une interprétation parmi tant d’autres. Car Kien ou Kienta ou Keita sont intimement liés depuis la plus haute antiquité dans la Nubie antique et désigne une seule et même chose : le Sacré ou le Roi-Prêtre. En tout cas, c’est à Soundjata Keita que l’on doit le rassemblement des coalisés à Kaaba qui donna naissance à la Charte du Manden ou Charte du Kourakan Fouga et qui reste l’héritage immatériel le plus significatif de cette singulière épopée mandingue.
La Charte du Manden ou Charte du Mandé ou encore Charte de Kouroukan Fouga, proclamée en 1222 dans ce qui fut l’Empire du Mali sous le règne de l’Empereur Soundiata Keita (1190-1255), l’a été dans la plaine de cette région du Kangaba. Aujourd’hui Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, elle est considérée, pour beaucoup, comme la première Déclaration universelle des droits de l’Homme. Les Kamara ou Camara sont considérés comme les plus anciennes lignées constituées essentiellement de chasseurs ayant quitté Oualata dans le Ouagadou ou Wagadou pour cause de sécheresse pour aller fonder le Manden ou le Mandé. En devenant un peuple autonome, ces anciennes lignées de Pouvoir de l’ancien Empire du Ghana vont donner naissance à de nouveaux autres peuples, soit par divergence à l’instar des Bambara ou des Dioula, soit par métissage avec les Peul comme les Khassonké. Les recherches de G. Dieterlen au Mali constituent une précieuse mine d’informations à ce propos. Elles ont à l’image de celles de Léo Frobenius sur les Wasangari ou Ouasangari dans l’ancien Borgou (Bénin-Nigeria) à propos de la Migration Kissira. Mais encore faut-il savoir ou pouvoir décrypter toutes ces informations qui en disent long qu’elles n’y paraissent pour le profane. L’étude de la cosmogonie, des noms anciens, des rituels, des pratiques agriculturales des Soninké et de leurs descendants permettent de révéler à ceux qui maîtrisent les secrets des traditions et des langues anciennes propres à ces peuples de pouvoir établir sans grandes difficultés des liens réels ou possibles avec d’autres peuples en Afrique Noire.
Par Marcus Boni Teiga
Marcus Boni Teiga est journaliste et écrivain, spécialiste de la Nubie antique et auteur notamment de LES SAO DU LAC TCHAD Une Civilisation antique et mystérieuse au Centre de l’Afrique Noire, Editions Complicités, Paris, 2023
1 C. Cheikh, Aperçus sur la situation socio-linguistique en Mauritanie, © Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans, 1979 : https://books.openedition.org/iremam/1235?lang=fr
2 Maurice Delafosse (Ancien gouverneur des colonies, Professeur à l’école coloniale et à l’école des langues orientales), Les Noirs de l’Afrique, Payot & Cie, Paris, 1922 Édition réalisée pour herodote.net, https://www.herodote.net/Textes/delafosse_noirs_afrique.pdf 56
3 Ibid.
4 Référence papier Germaine Dieterlen, Premier aperçu sur les cultes des Soninké émigrés au Mande, Systèmes de pensée en Afrique noire, 1 | 1975, 5-18. Référence électronique Germaine Dieterlen, Premier aperçu sur les cultes des Soninké émigrés au Mande, Systèmes de pensée en Afrique noire [En ligne], 1 | 1975, mis en ligne le 2 juillet 2013, consulté le 20 août 2021. URL : http://journals.openedition.org/span/93 ; DOI : https://doi.org/10.4000/span.93 57
5 Référence papier Germaine Dieterlen, Premier aperçu sur les cultes des Soninké émigrés au Mande, Systèmes de pensée en Afrique noire, 1 | 1975, 5-18. Référence électronique Germaine Dieterlen, Premier aperçu sur les cultes des Soninké émigrés au Mande, Systèmes de pensée en Afrique noire [En ligne], 1 | 1975, mis en ligne le 2 juillet 2013, consulté le 20 août 2021. URL : http://journals.openedition.org/span/93 ; DOI : https://doi.org/10.4000/span.93
6 Référence papier Walter E. A. van Beek et Jan Jansen, La mission Griaule à Kangaba (Mali), Cahiers d’études africaines, 158 | 2000, 363-376. Référence électronique
Walter E. A. van Beek et Jan Jansen, La mission Griaule à Kangaba (Mali), Cahiers d’études africaines [En ligne], 158 | 2000, mis en ligne le 12 juin 2004, consulté le 20 août 2021 : URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/177 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.177 60