La crise égyptienne, consécutive aux révolutions arabes, a conduit à la chute de l’ex-dictateur Hosni Moubarak et à l’avènement des Frères musulmans, avec leur tête le président Mohamed Morsi. Mais à peine se sont-ils installés au pouvoir que les vrais acteurs de la révolution commencent à déchanter face aux dérives islamistes du régime.
En ce 5 décembre 2012, au Caire, la désormais fameuse Place Tahrir est de nouveau occupée par des milliers de manifestants hostiles au nouveau président Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, mais démocratiquement élu. C’est que depuis la chute en février 2011 de l’ex-Raïs, Hosni Moubarak, les auteurs de la révolution estiment que le mouvement d’obédience islamiste des Frères musulmans leur a volé leur victoire. Et non content de cela, il veut leur imposer une Constitution d’inspiration théocratique. Dans un pays qui compte plus de 10% de chrétiens coptes et de nombreux musulmans partisans de la laïcité, la pilule a du mal à passer. Et la colère de la rue gronde.
Et pour cause, dans les rues du Caire, c’est la seconde révolution qui bat son plein. Chaque jour, des manifestants de plus en plus nombreux occupent la Place Tahrir pour exiger des réponses aux problèmes économiques du pays, une Constitution laïque, voire le départ du président Mohamed Morsi. Entre ces revendications sociopolitiques et les dures réalités économiques auxquelles le régime des Frères musulmans devait faire face, Mohamed Morsi et les siens sont manifestement entre le marteau et l’enclume. Face à cette situation, l’Egypte n’a pas d’autre choix que de faire appel au Fonds monétaire international (FMI). Lequel a émis ses exigences avant de délier la bourse. Autrement dit, une espèce de programme d’ajustement structurel drastique. Car la situation d’instabilité sociopolitique n’est pas pour rassurer le FMI. Encore moins les milieux économiques et d’affaires. En effet, le secteur du tourisme dont dépend le pays en grande partie a toujours du plomb dans l’aile. Les touristes se font de plus en plus rares.
Peu de temps après la chute de l’ex-dictateur Hosni Moubarak, certains égyptiens commencent déjà regretter le bon vieux temps du vieux Raïs. Rappelé en cela à l’ordre par la dure crise économique qui frappe le pays de plein fouet. Les prix des denrées alimentaires flambent. Le carburant manque, et il faut faire de longues queues pour avoir quelques gouttes. Les grands sites touristiques restaient sempiternellement quasiment déserts, à l’exception de quelques rares personnes qui s’y aventurent encore.
Habituellement, le souk de Louxor est plus animé que ce qu’il présente aujourd’hui, me confient des commerçants. Ceux qui me harponnent pour essayer de me vendre leurs objets, tentent de me convaincre qu’ils me font le meilleur prix parce qu’il n’y a pas beaucoup de touristes. Je suis assailli de partout. Je peux constater moi-même qu’il n’y a pas beaucoup de touristes qui arpentent en cette heure les allées du souk. Pour autant, je ne veux pas me laisser prendre au piège. Je continue ma randonnée et entend quelqu’un qui m’appelle « Nubian » d’une boutique. C’est l’un des rares Nubiens à tenir boutique dans le marché.
Je fais une halte dans sa boutique. Nous discutons. Il m’offre du thé, et nous parlons des Nubiens et d’Assouan, ma prochaine visite. Je lui achète une chaîne en argent sur la cartouche de laquelle je fais inscrire le diminutif de mon prénom authentique « PIYE ». Puis, il se fait fort de me mettre en garde à ne pas me faire arnaquer sur d’éventuels objets que j’achèterais. Nous nous séparons avec la promesse qu’il passe me voir à mon hôtel : Susanna Hôtel.
En ce 7 décembre, les habitants ne parlent que de politique. Une manifestation des pro-Morsi est prévue pour se dérouler dans les rues de la ville. Et contre toute attente, c’est à la tombée de la nuit qu’elle a lieu. Une marche de soutien clairsemée, ne rassemblant pas plus d’une centaine d’individus, plutôt jeunes, faisant plus de bruit avec leur concert de klaxons comme pour pallier leur insuffisance numérique. Le lendemain 8 décembre, le camp adverse des anti-Morsi répondait aussi par une occupation des rues de Louxor avec un peu plus de manifestants que leurs adversaires de la veille. Le 9 décembre, dans ce contexte déjà très tendu, l’ex-président déchu Mohamed Morsi n’avait d’autre choix que d’annuler et de reporter le référendum sur la Constitution initialement prévu le 15 décembre qu’il se proposait de soumettre aux Egyptiens. Cette reculade sous la forte pression des manifestants du Caire qui avaient quasiment assailli le palais présidentiel en s’attaquant aux barbelés dressés contre eux, n’était que l’acte I de la deuxième révolution égyptienne.
Faute de touristes dans ce haut lieu chargé d’histoire qui, grâce aux temples de la ville et celui de Karnak, sans compter la mondialement célèbre vallée des rois, attiraient une pléthore de visiteurs, j’en profite pour visiter de nombreux sites tranquillement : Musée de ma momification, Temple de Louxor, Musée de Louxor, Musée à ciel ouvert de Karnak, Temple de Hatchepsout, Ramesseum, Monastère Copte, Temple de Ramses II, les Colosses de Memnon, etc.
Je ne peux visiter l’Egypte, sans aller à Assouan. Rencontrer des Nubiens dans leur milieu est un moment que j’attendais depuis longtemps. De Louxor, nous partons le 15 décembre avec un taxi, au petit matin. Tout au long du parcours jusqu’à Edfou, on découvre toute l’importance du Nil dans la vie des Egyptiens. De part et d’autre du grand fleuve, s’étalent des champs. Et de ces champs sortent des tas de régimes de banane, des paniers tomates, des tiges de cannes à sucre et divers produits vivriers que des véhicules convergent vers différents marchés ou usines.
Anciennement, la Nubie égyptienne commençait à Edfou. Nous traversons la ville en direction de Kom ombo. Et là, première halte pour visiter le Temple. A quelques mètres du fleuve se dresse des colonnes dudit temple sur lequel on peut lire toute l’expression figurative des artistes de l’Egypte ancienne. En contrebas, se trouve le village artisanal fait de paillotes coiffées des superbes dômes qui sont le symbole vivant de la Nubie antique.
Après quelques minutes d’arrêt, nous continuons la route vers Assouan. Au passage, des villages perchés à flanc de collines et aux couleurs chatoyantes s’offrent à nos yeux, par-delà l’autre rive. Enfin, nous arrivons à Assouan. A première vue, cela saute aux yeux que la ville est maintenant artificielle. Plutôt touristique, avec ses hôtels et ses maisons à étage à n’en plus finir. La capitale de la Nubie n’est plus vraiment nubienne. Depuis la construction du barrage d’Assouan, les Nubiens sont relogés, du moins parqués à une dizaine de kilomètres de la ville. A la différence des autres villes égyptiennes, il y a beaucoup plus de Noirs ici. Normal, nous sommes au cœur de la Nubie.
En début d’après-midi, je me rends au Musée de la Nubie. On doit sa réalisation à l’UNESCO. Les nombreux vestiges qui risquaient d’être englouties par les eaux du Lac Nasser à la construction du barrage d’Assouan au début des années 60 y sont rassemblées. Avec ses 3.000 pièces et de toutes les époques, il y a de quoi donner à voir au visiteur. Tout Africain qui visite ce musée qui est l’un des plus grands d’Egypte, est frappé par les extraordinaires bols en poterie décorés datant de 6.000 ans et dont la similarité avec celles que l’on retrouve encore aujourd’hui en Afrique Noire est d’une étonnante réalité.
Ma première rencontre avec des Nubiens d’Assouan a lieu avec l’un des conservateurs du musée et son frère. Au sortir de ma visite, nous prenons le temps de discuter pendant quelques minutes. Puis, je me rends à un rendez-vous dans le soi-disant village Nubien, chez Joseph, un confrère qui travaille à la télévision. L’accueil est digne du retour d’un enfant prodige. Joseph nous reçoit dans son salon, nous présente son épouse. Elle s’empresse de nous demander ce que nous souhaitons boire, et nous acceptons du thé.
A vrai dire, ils sont parqués comme les Amérindiens sont parqués aux Etats-Unis. Isolés de la ville d’Assouan elle-même. L’Etat égyptien leur avait fait de grandes promesses lors du déménagement. Les belles maisons qu’on leur a fait miroiter ne sont aujourd’hui que des HLM, et les terres pour ces paysans en majorité sont toujours introuvables. Il en est de même pour les infrastructures sociocommunautaires comme les hôpitaux et les écoles.
En tout cas, nous évitons de nous attarder sur des sujets qui fâchent pour parler de nos origines communes. La langue est le seul lien qui nous rattache encore. Et les mots ne manquent pas pour nous le rappeler. Joseph me dit ainsi que « Mi Nabo » signifie mon roi en Nubien. Je lui réponds que « Mi Nabo » veut dire aussi la même chose en Nateni, ma langue maternelle, sauf que ce mot relève maintenant du Nateni ancien. Etonnant, n’est-ce pas ? Mais en réalité non, car toutes les langues négro-africaines ont un substrat commun. Chaque Africain, où qu’il soit, porte donc en soi une part de la Nubie éternelle. Nos échanges se terminent fort tard. Nous promettons de nous revoir. Un jour encore peut-être.
16 décembre. Tôt le matin, nous partons pour l’embarcadère d’où partent les barques pour Philae. Mais en fait, on devrait dire Aguilkia. Car, de l’ancienne cité antique de Philae, il ne reste plus qu’un petit bout de rocher. Les ruines sont certes déménagées à Aguilkia mais le nom de l’ancienne ville s’est substitué à celui du nouveau site. Philae en effet était le premier nome de la Haute Egypte, celui qui a donné son nom de Ta Séty ou Pays de l’Arc à la Nubie entière. Ce qui impressionne quand on se rend sur l’île de Philae, c’est la chapelle du Temple d’Hathor et son kiosque de Trajan. Tant dans leur conception que dans leur finition. Des chefs-d’œuvre d’architecture et d’ingénierie. En quittant cette île, on ne peut s’empêcher de reconnaître que l’UNESCO a bien fait de sauver ses ruines.
Actuellement, c’est toute l’Egypte qui mérite d’être sauvée. Non pas par l’UNESCO mais par ses propres fils. En raison de la situation sociopolitique critique que le pays connaît. L’histoire ancienne de l’Egypte nous montre cependant des exemples à foison qu’elle est plusieurs fois tombée, mais elle a toujours su se redresser. Elle doit donc se redresser aujourd’hui. Conduire sa nouvelle transition démocratie à son terme et retrouver la place qui est la sienne dans le concert international des nations. Car l’Egypte fait partie des trois pays piliers sur lesquels l’Afrique compte pour servir de train à sa renaissance, à savoir le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Egypte. Il faut donc savoir raison garder et éviter le chaos à tout prix, afin de regarder l’avenir ensemble. Au-delà des considérations sociopolitiques et confessionnelles sectaires qui n’apportent rien au progrès du pays.
Par Marcus Boni Teiga