Les Maliens ne sont pas peu fiers de dire que leurs ancêtres sont les premiers dans l’histoire de l’humanité à avoir établi une charte que l’on pourrait considérer comme définissant les droits fondamentaux de l’Homme en 1222 ou 1236. La charte du Manden, ou charte de Kouroukan Fouga aurait été solennellement proclamée le jour de l’intronisation de Soundiata Keïta, empereur du Mali, à la fin de l’année 1236. Elle affirme notamment le respect de la vie humaine, le droit à la vie, les principes d’égalité et de non-discrimination, de liberté individuelle, de justice, d’équité, de solidarité. Elle a été inscrite en 2009 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO.
Sans être Malien, l’Africain que je suis est tout aussi fier qu’eux de savoir qu’il appartient à ce peuple noir africain qui a été le premier, ou tout au moins l’un des premiers, à élaborer l’ancêtre de ce que l’on appelle aujourd’hui la Charte des droits de l’Homme. Tout comme je suis fier de savoir que l’Egypte ancienne était noire. Oui, cette Egypte qui a construit les majestueuses et éternelles pyramides, le Sphinx, les palais de Louxor, qui a inventé la géométrie et creusé les canaux d’irrigation le long du Nil, celle auprès de qui les sages de la Grèce de l’époque venaient se former, donnant à l’Europe les éléments qui formeront sa civilisation, oui, cette Egypte-là était celle de mes ancêtres. Je suis fier de savoir que les fondements de la Bible se trouvent en Egypte. Je suis fier de ce que je sais des empires du Ghana, du Monomotapa, de Zimbabwe, des fastes d’Ilé Ifé, de l’empire Ashanti, je suis fier de savoir que des Africains comme moi ont traversé l’océan Atlantique et mis les pieds sur le continent appelé Amérique avant Christophe Colomb et que les traces existent. Tous les jours, je découvre sur internet tout ce qui a été inventé par des Noirs ou des descendants d’Africains. Oui je suis fier de savoir tout cela. Mais après ?
D’accord, les Mandingues ont proclamé la première Charte des droits de l’Homme. Oui, mais dans quel état sont les droits de l’homme aujourd’hui dans les Etats qui sont à la place de l’ancien empire mandingue ? Où en est le Mali ? Où en sont les peuples d’Afrique sur ce chapitre ? Où en sont les descendants des pharaons, ceux qui inventèrent le monothéisme et la géométrie ? Que construisent aujourd’hui les descendants des bâtisseurs de pyramide, de temples et de palais fastueux ? Des cases en banco où il est parfois impossible de s’allonger sans que les pieds ne dépassent de la porte ? Où sont passés les sculpteurs du Sphinx et des trésors des palais de Louxor ? Leurs descendants sont aujourd’hui bien en peine de laisser la moindre trace de leur histoire et dans celle de l’humanité qu’ils se targuent d’avoir façonnée. Que sont devenus les descendants des inspirateurs de la civilisation européenne ? L’Egypte ancienne avait dominé l’Europe ? Que sont devenus les descendants de ces Egyptiens ? Les esclaves de cette Europe. Et aujourd’hui, hébétés, sont-ils devenus. Anesthésiés. Amnésiques, incapables d’avoir une pensée autonome, incapables d’inventer quoi que ce soit ou même d’adapter ce que les autres ont déjà inventé à leurs besoins. Ils en sont réduits à quémander leur pitance auprès des autres peuples tout en ressassant leur gloire passée, sans chercher à façonner leur présent et se projeter dans l’avenir. Un ancien président français avait dit que l’Africain n’était pas suffisamment entré dans l’histoire. Il se trompe. Il y est entré, mais il n’a pas encore trouvé la porte de sortie. Et à force de tourner autour de cette histoire, il en est venu à l’oublier, à ne plus savoir quoi en faire. Oui, oui, oui ! Oui, nous avons réalisé tout ce dont on parle, nous avons inventé tout ce dont on parle. Et après ? Qu’en faisons-nous ?
Un aîné me disait récemment que le plus court chemin pour aller vers le futur, passe souvent par le passé. Savons-nous comment emprunter ce chemin ? Savons-nous tirer les leçons de notre passé ? Savons-nous comment faire de notre passé les racines à partir desquelles l’arbre de notre futur sortira de terre ?
Peuple d’Afrique, tes ancêtres ne sont pas fiers de toi. Ils ne sauraient en aucun cas être fiers de toi. Tu les as reniés, pour aller adorer les ancêtres des autres, ceux qui justement les ont piétinés et t’ont piétiné après eux. Tu t’es renié, et tu les as humiliés. Tu as bradé la brillante civilisation et toutes les connaissances et valeurs qu’ils t’avaient léguées. Et tu vois toi-même ce que tu es devenu. Cesse de les citer car tu leur fais honte et ils pleurent chaque fois qu’ils te regardent jouer au perroquet et au singe savants.
Par Venance Konan