En 1958 Sékou Touré lança son fameux « non » à la proposition du président français Charles de Gaulle de créer une communauté qui unirait la France à ses anciennes colonies, et qui serait pilotée par la France. Sékou Touré dit qu’il voulait l’indépendance de son pays, la Guinée, et lança cette fameuse phrase : « je préfère la liberté dans la pauvreté à la richesse dans la servitude. » La vengeance de la France fut terrible. Tous les Français rentrèrent aussitôt, en emportant tout ce qui avait de la valeur, tous les documents et les archives. Et pendant longtemps, des actions de sabotage de l’économie guinéenne furent organisées par les services secrets français, de même que des manouvres visant à renverser Sékou Touré. Le but de toutes ces opérations était de punir l’outrecuidance du leader guinéen qui avait osé s’opposer à la volonté du grand chef français, et surtout éviter que son exemple ne contamine les autres pays africains du pré carré français. Acculé, Sékou Touré se tourna vers les Soviétiques, et leur demanda de l’aide. Ces derniers, qui sans doute avaient eu du mal à situer la Guinée sur une carte, lui envoyèrent des chasse-neige. Sékou Touré finit par devenir un dictateur paranoïaque et sanguinaire qui pendait ses opposants, vrais ou imaginaires, sous les ponts de Conakry, la capitale de son pays, ou les laissait mourir de faim et de soif dans le tristement célèbre camp Boiro. C’est une Guinée complètement ruinée qu’il laissa à sa mort en 1984.
Depuis lors, on ne peut vraiment pas dire que la Guinée se soit retrouvée. Ce fut un militaire, Lansana Conté, qui était très loin d’être une lumière, qui lui succéda en prenant le pouvoir par la force. Il fut remplacé à sa mort par un autre militaire encore moins brillant que lui, Moussa Dadis Camara, qui prit lui aussi le pouvoir par la force, après avoir attendu qu’il meure, ce qui est somme toute plus prudent, et il fut remplacé par un militaire qui avait encore moins d’éclat que lui, Sékouba Konaté, après qu’il eut pris une balle dans la tête qui heureusement, ne le tua pas. Alpha Condé, qui fut élu démocratiquement après ce que l’on croyait être une parenthèse militaire, a été renversé le 5 septembre 2021 par Mamadi Doumbouya, un ancien légionnaire de l’armée française marié à une femme gendarme française et qui, ironie du sort, était celui qu’il avait nommé pour assurer sa sécurité et protéger son pouvoir. Pour le moment personne ne peut dire où la Guinée va. Mais tout semble indiquer qu’une nouvelle dictature est en train de se mettre tranquillement en place. Il est par exemple désormais interdit de manifester dans les rues, des maisons de leaders de l’opposition ont été détruites ou saisies, et plusieurs membres du pouvoir renversé sont en prison.
En 2022, c’est le Mali qui s’est fâché avec la France. Ses autorités, issues d’un coup d’Etat, ont décidé de rompre définitivement avec elle, en expulsant son ambassadeur et ses forces armées qui avaient été appelées pour combattre le terrorisme, en lui interdisant de survoler son territoire avec ses avions et ses drones et en mettant dehors les représentants de ses médias. Dans la foulée, elles se sont aussi fâchées avec l’Europe et la CEDEAO et, il y a quelque temps, elles ont annoncé le retrait de leur pays du G5 Sahel et de sa force anti-djihadiste. Contrairement à la Guinée en 1958, les militaires maliens eux, sont d’abord devenus copains avec les Russes (le nouveau nom des Soviétiques), avant de rompre avec la France. Le problème est qu’actuellement la Russie est très occupée par une affaire dans laquelle elle semble s’être engagée un peu imprudemment, et je ne suis pas certain qu’elle puisse leur envoyer quelque chose, même des chasse-neige. Pour le moment, ce sont des mercenaires que le Mali a reçu de ses nouveaux amis en échange de beaucoup d’argent et des mines d’or, et apparemment c’est la population du pays qui paie la facture avec son sang. Et là-bas comme en Guinée, tout indique qu’une dictature est en train de se mettre en place.
Déjà il est impossible aux Nations Unies ou à une quelconque organisation indépendante d’aller enquêter sur les allégations de crimes commis sur les populations civiles par l’armée avec l’appui des mercenaires russes, on a laissé mourir l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga en refusant tout simplement de le laisser aller se soigner, et les opposants au régime ont de plus en plus de mal à s’exprimer, pendant que la liberté de la presse s’amenuise de jour en jour. En rompant avec tout le monde, les militaires au pouvoir au Mali ne sont-ils pas en train d’opérer une fuite en avant, à moins qu’ils ne soient en train de chercher à s’éloigner de tout le monde pour installer tranquillement leur dictature ? Dans la foulée, ils ont annoncé avoir déjoué une tentative de putsch, rapidement imputée à un pays occidental dont tout le monde voit le dos. Rassurez-vous, ce n’est que la première. Il y en aura beaucoup d’autres, vraies ou fausses, mais qui ne viendront pas nécessairement de l’extérieur. Le propre de tous les régimes dictatoriaux est de se trouver des ennemis extérieurs à qui faire porter le chapeau de tous leurs échecs. On a déjà vu ça en Guinée avec Sékou Touré.
Certes, les pouvoirs civils que les putschistes guinéens et maliens ont renversés ont un peu mérité leurs sorts, mais je crains que le soleil de la liberté ne soit à nouveau en train de se coucher sur la Guinée et le Mali.
Par Venance Konan
Source: https://www.fratmat.info
Fraternité Matin (CÔTE D’IVOIRE)